Sans surprise, les manifestations contre le projet gouvernemental de réforme des retraites ont pris un air de tsunami, réunissant dans la rue entre 1,1 million de manifestants selon la police et 2,7 millions selon les syndicats. L’importance du sujet, présenté comme un rendez-vous pour la Nation par Jean-François Copé, mériterait mieux que d’être tranché, comme le souhaite Nicolas Sarkozy, par un bras de fer destiné à resserrer autour du chef de l’Etat une droite en proie au doute. Parce qu’elle incarne un véritable choix de société et reflète une très forte demande de justice sociale à travers une répartition équitable des efforts et des richesses, la réforme des retraites ne devrait pas être déconnectée par anticipation du débat des présidentielles de 2012.
“J’entends ceux qui manifestent mais j’entends aussi ceux qui ne manifestent pas” avait déclaré Dominique de Villepin en 2006 au sujet des manifestations anti-CPE. Nicolas Sarkozy comme d’autres avant lui mise sur la France silencieuse, la France muette, celle qui ne défile pas et qui par réaction aux mouvements de rue conforte dans les urnes les gouvernants du moment.
Sans aller jusqu’aux multiples reculades de la présidence Chirac, la recherche d’une base consensuelle minimale sur le dossier des retraites imposerait dans un mode de gouvernance posé de prendre le temps nécessaire à la concertation et à l’intégration après débats d’éventuelles propositions.
Le risque pour le pays c’est que ce qui est déjà présenté comme la réforme majeure du mandat de Nicolas Sarkozy soit du même acabit que celles engagées depuis son arrivée à l’Elysée à savoir, à demi abouties.
Hors, dans sa configuration actuelle, le projet gouvernemental ne règle pas le fond du problème. Certains observateurs font remarquer que ce n’est pas une réforme des retraites que l’on entreprend mais, une campagne de réduction des déficits en jouant sur un seul levier : le recul à 62 ans de l’âge légal du départ.
Il s’agit là plus d’un choix dogmatique que courageux, un marqueur idéologique à l’attention des électeurs de droite qui a un goût de revanche par rapport à la réforme emblématique des 35 heures. Il s’agit également de donner des gages aux agences de notation financières. De ce côté-là au moins, ce devrait être réussi avec un effort pour l’essentiel supporté par les salariés. Les quelques ajustements gardés en réserve ne devraient qu’atténuer à la marge, et c’est problématique, le sentiment dominant d’une réforme injuste.
Les chiffres sont cruels. Tous les économistes s’accordent pour relever qu’en l’état actuel la réforme Sarkozy des retraites n’assure pas l’avenir du régime de retraite par répartition. Au-delà de 2018, tout restera à faire. Les 35 milliards d’euros piochés dans les caisses du fonds de réserve des retraites seront consommés et les gains économiques de la retraite à 62 ans épuisés. La copie sera à reprendre.
Elle devra l’être à l’aune du rapport de la cour des comptes de juin 2010 et par rapport à la problématique globale des finances publiques et de la dette. La situation est alarmante. Outre un Etat surendetté devenu impécunieux par son augmentation des dépenses et l’abandon de pans entiers de recettes, se posera en plus des retraites la question du financement de l’ensemble de la protection sociale dont toutes les branches sont dès à présent en déficit.
C’est donc bien d’une remise à plat de l’ensemble de la Maison France qu’il faudra procéder. Les candidats aux présidentielles de 2012 ne pourront évacuer le sujet dans leurs programmes. La grande réforme de Nicolas Sarkozy n’apparaîtra alors que comme un cautère sur une jambe de bois et une occasion manquée.
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