Retraites: Sarko à la rue, Woerth dans les fraises.

Publié le 08 septembre 2010 par Letombe

Depuis 3 mois, et l'annonce, le 16 juin, du plan de réforme des régimes de retraites par Eric Woerth, le gouvernement a accéléré la procédure d'adoption du projet, et répète à l'envie qu'il est prêt à des aménagements sans préciser lesquels. Mardi, la grande journée de manifestations fut un succès. Comme d'habitude, Sarkozy se montrait ferme ... mais bien planqué à l'Elysée. Et il a laissé un ministre affaibli prendre les coups du jour.
Sarko à la rue
Hier, entre 1,1 million (selon la police) et 2,7 millions de manifestants (selon les syndicats) se sont retrouvés dans les rues un peu partout en France pour protester contre le projet. A la mi-journée, la police annonçait déjà le nombre de 450 000 manifestants en France. Même le ministère de l'intérieur a dû reconnaître que la mobilisation a été plus importante qu'en juin. A l'Elysée, on s'est rabattu sur de vaseuses comparaisons du taux de grévistes par secteur, sans citer de chiffres précis. Bref, la mobilisation a été un succès. Et ensuite ?
Il n'était toujours pas temps, pour le gouvernement Sarkozy, d'annoncer enfin ce qu'il entendait aménager. Le matin même, Sarkozy expliquait qu'il resterait « ferme » tandis que Fillon promettait des ouvertures « en fin de semaine.» Le président français tentait de faire comme si la contestation le concernait peu. Lundi soir, il rencontrait en urgence des représentants du cinéma français, pour calmer leurs craintes quant à un éventuel relèvement de la TVA sur la télévision payante. Mardi matin, il rencontrait les responsables de sa « majorité ». A midi, il évoquait le sujet des deux navires Mistral que la Russie rechigne à commander aux chantiers navals de Saint-Nazaire, avec le ministre russe des Affaires étrangères. Puis il déjeunait avec des mathématiciens.
Mardi après midi, Eric Woerth a dû monter à la tribune de l'Assemblée Nationale défendre son projet. Il venait sans doute d'apprendre que la justice suisse avait à son tour ouvert une enquête sur l'un des volets, non précisés, de l'affaire Bettancourt. On imagine qu'elle s'intéresse aux soupçons de fraude fiscale, du temps où Florence Woerth travaillait à la gestion de fortune de la milliardaire.
A l'Assemblée, les questions d'actualité au gouvernement, à compter de 15 heures, avaient un peu éreinté le ministre du Travail. L'ambiance était électrique. A 16H30, pendant une trentaine de minutes, il a ensuite exposé son projet, qu'il juge non partisan (citant le premier ministre espagnol), « juste », « équilibré », « progressive », et « efficace ». Rien que ça ! A croire que les 2,7 millions de manifestants n'avaient rien compris.

« Cette réforme, c'est le rendez-vous des Français avec leur avenir. C'est une réforme de fond, c'est une réforme structurelle, parce que nous ne voulons pas seulement assurer l'équilibre financier des retraites dès 2018, nous voulons assurer la confiance des Français dans leur système de retraite. C'est un élément essentiel de notre pacte social. »

« 62 ans, c'est l'âge de raison.» La voix parfois cassée, le ministre avait l'air un peu perdu. Alors qu'il s'était toujours refusé à de véritables comparaisons internationales, il s'est livré à quelques arguments partiels lâchés ici ou là, comme pour répondre - enfin - à certaines critiques :  « notre système restera l'un des plus favorables d'Europe », citant la protection des revenus en cas de chômage, ou les dispositifs de pénibilité et de carrières longues, « sans équivalent en Europe ». Woerth s'est également fendu d'un large exposé sur le traitement des femmes, pour expliquer ... que les inégalités de retraites (40% d'écart de pension en moyenne) étaient avant tout causées par les écarts de rémunérations. Pour conclure, Eric Woerth a promis, sans les détailler, que le gouvernement proposera des amendements sur trois sujets: pénibilité, polypensionnés et égalité hommes/femmes.
Les points contestés de la réforme.
A l'UMP comme l'Elysée ou à Matignon, on a eu beau jeu de critiquer les critiques. La réforme serait indispensable, et les choix de rééquilibrage des régimes limités. Pourtant, rares sont ceux qui contestent la nécessité d'une réforme. Les points contestés sont ailleurs. Le 17 juin dernier, nous détaillions les principaux éléments :
1. La durée de cotisation sera allongée en fonction de la progression de l'espérance de vie, pour atteindre 41 ans en 2012, puis 41 ans et demi en 2020. C'est l'une des plus fortes durées d'Europe. Elle pénalise particulièrement les femmes, aux carrières plus incomplètes que celles de hommes à cause de la maternité et au temps partiel contraint (moins « rémunérateur » en retraites). La réponse d'Eric Woerth, mardi à l'Assemblée, fut de rappeler qu'il intégrait les indemnités de maternité « dans le salaire de référence sur lequel sera calculée la pension de retraite.» Quelle proposition ! Ces indemnités sont largement inférieures au salaire, or les retraites sont calculées sur les 25 meilleures années de salaires.... Voici un effort qui ne coûte rien. Autre proposition, la sanction des entreprises de plus de 50 salariés n'établissant pas d'accord sur l'égalité professionnelle homme/femme à hauteur de 1% de leur masse salariale. Quel est le rapport avec les retraites ?
2. Les salariés ayant commencé à travaillé à 14 ans, 15 ans, ou 16 ans devront toujours attendre respectivement 58 ans, 59 ou 60 ans pour partir en retraite pleine, soit 44 années de travail. Autrement dit, la France qui travaille tôt travaillera plus longtemps. Eric Woerth, mardi, expliquait qu'il améliorait le dispositif en l'étendant aux salariés ayant commencé à travailler à 17 ans. En fait, le système est déjà inique.
3. S'ajoute un recul de deux ans pour l'âge minimal comme de l'âge de retraite à taux plein (respectivement portés à 62 et 67 ans progressivement, à raison de 4 mois supplémentaires chaque année, à compter du 1er juillet 2011. Les pensions vont donc mécaniquement baisser, contrairement aux grandes et belles déclarations sarkozyennes : l'âge de retraite à taux plein étant plus tardif, le nombre de retraites incomplètes augmentera, surtout en période de chômage. Rappelons que les hypothèses gouvernementales sont un chômage ramené à 4,5% de la population active en 2024, un taux jamais atteint depuis 30 ans.
4. La retraite pleine et anticipée (i.e. avant 62 ans) sera réservée aux assurés justifiant une incapacité physique d'au moins 20% ayant donné lieu à l'attribution d'une rente pour maladie professionnelle. Quelques 10 000 personnes seront concernées chaque année. C'est l'un des sujets « d'amélioration » évoqués par Eric Woerth mardi après midi.
5. Les nouveaux prélèvements imaginés sur le capital et les hauts revenus sont marginaux : le relèvement d'un point de la tranche supérieure de l'impôt sur les revenus (de 40 à 41%, hors bouclier fiscal) rapportera 230 millions d'euros. Sur le capital, le gouvernement espère récupérer, via toutes sortes de relèvements marginaux, 265 millions d'euros sur les revenus du capital ; 645 millions d'euros en supprimant un crédit d'impôt sur les dividendes ; 200 millions d'euros en taxant ,via l'impôt sur le revenu, les plus-values de cession d'actions et d'obligations dès le premier euro ; 110 millions d'euros via une nouvelle contribution salariale de 4% sur les retraites-chapeaux ; 70 millions d'euros de taxe sur les stock-options.
6. Les entreprises subiront une harmonisation du calcul des allègements généraux de charges patronales et une modification des règles de taxation des dividendes intra-groupe, pour générer 2,5 milliards d'euros environ.
7. Le pouvoir d'achat des fonctionnaires sera rogné : leur taux de cotisation vieillesse des fonctionnaires devra s'aligner progressivement sur celui du secteur privé (de 7,85% à 10,55%), alors que le gouvernement a d'ores et déjà annoncé un gel des salaires l'an prochain.
8. Le plan d'économies ainsi détaillé ne rétablit pas non plus l'équilibre des comptes de retraites. Mardi après midi, Eric Woerth a menti, en déclarant à l'Assemblée Nationale : « nous supprimons tout déficit des retraites à compter de 2018 ». Les propres projections du gouvernement en matière de recettes et d'économies laissent apparaître un besoin annuel persistent de 15,6 milliards d'euros, même en 2020, à financer par l'Etat.
Au total, le gouvernement espère économiser 30 milliards d'euros en 2020, dont 20 milliards via les mesures d'âge sur la retraite, 5 milliards grâce à la convergence public/privé; 2,5 milliards d'euros sur les entreprises ; et 2 milliards de recettes nouvelles sur le capital. Autre mensonge du ministre du Travail, « les mesures d'âge assurent la moitié de l'effort.» C'est faux : d'après les propres chiffres du gouvernement, ces mesures représentent respectivement 30% en 2011, 58% en 2015, et 67% en 2020.Au fil des années, le poids de l'effort des salariés pèsera de plus en plus lourd.
Woerth, aux fraises
Mardi soir, le ministre du Travail, était sur TF1: « on n'est pas surpris » a-t-il déclaré. Il avait changé de costume, depuis son intervention au parlement. Questionné sur le refus de Bernard Thibaut (CGT) de venir débattre avec lui plutôt qu'avec François Fillon, Woerth a baissé la tête. « Je n'ai pas compris ça », a-t-il répondu, pour se féliciter ensuite d'avoir reçu des syndicats « pas plus tard qu'hier » (en fait, la seule CFTC s'est rendue à l'invitation du ministre, pour déclarer ensuite que le rendez-vous avait été inutile). « On n'a jamais autant concerté, autant dialogué sur une réforme des retraites ». Fillon, auteur de la précédente réforme de 2003, appréciera.
La seconde question de Laurence Ferrari portait sur son affaiblissement à cause de l'affaire Bettencourt : « je ne suis pas venu pour commenter la campagne de dénigrement qui jour après jour tombe sur moi », pour embrayer ensuite sur l'importance à réformer les retraites. Sur la mobilisation sociale du jour, le commentaire est sec : « c'est une manifestation importante, évidemment elle est importante, on s'y attendait, je ne suis pas surpris par l'ampleur de la manaifestation.» La seule annonce du jour, et du soir, fut celle d'une intervention de Nicolas Sarkozy en conseil des ministres, ce mercredi, sur des « avancées », « vers les plus fragiles », « les plus précaires ». Sur quoi ? Toujours la même chose : la pénibilité et les poly-pensionnés. Rien d'autre. « l'équilibre de la réforme, il ne peut pas être remis en cause. » Tel un Lapin Duracel, Woerth s'emballe sur l'urgence à « sauver le système des retraites », une urgence qu'il répète une bonne dizaine de fois en quelques minutes d'intervention. Il voulait démontrer sa pugnacité.
Pourquoi ne rien dire ce soir ? Parce qu'Eric Woerth est déjà ailleurs. Il s'excuse. C'est au président « qui a été élu par le peuple » de faire ces annonces. Ferrari relance le sujet Bettencourt. Woerth se répète: « moi, je ne suis pas venu, madame Ferrari, pour commenter une campagne dont je fais les frais. (...) Je n'ai jamais menti. (...) Cette campagne de dénigrement, elle est faite pour me briser. »
Il est comme cela, Eric Woerth, il adore jouer sur les mots, qu'il s'agisse des retraites ou de l'affaire Bettencourt.
Sarko, lui, se protège. Le courage présidentiel s'est réfugié au Palais de l'Elysée.
Ami sarkozyste, où es-tu ?

Sarkofrance

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