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Le drame de l'épargne

Publié le 08 septembre 2010 par Copeau @Contrepoints
Le drame de l'épargne

Nous y avons fait allusion la semaine dernière, dans notre article de rentrée concernant l'économie française : l'épargne en France a progressé, en dépit ou plutôt à cause d'une situation économique dégradée. Pour la plupart des observateurs, cette hausse de l'épargne est un drame, et elle est considérée comme une des raisons de la faiblesse de croissance de l'économie française. L'épargne serait un mal, puisqu'elle est une non-consommation. On voit ici que le keynésianisme, mort depuis longtemps pour la science économique, ne l'est pas dans les têtes et que l'on véhicule en fait les mêmes erreurs sur l'épargne depuis deux siècles.

De Malthus à Keynes en passant par Marx

D'abord, les chiffres. Le taux d'épargne des ménages (rapport entre l'épargne des ménages et leurs revenus) a progressé. Elevé dans les années 60 (jusqu'à près de 17%), il a progressivement chuté pour atteindre 12,9% en 1990 : un tiers en moins. Mais ce chiffre a peu à peu progressé à nouveau, atteignant 15,5% en 2007 et 15,4% en 2008. L'INSEE vient de publier les chiffres définitifs pour 2009 : le taux a à nouveau progressé, pour atteindre 16,2%, près de ses records historiques. Pour 2010, il est encore un peu tôt pour avancer un chiffre précis, mais la plupart des instituts d'analyse prévoient une nouvelle hausse et l'OFCE envisage même 16,8%.

Le discours dominant consiste à déplorer cette situation. Les raisons en sont simples : épargner, c'est renoncer à consommer. Or, sous l'influence keynésienne, on considère qu'en France, c'est la consommation qui est le moteur de l'économie. Accroître l'épargne, c'est diminuer la consommation, donc la croissance. Les Français, en épargnant plus, creuseraient en quelque sorte leur propre tombe.

Cette analyse a un pedigree : Malthus, Marx, Keynes. Malthus a proposé la première explication historique de « la crise ». Il explique la faillite de quelques entreprises industrielles anglaises (notamment des fabriques de textile) par la sur-production : les clients n'ont pas suivi l'entrepreneur. Pourquoi ? Parce qu'ils n'ont pas consommé tout le pouvoir d'achat qu'ils avaient retiré de leur travail, ils ont trop épargné. Marx franchira une étape supplémentaire en dénonçant l'exploitation des travailleurs par leurs employeurs. Les travailleurs ne perçoivent qu'un revenu de survie, très inférieur à la valeur qu'ils ont produite, donc leur pouvoir d'achat est toujours inférieur à ce qui aurait dû leur revenir. Il y a ainsi sous-consommation de la classe ouvrière. Malthus impute la crise à l'excès d'épargne des riches, Marx à l'épargne forcée imposée aux pauvres pour financer l'accumulation du capital. Mais ce capital ira grossir encore la production, et le fossé ne cessera de se creuser entre production et consommation, jusqu'à ce qu'une crise générale de surproduction anéantisse le système capitaliste lui-même.

Keynes va rajeunir cette théorie un peu vieillotte et très dix-neuvième siècle, face à la crise de 1929, mais le principe est le même : la crise vient d'une insuffisance de la demande globale et notamment de la consommation. Car lorsque le revenu augmente, la consommation ne s'accroît pas dans la même proportion (une « propension marginale à consommer » inférieure à un) et les entrepreneurs ne retrouvent plus sous forme de dépenses la totalité du pouvoir d'achat qu'ils ont distribué : ils doivent donc réduire leur offre à cause de l'insuffisance de la demande globale spontanée. L'épargne est bien un drame pour Keynes, et il est allé jusqu'à lancer des appels angoissés à la radio suppliant les ménagères anglaises d'aller dépenser leur argent ! Si la ménagère reste sourde à ces appels, le gouvernement interviendra : c'est lui qui va dépenser, en ponctionnant l'excès d'épargne par l'impôt (notamment sur les riches, qui épargnent le plus).

Harpagon enfouit son épargne

Jean-Baptiste Say, contemporain de Malthus, en avait relevé l'erreur majeure : en affirmant que les sommes épargnées disparaissent du circuit économique. Malthus confondait épargne et thésaurisation. La thésaurisation, c'est l'affaire d'Harpagon. Elle consiste à stériliser sa richesse, à la cacher dans un coffre ou sous des matelas, d'où elle ne sortira jamais. Attitude exceptionnelle ou pathologique, dira Jean Baptiste Say : on met de l'argent de côté pour s'en servir plus tard. Mais assez régulièrement le thème de l'épargnant-Harpagon ressort dans l'imagerie populaire. En France, au moment du Front populaire, c'est l'image des valises de billets disparaissant (pour combien de temps ?) de la circulation (pour franchir les frontières ?) qui se répand dans la presse... Aujourd'hui l'épargnant serait peut-être celui qui porte son argent en Suisse…

En réalité, à l'heure actuelle, l'épargne des Français est entre les mains d'intermédiaires financiers (banques, caisses d'épargne, organismes financiers spécialisés) ou placée directement sur les marchés comme la bourse. L'épargne ne dort pas et si banques ou autres versent un intérêt, c'est parce qu'elles prêtent aussitôt leur argent à d'autres (ménages ou entreprises), qui vont s'en servir pour consommer ou investir. Il en va de même pour l'épargne placée en obligations ou actions : elle se transforme en dépenses, d'investissement ou de fonctionnement. Enfin, si l'épargne va en Suisse, il y a aussi de l'épargne étrangère en France, quand il y a des placements attractifs.

Ainsi l'épargne n'a-t-elle pas abouti à une moindre demande, mais à une demande faite par d'autres : ce n'est plus la même main qui dépense, mais il y a toujours dépense.

Epargne et flexibilité de l'économie

Ainsi donc, si le taux d'épargne passe de 15 à 16%, cela veut dire que la demande faite par ceux qui ont perçu les revenus passe de 85 à 84, mais celle qui est faite par les emprunteurs, bénéficiaires de cette épargne, passe elle de 15 à 16 ; cela ne change rien et c'est donc une illusion d'imaginer que le ralentissement de la conjoncture peut provenir d'une hausse de l'épargne. A la limite, cela permet une meilleure utilisation de cet argent, puisque l'épargne finance plutôt des investissements, donc des éléments qui favorisent la croissance à long terme.

C'est l'expression de la fameuse loi des débouchés de Jean-Baptiste Say, reprise aujourd'hui par les économistes de l'offre. La loi indique que, dans tous les cas, l'offre crée sa propre demande. La valeur ajoutée des entreprises a pour contrepartie rigoureuse l'ensemble des revenus distribués aux travailleurs (salaires), aux apporteurs de capitaux (intérêts) et aux entrepreneurs (profits). En même temps que le produit, l'entreprise distribue le pouvoir d'achat qui permettra d'acheter d'autres produits (ou celui-là même). Pour comprendre le mécanisme, il faut donner une lecture micro-économique de la loi de Say, et imaginer une économie composée de deux entreprises, qui proposent respectivement des produits A et B. L'entreprise A peut faire de mauvaises anticipations et produire trop de bien A, alors que les gens veulent plus de bien B. Il y a bien déséquilibre, non pas global (comme le pensait Keynes), mais sectoriel. Mais ce déséquilibre va se résorber par le mécanisme des prix relatifs : les prix diminuent pour le bien A (offre supérieure à la demande) et augmentent pour le bien B (demande supérieure à l'offre), provoquant une hausse des rémunérations (salaires, intérêts, profits) en B et donc le déplacement des hommes et des capitaux de A (moins rémunérateur) vers B (plus rémunérateur). Bien entendu, compte tenu des rigidités de la réalité économique, ces adaptations peuvent prendre du temps, d'où des déséquilibres provisoires. Plus flexible est l'économie, plus bref sera ce temps.

Libérez l'épargne !

Dans ces conditions, la hausse de l'épargne est loin d'être un drame et il est inutile de prétendre la compenser par une relance de la consommation. En ce sens, les mesures qui visent à augmenter les impôts sur l'épargne sont un mauvais choix. C'est pourtant le choix fait en France, où l'épargne est taxée une première fois (à travers le revenu perçu), une deuxième fois (sur les rendements de l'épargne placée), voire une troisième (si elle est transmise). Compenser cette surimposition par des niches fiscales est arbitraire, car l'Etat oriente l'utilisation de l'épargne, sans considération du marché. Supprimer ensuite les niches fiscales n'est qu'une hausse d'impôt déguisée. Or, s'il y a bien quelque chose qui doit être détaxé, c'est l'épargne : la moitié de l'épargne (8,2%) est investie en logement ; l'autre moitié est soit des investissements des entrepreneurs individuels (1% environ) ce qui prépare l'avenir, soit de l'épargne financière (7% environ).

Voilà le vrai problème chez nous : cette épargne financière devrait préparer l'avenir en finançant des entreprises privées, donc des investissements productifs. Or elle sert avant tout à financer les déficits publics (donc des dépenses improductives) ; elle va aussi sur le livret A, qui finance la Caisse des Dépôts, donc les HLM et autres équipements publics ou encore le fameux fonds souverain français : toutes choses improductives ou étatiques. Il faut donc se réjouir de la hausse de l'épargne, même si elle vient de mauvaises raisons, (et non du dynamisme économique) comme la peur de l'avenir, la peur du chômage, la peur d'une hausse d'impôts future, etc. Mais il faut regretter que tout le système financier français conduise l'épargne financière vers le secteur public et improductif au lieu de financer les vrais investissements productifs. L'épargne n'est donc pas un drame ; c'est l'étatisation de l'épargne qui pose problème.

Lire aussi :

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Article repris depuis la Nouvelle Lettre avec l'aimable autorisation de Jacques Garello. Image : Impots-Utiles

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