Dans l'entretien que OneRepublic a accordé à Ozap, lui et son camarade Drew Brown en disent plus sur leur deuxième album, "Waking Up", qui a connu un démarrage difficile, et du single "All The Right Moves", qui en a décontenancé plus d'un mais a finalement intégré le top 20 américain près de sept mois après sa sortie. Le groupe évoque également l'avenir de la musique et du format album, le modèle Justin Bieber, le succès phénoménal de Lady GaGa et des Black Eyed Peas, ainsi que son ambition de redéfinir ce qu'est aujourd'hui un groupe.
« On était impatients et enthousiastes »
Combien de fois êtes-vous déjà venus à Paris ? Vous avez déjà tourné un clip, ici, pour "Say (All I Need)"...Drew : Je pense que c'est notre cinquième fois
Zach : Oui, je crois, et c'est vrai qu'on a tourné notre clip ici !
Pourquoi avoir choisi de le tourner à Paris ? Parce que c'est considéré comme la plus belle ville du monde ? La plus romantique... ?
Drew : Ils nous ont donné plusieurs options. Il y avait aussi Prague, deux-trois autres villes, mais quand ils nous ont proposé Paris, on n'a pas hésité une seule seconde. Et il y a plusieurs films que j'aime beaucoup qui ont été tournés ici.
Comme par exemple... ?
Ronin ! C'est le meilleur film de poursuite en voitures que j'aie vu !
Parlons un peu de l'album, "Waking Up", « se réveiller » en français. Que pouvez-vous m'en dire ?
Zach : C'est dur de se réveiller ! (Rires)
Drew : On voulait faire un album sur ce qu'il y a de plus difficile quand on est dans un groupe de rock ! Non, sérieusement, "Waking Up" était un moment très excitant pour nous. Ca faisait un sacré bout de temps qu'on n'avait pas réellement enregistré de musique - "Dreaming Out Loud" avait été enregistré il y a cinq ans - donc quand le moment est venu de faire ce deuxième album, on était tous assez impatients et enthousiastes sur un plan artistique.
« Si l'album était un patient atteint d'une maladie, cette maladie serait un cancer en phase terminale »
Qu'est-ce qui a changé entre ces deux albums, puisqu'il y a eu justement cinq ans entre les deuxDrew : Beaucoup de choses ont changé. Déjà, au niveau des thèmes, il y a beaucoup de différences. Sur le premier album, on chantait beaucoup sur des situations, du point de vue d'un groupe qui essaie de percer à Los Angeles. Sur ce nouvel opus, on parle de ce qu'on veut aujourd'hui, ce qu'on souhaite, ce qui nous trouble, qui nous déstabilise. En gros, ils ne pouvaient pas être plus différentes au niveau des thèmes abordés.
Ryan : Et puis, sur le premier album, même si on en a vendu pas mal, il y avait surtout deux titres que les gens ont vraiment aimé, à l'international : "Apologize" et "Stop and Stare". Donc on s'est dit, ce n'est pas comme si on avait vendu 10 millions d'albums, qu'on est Lady GaGa, et que tout le monde sait à quoi on ressemble, et ce qu'on doit être. Donc on a pu faire plus ou moins exactement ce qu'on voulait - tant que les chansons étaient assez bonnes. Il y a très peu d'artistes avec qui le public connecte immédiatement - même si, encore une fois, il y a des exceptions comme Lady GaGa, qui enchaîne cinq, six, sept numéros un d'affilée.
Vous pensez que le concept d'album est obsolète ?
Drew : Je pense que si c'était un patient atteint d'une maladie, cette maladie serait un cancer en phase terminale. Et c'est quelque chose qui nous attriste. Nous, on aime acheter des disques, mais les jeunes...
Ryan : Quand on a signé notre premier contrat, les ventes chutaient, mais les gens continuaient d'adhérer au concept d'album. Mais en cinq ans, tout a changé. Les ventes de singles ont grimpé, les ventes d'albums ont chuté... Selon moi, la seule façon de vendre encore des albums, c'est d'avoir toute une série de hits, comme Beyoncé, les Black Eyed Peas ou Lady GaGa. Les gens se diront "Allez, j'aime quatre ou cinq titres, je vais acheter l'album". Et puis il y a des Michael Bublé, qui vendent à des consommateurs qui ont plus de 50 ans.
Et votre public à vous, c'est qui ?
Ryan : Je dirais que nos fans ont entre 15 et 35 ans, à peu près. Si on donnait un CD à certains, ils nous regarderaient et nous diraient "Je fais quoi avec ça ? C'est pas pratique, maintenant je dois le transporter avec moi ! Mon téléphone contient 15 000 trucs comme ça". Aujourd'hui, ce ne sont plus les albums qui comptent, mais les chansons. Et je pense que ce sont surtout les groupes qui vont en souffrir, parce que ce sont surtout les groupes qui créent de vrais albums. On a de la chance, on est l'un des rares groupes à passer en radio, parce que pour la plupart, ils ne passent pas ! Du coup, si l'album disparaît, qu'est-ce qu'ils vont faire ?
« Je pense que les albums vont devenir plus petits »
Vous pensez que c'est possible, que les albums disparaissent ?Ryan : Je pense surtout que les albums vont devenir plus petits, et qu'ils seront plus fréquents. Et je ne sais pas si on les appellera encore albums.
Et vous ne vouliez pas tenter cette approche cette fois-ci ?
Ryan : Non. Je pense que, égoïstement, quand j'aurai 50 ans, j'aurais envie de dire "C'était notre deuxième album". Et être capable de montrer à mes enfants et mes amis des chansons qui étaient géniales, nos meilleures peut-être, et qui ne sont jamais passées à la radio.
Drew : Et puis je pense que, au bout de cinq ans, ça nous aurait fait bizarre de ne pas sortir un album complet. Et on vient d'une époque où l'expression artistique reste un album complet.
Mais vous parlez de superbes chansons qui ne passeront pas à la radio. Pourquoi ne pas en sortir une chaque semaine, ou chaque mois, indépendamment les unes des autres ?
Drew : Cet album est spécial pour nous. Il y a des chansons là-dessus qui ne pourront jamais passer en radio, mais on savait aussi, quand on l'a enregistré, qu'il en fallait qui soient plus accessibles. Donc on s'est assurés qu'il y en avait bien trois ou quatre qui répondaient à ce critère. Et une fois qu'on a eu ces chansons, on s'est dit qu'on pouvait faire tout ce qu'on voulait, être les plus imaginatifs et les plus fous, même. Il y a une chanson qui est presque un mélange de deux titres, une autre qui commence très rock puis on enchaîne avec trois minutes de cordes... C'était volontaire, c'était une sorte de déclaration artistique. Et puis on savait que c'était peut-être l'un des derniers véritables "albums" qu'on allait sortir.
« Justin Bieber est le plan de bataille des labels pour l'avenir »
Et c'est donc incompatible avec l'idée de sortir ces chansons une par une ?Drew : Ce serait génial de faire ça, un peu comme ça se passait dans les années 60, où les artistes sortaient single après single après single. Mais les radios d'aujourd'hui ne le permettent plus. C'est n'importe quoi maintenant ! Si tout le monde dans une station aime une chanson, ils font malgré tout passer le titre par une ribambelle de sondages et de tests, d'études de marché... Si ça ne plaît qu'à telle ou telle partie de la population, alors ils ne le passent pas.
Ryan : Je pense que les maisons de disques vont bientôt sortir des albums de six ou sept titres...
... Un peu comme Justin Bieber
Ryan : Oui, exactement. Justin Bieber est un peu leur plan de bataille pour l'avenir. Je connais les gens de son label et ils m'ont expliqué leur stratégie : c'est un nouvel album tous les quatre mois. Selon eux, définir un album comme une collection de douze titres, c'est stupide et dépassé. Certains le font encore, les groupes surtout, mais selon eux, si on fait sept chansons tous les quatre mois, alors dès qu'on lance un nouvel "album", on bénéficie à nouveau de toute la promo, du soutien de la presse, etc. Et il ne faut que deux chansons par "album" qui fonctionnent vraiment, vraiment bien. Parce que quand on a fini l'exploitation du deuxième single, on enchaîne avec un nouvel album. Ca rejoint un peu ce qui se passait dans les années 60 et 70. Les artistes sortaient des EP, avec un vrai single sur chaque EP de quatre ou cinq titres, et ils en sortaient deux ou trois par an. A l'époque, c'était trop cher pour certains d'acheter des albums, et en fait c'est un peu pareil aujourd'hui.
« Les gens sont prêts à dépenser 8 euros pour allé au ciné, mais pas 10 euros pour un album »
C'est le prix des albums qui pose problème et qui implique ce nouveau système ?Ryan : En partie, oui, et c'est un peu triste. Parce que les gens, aussi bien aux Etats-Unis qu'ici en France, sont prêts à dépenser huit euros pour aller au cinéma, et qu'ils regardent pendant 1h30 sur place. Mais un album, on peut le garder pour toujours, l'écouter encore et encore et encore, mais l'idée de payer 10 euros, c'est trop pour les gens. Mais c'est comme ça. Donc soit on reste assis et on râle, soit on s'adapte. Notre troisième album, qu'on n'a pas encore commencé, je pense qu'on le sortira de manière originale. On a fait "Waking Up" de la sorte parce qu'on savait qu'il s'agissait peut-être de notre dernière chance de le faire de cette façon.
L'album est sorti l'an dernier aux Etats-Unis, et il a mis pas mal de temps à décoller, tout comme le single "All The Right Moves", qui a mis sept mois à vraiment fonctionner. Comment ça se fait ? C'est la faute des radios ?
Ryan : Oui, mais je pense qu'on a envoyé le titre à la pire période imaginable. Il y avait les Black Eyed Peas et Lady GaGa, et rien qu'à eux deux, ils utilisent peut-être 25% des ondes. Comme les radios ont un nombre limité de chansons qu'elles peuvent diffuser - généralement, elles en passent une quarantaine - il n'y avait pas de place pour nous. Il y avait aussi les Kings of Leon, Taylor Swift...
Drew : Oui, les radios jouent de moins en moins de titres...
Ryan : C'est vrai, elles jouent les hits 20% plus souvent qu'avant. En 2010, un hit a 20% d'airplay en plus qu'en 2005. Il y a donc 20% de nouvelles chansons et de nouveaux artistes en moins. Il y a donc beaucoup plus de concurrence que quand on a lancé "Apologize". Et puis, ce serait facile si on sortait toujours une chanson comme "Apologize", on n'aurait pas à s'en faire.
« Si quelqu'un peut redéfinir le concept de groupe, c'est nous ! »
C'est vrai que, à l'époque, "Apologize" a battu le record du plus grand nombre de diffusions radio de l'histoire...Ryan : Exactement ! Mais on n'a pas du tout envie de refaire tout le temps la même chose. Quand on a sorti "All The Right Moves", il est arrivé un peu la même chose qu'avec "Stop and Stare". On disait aux radios "On pense que ce titre est un tube". Les radios n'étaient pas convaincues, mais on a insisté. "Si, si, c'est un hit !". Et six mois plus tard, effectivement, c'était un hit. Avec "All The Right Moves", ça a été la même chose. On nous a dit "Ce n'est pas du OneRepublic". Donc on leur répondait "Mais est-ce que c'est un hit", et ils répondaient "Peut-être, oui". Et heureusement, quand ils ont passé le titre, les gens aimaient, les tests étaient positifs. Du coup, six, sept, huit mois après, on a un joli hit, écoulé à 2 millions de téléchargements rien qu'aux Etats-Unis. C'est assez difficile aujourd'hui, les radios font toute la place aux artistes pop solo, mais on espère que ça va continuer pour nous dans ce sens.
Le succès des artistes pop solo, c'est plutôt un bon point pour vous Ryan, puisque vous écrivez justement pour ces artistes...
Ryan : Oui, c'est vrai que j'en tire parti. Et je pense que, comme je travaille pas mal avec ces artistes, ça m'aide quand nous, on entre en studio. Parce que je sais ce qui ne va pas marcher. Je ne dis pas que je sais toujours ce qui va marcher, mais au moins, je sais ce qui ne marchera pas, surtout en termes de production. Parce qu'un hit est un hit. Une super chanson est une super chanson. S'il y a une connexion entre les gens et la chanson, elle restera dix ans plus tard. A partir de là, la différence entre ce qui fera un succès ou non, c'est le packaging. Et c'est pour ça qu'on a essayé d'apporter quelque chose de frais, d'original et nouveau, quelque chose que personne ne fait à l'heure actuelle. C'est un peu plus risqué, sans doute.
Le fait d'être un groupe, justement, ça fait partie de ce que vous appelez le packaging ? Est-ce que c'est plus difficile pour un groupe que pour un artiste solo de tenter des choses différentes ? Je pense à Rihanna, qui change souvent de style mais reste très identifiée, par exemple.
Drew : Oui, je pense. On écoute certains artistes pop solo et on se dit... "Sérieusement ?". Il y a des chansons horribles ! Ou alors ils font toujours la même chose. Nous, on a grandi en écoutant des groupes à la radio, avant que toutes les radios ne soient la propriété d'un seul et même groupe. C'est dingue, quand on pense qu'à une époque, on pouvait mettre une radio commerciale et entendre Soundgarden, les Smashing Pumpkins, matchbox twenty...
Ryan : Oui, c'est terrible. La plupart de ces groupes qui ont dominé les années 1990 à 2000, s'ils essayaient d'avoir un contrat aujourd'hui, on ne les signerait pas ! Je suis ravi pour les Kings of Leon, qui sont l'un des rares groupes à avoir éclos ces dernières années. Donc quand tu nous demandes si on ne peut pas sortir ce qu'on veut parce qu'on est un groupe... Je ne sais pas. Mais s'il y a un groupe qui peut le faire, je pense que peut-être, c'est nous. Je pense qu'on peut réussir à redéfinir ce qu'est un groupe et ce qui est attendu d'un groupe et ce qu'il peut sortir, surtout parce qu'on n'est pas attaché à un son en disant "C'est notre son et puis c'est tout". On est encore assez nouveaux pour pouvoir se permettre ce genre de choses, pour sortir quelque chose que personne n'a encore fait. Sur notre troisième album, qui sait ce qu'on fera !