Le grand retour de Ségolène Royal va sûrement nous conduire à pas mal de réflexions, car il y a beaucoup de choses à dire. Nicolas en est déjà à son deuxième billet sur Ségo en quelques heures. Ce n'est pas un record, sans doute, mais c'est pas mal...
Je veux commencer simplement par commenter quelques phrases qu'elle a prononcées dans son entretien au Monde :
Bref, une certaine frilosité pour aborder des questions sur lesquelles nous n'étions pas forcément d'accord, mais qui, avec un travail approfondi, auraient permis de faire émerger des choix collectifs. Je pense à la question de l'identité nationale, aux questions liées à la sécurité, au débat sur la liberté de choix de l'école par les familles, à la question de la valeur travail. Autant de valeurs fondamentales que les socialistes ont trop longtemps laissées à la droite. Ce travail a été entamé pendant la campagne présidentielle. Nous devons le poursuivre.
Ca y est : la question nationale. Je me considère comme ségoléniste, je passe mon temps à la défendre dans mon entourage, je considère qu'elle est la seule socialiste capable de communiquer de façon moderne. (Et c'est là le fondement de la pensée politque de ce blog : la gauche doit surtout gagner.) Toutefois, je ne peux qu'être déçu quand elle met la question de l'identité nationale sur le tapis. Pendant la campagne, c'était le seul élément dans son discours sur lequel j'étais en total désaccord. Aujourd'hui, cela me paraît encore plus grave, alors que la notion même d'"Identité Nationale" n'appartient pas seulement à la droite, mais à un ministère, et pas à n'importe quel ministère, mais à celui de l'ignoble, de l'infâme Brice Hortefeux.
D'un point de vue simplement tactique, c'est une erreur de reprendre à son compte exactement ces mots, "identité nationale". S'il faut absolument faire du chévénementisme, du nationalisme censé être de gauche (et à mon avis, il faut absolumment éviter de le faire), n'utilisons pas ces mots-là. Laissons les retomber dans la poubelle de l'histoire comme ils méritent. Ne leur accordons aucune crédibilité, aucune valeur.
Mais ce n'est pas une question de mots. La vraie question est plutôt celle de l'attitude de la gauche en général vis-à-vis de l'idée de la Nation. Nicolas disait ce matin, à propos de ces mêmes phrases de l'entretien :
Ben ouais, il y a des valeurs de droite ! Tiens ! Le travail. Sa valeur c'est le pognon qu'il rapporte pour qu'on vive (et le fait que c'est à peu près le seul moyen de gagner des sous honnêtement...) pas la quantité de travail.
En effet : le nationalisme est une valeur de droite. Il y a des bonnes raisons pour lesquelles le nationalisme doit être, doit rester à droite. Le problème avec la Nation, c'est que c'est une valeur qui n'est pas démocratique. Elle n'est peut-être pas fondamentalement incompatible avec la démocratie (quoique...), mais il n'est pas besoin d'aller loin pour chercher des régimes pas démocratiques du tout qui ne cessent de chanter les louanges de la Nation. La Nation, c'est Nous qui sommes fiers d'être Nous et pas Eux, les autres, ceux qui sont différents, voire bazanés. C'est l'amour de mon pays parce que c'est le mien, et non parce qu'il est démocratique. Le nationalisme est une forme d'égoïsme : moi et mes semblables d'abord, avant les autres, fiers d'être Français, Russes, Américains, Chinois...
Le nationalisme est une valeur de droite parce qu'il n'est pas démocratique et parce que c'est une forme d'égoïsme. De plus, il est profondément de droite parce qu'il est réactionnaire. C'est une réaction contre ceux qui sont différent, contre l'Autre en général. Aujourd'hui, c'est une réaction contre le monde de plus en plus international dans lequel nous vivons. C'est aussi une réaction contre l'Europe, bien entendu.
Admettons qu'il existe, dans l'électorat français quelque part, un sentiment national qu'il faudrait ne pas abandonner. Est-ce le rôle de la gauche d'assumer tout ce que le nationalisme représente, une pensée égoïste, anti-démocratique et réactionnaire, sous prétexte que ces idées existent?
Le problème avec le nationalisme de gauche, et surtout le nationalisme de gauche des pro-européens, c'est qu'il se réduit peu ou prou à quelque chose de très superficiel. Comme les drapeaux, par exemple. Car si on n'est pas contre la fermeture des frontières, si on n'est pas contre le droit du sol, si on n'est pas passéiste, réactionnaire, peut-on être crédible sur ce plan?
Il y a un danger, à gauche en tout cas, à vouloir théoriser l'"Identité National" comme stratégie de conquête ou de renouvellement. Si "reprendre à la droite l'idée de la Nation" veut dire, essentiellement, "faire en sorte que les gens peuvent être fiers de leur pays", je ne m'y oppose pas. Sauf que ce n'est plus l'identité nationale qui est en question, et ce n'est plus "la Nation" dont il s'agit. On peut être fier d'avoir un système de sécurité sociale humaine, on pourrait (éventuellement) être faire du respect des droits de l'homme, du bon traitement que reçoivent les demandeurs d'asile, du rôle de la France dans l'humanitaire, et ainsi de suite. Mais dans ce cas, il faut simplement faire ces choses-là. Les gens finiront par en être fiers. Mais dire que l'on va reprendre le thème de la Nation, c'est discréditer la gauche par manque de cohérence, et en acceptant que pour aimer son pays, il faut le faire à la manière des gens de droite.
Les idées de droite, il faut les laisser à la droite, il faut les laisser pourrir la droite, comme Hortefeux est en train de le faire.
J'arrête là, mais je n'ai pas fini avec ce sujet.