Deux scènes fondamentales me paraissent actuellement structurer les séries américaines qu’il m’arrive de regarder – et dont on dit qu’elles sont aujourd’hui l’une des sources d’inspiration majeure du roman contemporain. La première, c’est la « scène de crime » : bien délimitée par le bandeau jaune « Do not cross », elle est le lieu du drame, balisé, pacifié, qui se trouve souvent être un lieu public. Seule la présence incongrue de quelques cadavres soustrait la rue à sa propre banalité. Une pure représentation, avec son estrade, ses acteurs et ses spectateurs. Les flics y plastronnent du haut de leur compétence blasée. Pour un peu on leur jetterait des pièces de monnaie.
La seconde, c’est la salle d’autopsie. Là encore le temps comme l’action sont arrêtés. On commente d’un air badin, comme si tout ça n’était pas très sérieux, seulement une histoire de barbaque dont il s’agit de comprendre le décès. A la première le bain de foule, à la seconde la solitude.
De l’une à l’autre de ces scènes, qu’est-ce qui a été perdu ? Le poids de l’humain, à la fois le poids de l’action et le poids de la chair. Il s’agit de faire parler des situations éminemment muettes, à partir de ces deux « topos » : la scène de crime, la salle d’autopsie. L’action est déplacée, hors champ, presque superflue. Entre les deux scènes structurantes, des ordinateurs, une intelligence en réseau, une pensée artificielle. Des données en pagayes, qui se croisent toutes seules. De la déduction automatisée. De l’esprit sans homme.
Qu'est-ce qui nous fascine vraiment dans ces séries, sinon cette fantastique absence à nous-mêmes à laquelle, regardant, nous collaborons ?