Un des traits typiques des commerçants marocains est d'aborder le passant en lui offrant d'entrer seulement pour le plaisir des yeux, et en lui offrant également une tasse de thé (souvent, un thé à la menthe, sinon un thé royal). On prends le temps de parler avec les gens, de les apprivoiser, avant de parler commerce. Évidemment, c'est une stratégie qui fonctionne plutôt bien; la plupart des touristes se sentent un peu mal à l'aise de ne rien acheter après un accueil aussi amical. Sans vouloir pérorer, je dois tout de même préciser que les souks de Marrakech ne sont pas les premiers marchés populaires où je mets les pieds. Otavalo, Chichicastegango et Bangkok ou Ho Chi Minh Ville sont des endroits encore très frais dans ma mémoire et j'ai une certaine expérience de la négociation. Car, évidemment, il n'y a pas de prix fixés dans les souks de Marrakech.
Nous avons visité d'innombrables boutiques et kiosques dans les souks de Marrakech, puis dans ceux de Essaouira, de Fès, de Meknes et même de Casablanca. Si l'expérience est amusante et parfois vraiment intéressante, je dois avouer qu'elle a ses limites, autant en terme d'intérêt culturel qu'en terme de gentillesse des commerçant marocains.
Les marocains sont des commerçants redoutables et manipulateurs. Comme tout commerçant au monde, ils veulent obtenir le prix le plus élevé pour leurs marchandises, et ils n'hésitent pas à utiliser tous les outils psychologiques à leur disposition. Ainsi, il n'est pas rare de les voir s'insulter du premier prix que vous proposez. Vous disant qu'ils payent déjà bien plus cher l'item négocié, ils vous invitent à ne pas les insulter en leur proposant un prix aussi bas. Sans expérience, l'acheteur peut se sentir mal, ou réellement penser qu'il est pingre et doubler son offre de base. Autre stratégie; se fâcher carrément après le visiteur pour que celui-ci, voulant éviter un faux pas, décide d'acheter au moins un petit quelque chose.
Il fait essayer une robe climatisée à Suze, puis s'amuse avec nous pour créer un lien amical rapide qui nous intimidera au moment de le quitter sans avoir acheté. Puis, le téléphone de Suze sonne; c'est Corinne avec qui nous devions souper le soir même qui appelle pour que l'on se fixe un rendez-vous. (Anecdote, nous nous rencontrerons ce soir là devant le "Café Montréal"). Abdul me voit observer un miroir encadré dans de l'os de dromadaire. Il me l'offre à 400 dirhams (environs 50$ CDN) alors que je ne lui ai démontré aucun intérêt particulier à part le regard. Je lui répète que nous ne sommes pas là pour acheter aujourd'hui. Il me lance alors: "Ça va pas, le gazo?(1), t'as un problème? T'es malade?! Si tu veux rien acheter, sort de chez moi!!"
Nous allions croiser Abdul plusieurs fois dans les jours suivants, l'entendant répéter son slogan kitsch français, et à chaque fois, il allait nous saluer (toujours plus Suze, mais ils sont charmeurs, les marocains, alors c'est normal quand ils s'adressent aux filles, et en plus, elles semblent plus sensibles à leurs manières et leurs stratégies et finissent souvent par acheter un peu plus, alors on les comprends, les commerçant marocains, de 'adresser aux filles).
Autrement dit, Abdul n'a jamais été fâché après moi: c'était son truc pour me rendre gêné et me pousser à offrir un prix sur son miroir. Bon, il n'était pas tombé sur le bon touriste, mais l'expérience a été éducative et bien utile par la suite. Et si on ne s'offusque pas de leur comportement parfois intriguant pour l'occidental en visite, se balader dans les souks de Marrakech demeure une expérience aussi agréable que fascinante.
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(1) En argot français marocain, une gazelle est une fille, un gazo un homme. Par extension, on utilise gazelle si la fille est jolie, et gazo pour son conjoint (par jalousie? Mon interprétation, car les marocains vous "traitent" de gazo plus qu'ils ne semblent utiliser le terme aussi affectueusement que lorsqu'il parlent avec votre gazelle :).
(2) J'allais discuter avec Vincent, quelques jours plus tard, et il nous a dit croire que les marocains étaient bipolaires, en réaction à cette opposition soudaine entre leur gentillesse et leur excès d'humeur envers le même visiteur en quelques minutes.
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Quelques autres photos dans les souks de Marrakech:
Vendeur de paniers d'osier, place Rahba Kedma.
Au détour d'une rue quelque part au nord-est de Souk El Kebir, quelques hommes devant l'entrée du hammam.
Tapis à vendre, près de Riad Zitoune el Djedid.
Kiosque de fruits dans la Kasbah de Marrakech.
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