Ce machin aura la mission, outre d’alimenter le clientélisme chez l’industrie française, de créer un label « marque France » pour plus facilement identifier les produits franco-français. En effet, le ministre est inquiet de voir que la part des produits français consommés en France est de 69 % contre 75 % il y a 10 ans, puisqu’il ne comprend pas ce qu’est la mondialisation. Mais il est difficile de lui en vouloir : on lui a confié la mission impossible de réaliser l’engagement complètement fantaisiste que Nicolas Sarkozy a formulé en mars dernier, augmenter de 25 % la production industrielle d’ici 2015. Au lieu de voir l’augmentation du niveau de vie induite par l’afflux de produits moins cher, nos deux comparses ne voient que les 550000 postes libérés dans le secteur industriel – et pas ceux qui ont été créés ailleurs.
Alors qu’en avril 2009 les chefs d’État du G20, dont Nicolas Sarkozy, s’étaient engagés à ne pas sombrer dans le protectionnisme, voilà que celui-ci rentre par la porte de service toute grande ouverte par le Président. C’est que le commerce international, lorsqu’il n’est pas gêné par les taxes douanières, donne l’opportunité aux consommateurs d’obtenir des produits moins chers, et donc d’augmenter leur pouvoir d’achat, en plus d’avoir accès une variété toujours croissante de curiosités en provenance des quatre coins du monde. Une part incroyable de notre alimentation, notre mobilier, nos vêtements, nos gadgets électroniques et nos moyens de transport qui définissent la vie moderne dans toute l’abondance que nous lui connaissons est rendue possible par cette division des tâches au niveau international.
Se méfier et vouloir surveiller ce phénomène, c’est croire que l’on gagne à acheter à un prix plus élevé ; une pratique que n’importe quelle mère de famille désavouerait. Et en effet, les bienfaits du commerce international sont maintenant très largement reconnus au niveau international, ainsi que la menace du protectionnisme qui précipita et endigua la Grande Dépression des années 1930. Reconnus par tous ? Non ! Car un irréductible président et son ministre de l’Industrie cherchent à aller à contresens de l’augmentation du pouvoir d’achat.
C’est que, Nicolas Sarkozy et Christian Estrosi sont tombés dans la potion magique électorale quand ils étaient petits. Enivrés par le populisme, ils nous assomment à grand coup de statistiques sur les emplois détruits dans l’industrie, en oubliant de préciser qu’ils sont remplacés par des emplois plus utiles et surtout plus gratifiants. Si par exemple il est vrai que certains électroménagers Tefal sont fabriqués en Chine, la conception n’en est toujours pas moins française. En effet, si les emplois industriels sont en déclins, les emplois dans le secteur des services, eux, sont en plein essor ! Tant mieux après tout, si on demande à de jeunes parents le travail dont ils rêvent pour leurs enfants combien répondraient machinistes et manutentionnaires à l’usine… contre combien dessinateurs industriels, avocats, médecins, designers ? C’est le phénomène que les économistes appellent la « destruction créatrice » ; les secteurs de l’économie moins utiles sont progressivement remplacés par de nouveaux, souvent beaucoup plus valorisants pour leurs travailleurs. Aller contre ce phénomène ne fait aucun sens.
Et que se serait-il passé si l’on avait par exemple empêché la disparition du métier d’opératrice de téléphone manuel ? Imagine-t-on Nicolas Sarkozy et Christian Estrosi promettre 25 % plus d’opérateurs d’ascenseurs, d’allumeurs de réverbères et d’apothicaires d’ici 2015, assortis d’un observatoire de ces métiers ? Non, et à juste titre parce que la destruction de ces emplois a créé des opportunités qui se traduisent aujourd’hui par des carrières dans l’e-commerce, dans l’aéronautique ou dans la gestion de réseaux informatique. S’accrocher comme une arapède à des emplois industriels, contre l’intérêt des Français, à grand coup de politique industrielle et « d’industries stratégiques pour la France » empêche le progrès social.
Reste le label « marque France ». On se demande d’ailleurs bien pourquoi l’industrie aurait besoin d’un ministre pour mettre en place un label, alors qu’elle a déjà développée elle-même plusieurs avec un franc-succès ; bio, commerce équitable, les étoiles Michelin dans la restauration, etc. L’absence d’un label nationaliste signifie peut-être que les bénéfices d’une telle démarche sont inférieurs aux coûts nécessaires pour le mettre en place. Probablement que l’utilisation de partenaires étrangers est tellement profitable, même pour les industriels, que bien peu d’entre eux passeraient le test d’une production 100 % française tout en maintenant un coût de production raisonnable…
Quoi qu'il en soit, il est difficile d’imaginer une utilité autre à cet observatoire que d’alimenter en publications, données et rhétorique un lobbyisme protectionniste. Si le président et son ministre veulent se faire chevaliers blancs de l’emploi en France, ils feraient mieux de le favoriser en réduisant la pression fiscale et en réduisant les coûts liés à l’embauche. Il en va de l’intérêt des Français et de leur liberté du commerce.
Mathieu Bédard est analyste sur UnMondeLibre.org.