Le titre est explicite, la citation
placée en bas de couverture également : « Que pouvons-nous faire pour
les morts sinon penser, se rassembler, crier : Plus jamais
ça ? » Nous sommes donc face à une œuvre engagée, pacifiste, mais la
forme de cet engagement est particulière. Laurent Grisel n’écrit pas contre
telle ou telle guerre, actuelle ou antérieure. Le livre va contre la guerre et
pour la paix, dans l’absolu. Les quatre « personnages » qui
interviennent ne sont pas individualisés : « Homme »,
« Femme », « Bourreau », « Justice ». Ils
représentent quatre points de vue différents. L’Homme, le soldat, a fait la
guerre sans le vouloir : « Pourquoi fallait-il obéir ? /
Seulement nous savions que ceux d’en face/ obéissaient / et visaient. »
(p.19) Il est hanté par ses camarades morts et l’absurdité du combat.
Le Bourreau , lui, se présente comme un exécutant irresponsable :
« J’exécutais. »(p.26), « Je n’ai rien fait. J’étais à une
place, c’est tout. » (p.42) La guerre modifie ses actes mais il reste un
rouage ordinaire dans une mécanique
qui le dépasse et à laquelle il semble indifférent : « Dans l’état
d’exception qu’est la guerre / j’étais l’ordinaire ;/l’ordinaire de
l’exception./ J’exécutais ordinairement -/artisanat / ou industrie, selon. //
Je suis comme eux dans l’ordinaire de la paix:/ gris, tranquille,
courtois. » (p.12) Tout comme le soldat, il obéit aux ordres, mais à la
différence du soldat, il ne ressent ni culpabilité, ni désir de désobéir, ni
scrupules moraux, ni regret de la paix. Le soldat n’a pas oublié « le bien
commun », le bourreau, si.
La Femme a sans doute le rôle le plus riche car elle est à la fois gardienne de
la mémoire des disparus, et porteuse d’espoir : « on fait des enfants
qui vivront. » C’est elle qui dénonce le plus directement la guerre :
« pour que tous disent : / il y a défaite / générale. / On ne fête
pas d’avoir gagné : / personne n’a gagné. / Perdu, nous avons tous perdu,
tout le monde a perdu, / il n’y a pas de victoire. / On fête : pas de
victoire ; / on ne fête pas d’avoir été vainqueurs. / On fête : tous
vaincus. / On fête : enfin il n’y aura plus de vainqueurs, jamais. » (p.10)
La Justice a un rôle qui n’est pas simple, après guerre, et on peut songer ici
au Rwanda même si, encore une fois, cet hymne ne vise pas une guerre précise.
Il s’agit d’établir la vérité, de trancher entre coupables et non-coupables, au
risque d’un regain de violence à traverser pour ramener la paix :
« Mets au jour une vérité une que tous reconnaîtront. / Qui t’attirera
enfin une haine juste : une haine qui vise juste, / une haine qu’il est juste
de provoquer. » (p.16)
A travers ces forces en présence, on voit bien le risque pris par Laurent
Grisel : que la schématisation nécessaire à une poésie engagée devienne
excessive et tombe dans le didactisme. Il évite cet écueil, me semble-t-il, par
le choix d’une poésie théâtrale. Ce texte est fait pour être oralisé, et il l’a
été, en juin 2008, au Foyer des Cardeurs, à Paris (p.70). Mais c’est un théâtre
très particulier puisque les « personnages » sont en quelque sorte
abstraits, qu’il n’y a pas de décor, qu’aucune didascalie ne guide le
« jeu » des acteurs. De même, il n’y a pas d’intrigue à proprement
parler : s’il y a bien une avancée dans la réflexion sur guerre/paix, le
texte est surtout guidé par une sorte de combinatoire des personnages :
quatre monologues initiaux, puis six duos, quatre trios et deux quatuors. En
fait, au-delà de la poésie et du théâtre, Laurent Grisel semble viser un art
global : au départ, l’hymne a été écrit pour un projet de livre d’artiste
avec Anne Slacik (p.68) : une très belle toile de cette peintre clôt le
livre, Envol. Et dans une note finale
« Pour les musiciens » (p.69), l’auteur prévoit un accompagnement
musical minimal avec « un ou deux instruments », sans plus de
précisions. On pense plutôt à des improvisations qui viendraient ponctuer les
séquences parlées. Ce que je trouve vraiment intéressant et neuf dans ce
travail, c’est l’invention formelle, une façon efficace de repenser la forme de
l’hymne et la poésie engagée. En ce sens, ce livre est une réussite : il
est clair dans sa visée, mais il n’esthétise pas plus qu’il ne délivre un message à coups de massue.
Il reste à méditer ces deux propos de la Justice : « Que serions-nous
sans les femmes… » (p.49) et « On ne juge pas la société, on la
fait. » (p.55)
par Antoine Emaz
Laurent Grisel
Un hymne à la paix (16 fois)
Edition Publie.net - Collection Zone risque
70 pages – Téléchargement 5,99€
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