Dimanche matin, j’ai surpris sur France-Info une phrase qui m’a laissé sans voix. Je n’ai pu saisir le nom de celui qui l’a prononcée. Il s’agit de quelque bipède qui gagne à ne pas être connu. J’emploie ici ce terme de bipède parce qu’il s’applique à toute créature pourvue de deux jambes, même celles qui n’appartiennent pas à l’espèce humaine. Je vous livre donc cette phrase telle que je l’ai perçue, sans pouvoir être certain de la restituer mot pour mot : « je ne pense pas qu’un déplacement d’Europe en Europe puisse être appelé une expulsion ».
J’ai eu la chance d’être amené pour des raisons professionnelles à m’établir quelque temps outre-Atlantique. C’était une affectation que je souhaitais, un travail qui m’intéressait. Je me trouvais dans des conditions tout à fait satisfaisantes : une rémunération confortable, un logement agréable, des écoles pour mes enfants. Toujours est-il que, le jour de notre arrivée, lorsque ma femme et moi nous sommes trouvés sur un trottoir d’aéroport, avec en bandoulière des sacs remplis d’objets à ne pas égarer, nos deux enfants accrochés à nous, à cinq mille kilomètres de notre foyer, seuls tous les quatre au milieu des six valises contenant ce qui nous permettrait de patienter jusqu’à l’arrivée de notre déménagement, attendant l’autobus qui devait nous conduire en ville, je dois bien avouer que nous avons été étreints d’un sentiment de malaise face à un inconnu pourtant déjà largement maîtrisé.
Que tous ces braves Français qui, bien au chaud dans leurs certitudes, trouvent normal que l’on rafle des familles de Roms et qu’on les déporte, ailleurs en Europe, essaient de se mettre un instant à leur place. Ces gens-là avaient peut-être une caravane, une automobile, l’une comme l’autre pas nécessairement volées, ou bien quelque abri de fortune, précaire, mais malgré tout un chez soi. Leurs enfants étaient éventuellement scolarisés, ils avaient peut-être eux-mêmes des moyens de subsistance, pas obligatoirement le vol ou la mendicité et d’un seul coup, brutalement, on leur arrache leurs maigres biens et on les expédie en Roumanie, d’où ils viennent sans doute, mais peut-être d’un autre endroit que celui où les déposera et ou pas grand’ chose ne les attend.
Lorsque l’on parle de régularisation, les autorités protestent avec énergie : pas de régularisation de masse, on traitera au cas par cas. Inexplicablement, en matière de déportation, on procède à l’inverse. Comme dans la quasi-totalité des groupes humains, on trouve des délinquants. On raconte qu’il y en a plus parmi les Roms mais je ne vois pas sur quels chiffres on peut s’appuyer pour le prouver. On peut comprendre que des misérables cèdent à la tentation du vol mais de multiples affaires récentes démontrent que les plus fortunés ne répugnent pas non plus à des actions délictueuses et pour des montants bien plus conséquents. Et pour ceux-ci, la présomption d’innocence n’est pas un vain mot. Rien de tel avec les Roms. On nous affirme que tout cela est tout à fait légal. C’est faux parce qu’il s’agit d’opérations de masse : on rafle et on expédie tout ce que l’on récolte. Bien sûr, sur la base du volontariat ! Lorsqu’il y a un tel déséquilibre entre les parties en présence, il ne saurait y avoir de volontariat réel.
Il se peut que le bipède qui introduisait ce récit, si prompt à s’accommoder du déplacement d’autrui, n’a, comme nombre de Français, jamais connu le moindre déménagement. Si l’on parvient à l’identifier, je suggère qu’on le déporte sans plus attendre dans quelque autre pays membre de l’Union européenne, en Finlande par exemple. Peut-être prendra-t-il conscience de son inhumanité.