La première fois que j'ai entendu parler de Secret Investigation Record, mon réflexe a été de relire à nouveau l'article qui m'était tombé sous les yeux, de crainte que mon cerveau ait mal traduit le texte anglais qui défilait. Mais non, tvN envisageait bel et bien d'explorer des mystères fort peu courants dans les fictions asiatiques, en embrassant une thématique de science-fiction. Mieux encore, l'histoire se déroulerait au... XVIIe siècle. Adieu images d'Epinal futuristes, bonjour cadre de sageuk traditionnel. De quel scénariste ingénieux défiant les conventions cette initiative venait-elle ? La simple idée, presque saugrenue, de mêler ces deux thèmes a priori si éloignés avait fait naître en moi une curiosité, d'où perçait une pointe d'enthousiasme. Impression renforcée par les premières bandes-annonces où, à défaut de petits hommes verts, des objets volants non identifiés semaient la panique dans certaines provinces du royaume de Joseon...
La diffusion ayant débuté le 20 août 2010 - pour 12 épisodes prévus au total -, c'est donc avec une certaine excitation, doublée d'une relative appréhension (en raison de la fameuse équation, trop d'attente = déception), que j'ai lancé les deux premiers épisodes l'autre soir. D'une durée excessivement brève (seulement 45 minutes chacun), je ne les ai pas vus passer. S'ils se contentent d'introduire les enjeux, ils le font efficacement et remplissent pleinement leur office qui était de s'assurer que le téléspectateur serait fidèle au poste pour le prochain. Car, oui, me voilà fort intriguée et plutôt enthousiaste.
Les premières scènes du pilote donnent immédiatement le ton de la série. Une exécution est perturbée par le passage d'un étrange objet lumineux dans le ciel qui, poursuivant sa route, sème la panique dans les bourgs environnants d'une petite province de Chosun où débute l'histoire. Ayant assisté à toute la scène, le gouverneur estime qu'il est de son devoir de rapporter les faits troublants dont il a été témoin, en dépit des fortes réticences de ses subordonnés qui devinent qu'une telle information risque de ne pas laisser le pouvoir indifférent. En cas de mauvaise nouvelle, le messager est souvent celui qui est blamé. C'est que, si de nos jours, de tels rapports seraient classifiés comme provenant d'un fou, on devine que dans la société rigide de la Corée du XVIIe siècle, tenir de telles allégations reviendrait plutôt à remettre directement en cause l'autorité du souverain. En clair, l'interprétation se rapprochera plus du soupçon de trahison que de propos tenus par un illuminé. C'est ainsi que le pouvoir réagit de la manière la plus conservatrice qui soit, procédant à l'arrestation du gouverneur et entreprenant de le faire se dédire par la torture.
Tout aussi logiquement, les hauts dignitaires de la capitale dépêchent un enquêteur sur place, officiellement pour vérifier les faits avancés, officieusement pour enterrer l'affaire et donner des fondations à l'accusation de complot portée contre le gouverneur. C'est à Kim Hyung Do que revient cette dangereuse tâche, désigné en raison de son absence d'affiliation politique, mais dont l'accusé fut le mentor. Particulièrement déterminé, attaché uniquement à la vérité, il met immédiatement le doigt dans un engrenage fort dangereux. Evidemment, ses découvertes - notamment la disparition d'un village entier - tendraient plus à confirmer les propos du gouverneur, ce qui n'est pas un résultat acceptable pour ses supérieurs.
Excessivement têtu, le jeune homme s'obstine dans ses investigations, mettant peu à peu à jour la réalité d'évènements troublants, dont l'existence d'un service particulier de l'Etat gardien de bien des secrets. Le sacrifice finalement consenti par son mentor exonèrera Hyung Do dans l'affaire de l'ovni, mais il lui ouvre surtout dans le même temps les portes de ce service mystérieux où le jeune homme se retrouve affecté d'office, en plus de sa fonction d'officier enquêteur. Leur mission est de consigner les évènements inexpliqués qui peuvent avoir lieu dans le Royaume, avec l'espoir que dans quelques centaines d'années, d'autres seront en mesure de comprendre ces phénomènes : ce sont les fameux "X-Files" des Annales de l'Histoire de Chosun. La vie de Hyung Do va prendre alors une toute autre perspective.
Le premier - et principal - point fort de Secret Investigation Record réside bien évidemment dans l'originalité des thématiques mises en scène. Au pays du mélodrama et des comédies romantiques, voici une série qui se propose d'introduire rien moins que de la science-fiction dans son scénario ! Tranchant au sein du paysage téléphagique sud-coréen, l'initiative constitue déjà un effort louable et appréciable qu'il convient de saluer. Pour ce qui est de l'introduction dans le fantastique, celle proposée par les deux premiers épisodes reprend un thème très classique du genre (mais rarement mis en scène au pays du Matin Calme, il faut bien le dire) : un objet volant non identifié provoque des scènes de panique en effectuant des rase-mottes dans une province de Chosun. Une telle vision suscitant déjà toutes les spéculations possibles dans notre monde moderne, je vous laisse imaginer l'ampleur des rumeurs que cela peut déclencher, au XVIIe siècle, la simple idée d'un objet volant dans le ciel paraissant défier toute rationnalité.
A partir de là, Secret Investigation Record poursuit dans l'exploration de cette thématique en optant pour le recours à tout ce qui a su faire le charme de ces histoires. Rien ne manque à l'appel dans le manuel de la rencontre du 3ème type : qu'il s'agisse de la sonde volante, ou bien de l'intense lumière blanche aveuglante, ou encore de la faille temporelle (parlons même de "boucle") à proximité de la région où semble se fixer l'ovni, tous les ingrédients sont là. Ce classicisme est en un sens rassurant, car on y trouve instantanément ses marques. Cependant, les réflexes du téléspectateur, abbreuvé de déclinaisons à l'infini de ces thématiques sous d'autres latitudes, le rendent plus perceptif aux excès de naïveté dont les scénaristes font preuve dans la gestion de ces éléments. Instinctivement, on opère des comparaisons et la transposition de ficelles traditionnellement occidentales à la sauce sud-coréenne déstabilise parfois un peu.
La gestion du rythme narratif suit un tâtonnement similaire. En effet, les scénaristes jugeant peut-être que 12 épisodes, cela va être excessivement bref pour nous relater tout ce qu'ils ont en projet, n'hésitent à introduire des sauts dans la narration, des ruptures de rythme, voire à prendre des raccourcis. Tout cela a l'avantage de permettre à l'intrigue de passer très vite, sans que l'attention, ni l'intérêt du téléspectateur ne faiblissent un seul instant. Cependant, le bémol est d'engendrer parfois une impression de rapidité excessive, avec des avancées brusques et certains points considérés comme implicites, alors qu'ils auraient mérité un peu plus d'exposition. C'est à l'évidence un choix fait à dessein par les scénaristes : ils refusent de proposer un simple récit trop posé. D'ailleurs, on retrouve dans les ficelles narratives de ce drama beaucoup de subtilité et de non-dits : tout n'est pas présenté "clef en main" au téléspectateur, à lui de se montrer attentif. Cette responsabilisation n'est pas pour me déplaire, tant certains dramas ont la fâcheuse tendance de souligner à outrance les évidences. La tradition des séries coréennes reste cependant conservée, par le biais d'une écriture qui demeure suffisamment "innocente".
C'est parfois par ces allures un brin naïves que Secret Investigation Record pèche un peu, donnant l'impression de naviguer entre deux eaux. En dépit de ces quelques maladresses, il faut saluer l'effort réalisé pour nous plonger dans une atmosphère résolument sombre, où perce une paranoïa sourde, nous invitant à nous méfier de tous ceux que croise Hyung Do. Rapidement, le téléspectateur s'interroge sur les loyautés réelles ou supposées des uns et des autres, sentant confusément qu'il lui manque certains éléments pour comprendre les luttes d'influence qui se jouent sous nos yeux. Entre ambitions personnelles, protection du royaume et service du roi, les conflits d'intérêts sont arbitrés diversement suivant les protagonistes. S'ajoutant aux ingrédients de fantastique introduits, l'atmosphère ainsi créée se révèle des plus intriguantes, captivant rapidement le téléspectateur pour culminer dans les scènes de fin du deuxième épisode - magistrale mise en scène des loyautés qui s'étiolent - qui me laissent espérer que la suite sera du même calibre.
Prenant beaucoup d'initiatives sur le fond, avec des expériences narratives des plus intéressantes même si elles ne sont pas toujours maîtrisées, Secret Investigation Record se démarque également considérablement des dramas traditionnels dans sa forme. Il faut absolument insister et rendre hommage au style choisi. Loin des couleurs chatoyantes et artificielles d'un tournage en studio, la réalisation a opté pour des couleurs plus sombres et riches, dans une tradition qui se rapproche plutôt des productions cinématographiques sud-coréennes. Le choix est parfait pour retranscrire la tonalité du drama. La photographie est superbe, faisant ressortir la beauté tant des paysages que des personnages. Elle donne en plus une impression de réalisme accrue. Ce ressenti est renforcé par la décision de filmer nombre de scènes "caméra à l'épaule". L'image tressaute, contribuant à cette atmosphère un peu inquiétante. Pour parler en terme de comparaison, cela m'a fait penser un peu à la manière dont était réalisé Conspiracy in the court, mais de manière plus ambitieuse, aboutie et soignée. Pour accompagner cette réalisation sans artifice, la bande-son, tout d'abord en retrait, se révèle progressivement dans des morceaux instrumentaux qui sont un écho parfait pour parfaire l'ambiance atypique qui règne dans ce drama.
Enfin, le drama peut s'appuyer sur un casting globalement solide. Kim Ji Hoon décroche ici un premier rôle des plus intéressants, incarnation du héros (trop) droit, maniant un esprit logique et déductif acéré, et n'ayant pas froid aux yeux. Il s'en sort plutôt bien dans les divers registres que son personnage expérimente, de l'émotionnel jusqu'à la froide détermination. Un brin de sur-jeu parfois, mais rien de bien rédibitoire. Les deux premiers épisodes étant résolument centrés sur Hyung Do, on a assez peu l'occasion d'apprécier les performances des autres membres du casting qui, pour le moment, se contentent d'une présence en retrait. On retrouve parmi eux Im Jung Eun en vis-à-vis féminine intrigante, l'excellent Kim Gad Soo, Jo Hee Bong ou encore Jun So Min.
Bilan : Secret Investigation Record tranche dans le paysage téléphagique sud-coréen traditionnel à plus d'un titre. Si sa thématique s'inscrit dans les canons du genre - tout téléspectateur un tant soit peu familier avec la science-fiction occidentale y retrouvera tous les ingrédients indispensables -, l'originalité réside en fait surtout dans le cadre historique qui est proposé. Prendre un thème aux accents plutôt futuristes pour y mêler les données et les contraintes du Chosun du XVIIe siècle, voilà quelque chose qui est assez osé. L'expérimentation semble d'ailleurs le maître mot des scénaristes qui tentent beaucoup, tant sur la forme, avec une réalisation originale superbe, que sur le fond, avec un style narratif à parfaire et une atmosphère sombre, teintée d'une paranoïa diffuse, qui prend peu à peu. Tout n'est pas parfaitement maîtrisé dans le rythme de l'histoire, certains aspects pèchent par une écriture un peu naïve, mais ces deux premiers épisodes montrent assurément des choses très intéressantes qui donnent envie de poursuivre l'aventure. Une expérience à poursuivre !
NOTE : 7,5/10
Le générique de la série :
La bande-annonce de la série (version courte) :
La bande-annonce de la série (version longue) :