Le droit aux conditions matérielles d’accueil : obligation de moyens ou de résultat? (à propos de CE, réf., 13 août 2010, ministre de l’Immigration c/ M. Mbala Nzuzi)

Publié le 09 septembre 2010 par Combatsdh

par Serge SLAMA

En 1949, Albert Cohen dénonçait le sort réservé à “cet homme qui est (…) le plus souvent un malheureux, une épave. Il vit dans des conditions matérielles et morales particulièrement difficiles. (…) Il est démuni des ressources et ne peut avoir recours aux diverses formes d’assistance qu’un État dispense à ses ressortissants” (Albert COHEN, Conférence de l’Office international des réfugiés, Genève, janvier 1949). On constate donc que dès les travaux préparatoires de la convention de Genève les conditions matérielles d’accueil d’accueil étaient prises en compte comme un handicap à l’accès effectif au statut de réfugié.

Or, le dernier numéro de l’AJDA présente une ordonnance du juge des référés du Conseil d’Etat rendue durant le mois d’août dans laquelle le président de la section du contentieux, M. Stirn, a considéré que “même si le versement de l’allocation temporaire d’attente ne peut, eu égard au montant de cette prestation, être regardé comme satisfaisant à l’ensemble des exigences qui découlent de l’obligation d’assurer aux demandeurs d’asile, y compris en ce qui concerne le logement, des conditions d’accueil décentes, le dossier ne fait pas apparaître, compte tenu tant de l’ensemble des diligences accomplies en l’espèce par l’administration au regard des moyens dont elle dispose que des particularités de la situation de M. Mbala N” d’ilégalité manifeste (CE, réf., 13 août 2010, Ministre de l’immigration c/ M…, aux tables, req. n° 342330). A partir du fichage du Conseil d’Etat de cette décision (Abstrats: “Moyen dont dispose l’administration”), mentionnée au Lebon, il en est déduit que “si l’État a des obligations à l’égard des demandeurs d’asile pendant l’examen de leur demande, ces obligations ne sont que de moyens et non de résultat” (AJDA 2010, p.1559, comm. S. Brondel).

A notre sens, le droit aux conditions matérielles d’accueil constitue pourtant bien pour l’Etat une obligation de résultat comme pour le droit au logement opposable (TA de Paris, 5 février 2009, Mme Namizata Fofana, n° 0818923 : “Droit au logement : le juge exige de l’Etat un résultat”, AJDA 2009 p. 230, comm. M-C. de Montecler) ou la scolarisation des enfants handicapés  (Droit à la scolarisation des enfants handicapés : l’effectivité d’un droit social par son opposabilité et sa justiciabilité : CE 8 avril 2009, M. et Mme L., n° 311434). Il s’agit néanmoins d’un droit composite qui est modulable selon les circonstances d’espèce, notamment le sexe, l’état de santé, de la situation de famille, les ressources du demandeur ou encore le fait qu’il soit libre ou enfermé. Cette modulation dépend, elle, des moyens dont dispose l’administration. Mais, comme l’exige la directive, ce droit social ne peut descendre en dessous d’un certain seuil nécessaire couvrir les besoins fondamentaux.

On se trouve donc bien devant une obligation de résultat pour l’Etat de fournir des conditions matérielles décentes au demandeur d’asile, correspondant à ses besoins. Tout  l’indique:

- l’article 13§2 de la directive 2003/9/CE du 27 janvier 2003 prévoit que : “Les Etats membres prennent des mesures relatives aux conditions matérielles d’accueil qui permettent de garantir un niveau de vie adéquat pour la santé et d’assurer la subsistance des demandeurs”. Il est précisé que les conditions d’accueil comprennent “le logement, la nourriture et l’habillement, fournis en nature ou sous forme d’allocation financière ou de bons, ainsi qu’une allocation journalière”.

- l’article 14§ 8 n’admet “à titre exceptionnel” la fixation de modalités différentes, pendant une période raisonnable, “aussi courte que possible“, que dans 4  cas limitatifs:

— une première évaluation des besoins spécifiques du demandeur est requise,
— les conditions matérielles d’accueil n’existent pas dans une certaine zone géographique,
— les capacités de logement normalement disponibles sont temporairement épuisées,
— le demandeur d’asile se trouve en rétention ou à un poste frontière, dans un local qu’il ne peut quitter.

On constate donc que la privation du droit aux conditions matérielles d’accueil décentes n’est possible que de manière temporaire et pour des motifs précis. Au demeurant, il est précisé que ces différentes conditions “couvrent, en tout état de cause, les besoins fondamentaux“. L’Etat a donc l’obligation, quelle que soit la situation matérielle, de couvrir a minima ces besoins fondamentaux. C’est d’ailleurs ce qui s’est passé dans l’affaire du 13 août 2010 puisque, faute de place disponible dans un centre d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA), le demandeur a été orienté vers une plate-forme d’accueil. Il a pu dès lors bénéficier du dispositif de veille sociale, de colis et de bons alimentaires et, dans la mesure des disponibilités, d’un hébergement d’urgence et que ses droits à l’allocation temporaire d’attente ont été ouverts.

-  l’arrêt Cimade du 16 juin 2008, qui a consacré ce droit, a déduit de cette directive “qu’il résulte clairement de ces dispositions que les demandeurs d’asile ont droit, dès le dépôt de leur demande et aussi longtemps qu’ils sont admis à se maintenir sur le territoire d’un Etat membre, à bénéficier de conditions matérielles d’accueil comprenant le logement, la nourriture et l’habillement ainsi qu’une allocation journalière, quelle que soit la procédure d’examen de leur demande”.  Le rapporteur public, Luc Derepas expliquait d’ailleurs dans ses conclusions que « le droit au maintien ne peut être effectif que s’il s’accompagne, pour les personnes qui ont quitté leur pays sans ressources, de conditions matérielles d’accueil assurant une vie décente aux intéressés pendant la période d’examen de leur demande d’asile ».

- A partir de l’affaire Gaghiev, le juge des référés du Conseil d’Etat a reconnu que la « privation du bénéfice des mesures prévues par la loi afin de garantir aux demandeurs d’asile des conditions matérielles d’accueil décentes jusqu’à ce qu’il ait été statué définitivement sur leur demande » est susceptible de constituer une atteinte grave et manifestement illégale au droit d’asile (CE, réf., 23 mars 2009, Gaghiev: CPDH 31 mars 2009).

- Par la suite, le juge des référés du Conseil d’Etat admet le remplacement de l’hébergement en CADA par l’admission dans une structure d’urgence pour demandeur d’asile (hébergement provisoire des structures collectives ou dans des hôtels) ou, à défaut, le dispositif de veille sociale (centre d’hébergement d’urgence ou un centre d’hébergement et de réinsertion sociale). Cet hébergement d’urgence est complété par l’ATA si le demandeur ne bénéficie pas d’un séjour en centre d’hébergement « pris en charge au titre de l’aide sociale » (CE, réf., 17 septembre 2009, ministre de l’Immigration c / Mahamad Imane Salah, n°331950 , AJDA 2010, p.202, comm. S. SLAMA ; JCP A 2009, 2262, comm. L. FERNAUD).

- Dans des ordonnances plus récentes, le Conseil d’Etat avait d’ailleurs clarifié l’articulation des différents éléments composants les conditions matérielles d’accueil.

Ainsi, il a estimé

- qu’un demandeur n’a pas bénéficié « de l’ensemble des conditions matérielles d’accueil » lorsque seul un hébergement d’urgence a été assuré sans ouverture des droits à l’ATA ( CE  26 mai 2010, Mahmoud A., n° 339589 [rendu par J-H Stahl]; confirmé par CE, 19 juillet 2010, ministre de l’Immigration c. A.  n° 341289 [rendu par B. Stirn] mais qui, déjà avait mis en balance le fait “que, même si le versement de l’allocation temporaire d’attente ne peut, eu égard au montant de cette prestation, être regardé comme satisfaisant à l’ensemble des exigences qui découlent de l’obligation d’assurer aux demandeurs d’asile, y compris en ce qui concerne le logement, des conditions d’accueil décentes” consacré dans l’orodnnance précédente avec le fait que “le dossier fait pas apparaître, compte tenu tant de l’ensemble des diligences accomplies en l’espèce par l’administration que des particularités de la situation de M. A, d’atteinte grave et manifestement illégale au droit d’asile“);

- Il en est de même pour un demandeur admis au seul bénéfice de l’ATA, hébergé sous une tente avec sa compagne et son fils en bas âge, et n’étant ainsi pas en mesure de se loger dans des conditions décentes compte tenu du fait que l’administration avait tardé à accomplir les diligences nécessaires et alors même que le ministre ne conteste pas “la situation d’extrême précarité“  (CE 2 août 2010, ministre de l’Immigration c/ M. Bejtula, n° 342012 )

- En revanche ne constitue pas une atteinte manifestement illégale au droit d’asile la décision d’accorder pendant un temps un hébergement dans le cadre du dispositif de veille sociale, des bons alimentaires et de transport ainsi qu’une aide financière ponctuelle puis, à une date ultérieure, l’ATA en complément (CE, 28 mai 2010, ministre de l’Immigration c/ X., n°339679).

Il existe bien, pour l’Etat, une obligation de fournir des conditions matérielles d’accueil aux demandeurs d’asile. Mais cette obligation est, dès lors qu’elle couvre suffisamment les besoins, modulables de manière temporaire selon les moyens dont dispose l’administration lorsque le demandeur dépose sa demande d’admission au séjour au titre de l’asile.

Enfin, il ne faut pas oublier que ces ordonnances sont rendues en référé-liberté c’est-à-dire dans un contentieux de l’atteinte “manifestement illégale” au droit d’asile, c’est-à-dire un contentieux de la flagrance. Dans le cadre d’un référé-suspension il est moins difficile de faire reconnaître que l’administration n’a pas légalement fourni des conditions matérielles d’accueil suffisantes conformes aux besoins du demandeur et aux exigences de la législation française interprétée au regard des objectifs de la directive.

 

CE, réf., 13 août 2010, Ministre de l’immigration c/ M…, req. n° 342330

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NB : je publierai dans le prochain numéro de la Revue de droit sanitaire et social un article sur Droit des demandeurs d’asile à des conditions matérielles d’accueil décentes : une nouvelle forme de justiciabilité pour quelle effectivité ?”

Voir aussi l’article du Jean-Philippe Brouant, « Le gîte et le couvert : à propos de l’hébergement des demandeurs d’asile en Europe », AJ- droit immobilier, sept. 2010 (à paraître).