La malédiction de Rachid Mimouni
Stock, 1993. Cérès Edition pour la Tunisie, EDDIF pour le Maroc.
Alger est en état de siège, d’ « auto siège ». Prise en otage par ses propres rejetons, elle suffoque sous le gaz lacrymogène envoyé par l’armée sur les hordes d’islamistes insurrectionnels. La Malédiction raconte l’Algérie de la fin des années 80 et début 90. Et raconte aussi comment elle en est arrivée là. Cette Malédiction serait-elle un sort promis à l’Algérie, comme le pense Si Morice (un des personnages), un dommage collatéral de sa propre parturiente ? Le processus de libération de l’Algérie s’est avéré pire qu’une GHR aux complications désastreuses, une grosse à haut risque comme aurait pu le formuler Kader dans son jargon médical.Kader est gynécologue dans un hôpital d’Alger. Il vient de rentrer de France où vivait son frère Hocine, porté aujourd’hui disparu. Avec son voisin Si Morice l’ancien combattant alcoolique, Saïd le camionneur, ils regardent, impuissants, passer le temps. Changer le monde ne fait guère de leurs projets. Rabah est seulement de passage, il est déserteur de l’armée. C’est Saïd qui l’ai ramassé sur le chemin du retour qui ramené du sud. Il y a aussi Palsec que Si Morice aimerait bien adopter, et qui s’avère un compagnon très utile. Nacer, lui, est le bigot du groupe. On sent bien que c’est un gentil, mais on sent aussi sa sympathie pour cette « révolution ».
Il y a aussi des femmes. Des femmes belles, sensuelles, aguicheuses. Des femmes qui tentent de de se frayer un petit chemin vers l’émancipation. L’expérience algérienne se révèlera difficile. Nadia, fille d’émigré, ancienne vendeuse dans une librairie à Montpellier, et qui vécut une mésaventure pour avoir tenté sa chance en Algérie ; il y a aussi Leïla, la belle sœur de Kader, mais surtout Louisa, que Kader a rencontrée par hasard lors de sa virée parisienne, et que de petites informations sur lui ont permis de le localiser facilement à Alger. Louisa est née à Constantine, et a laissé derrière elle une réputation sulfureuse. Son unique tort était de vivre seule. Son père décédé, lui avait toujours tout permis, et oublié de lui apprendre « l’essentiel » : sauver les apparences. Sa spontanéité était synonyme de libertinage. Phallocratie oblige. [Une fille comme moi, qui se maquille, fume, et se permet de temps à autre un verre de whisky, c’est clair, c’est une Fatma couche-toi-là. Le drame, c’est que les autres femmes pensent de même (page186)].
Louisa est à la recherche d’un amour qui pourrait lui permettre de panser ses blessures. Elle a trouvé Kader qui, lui, ne sait pas trop ce qu’il veut.
A noter, et c’est quelque chose que j’ai retrouvé chez beaucoup d’auteurs algériens, c’est l’imprécision scientifique (médicale surtout), dans la description de certains faits. Je donne l’exemple suivant page 196 [son taux de glycémie atteignit un niveau tel qu’elle en devint aveugle]. En médecine, les complications ophtalmologiques surviennent après plusieurs années de diabète déséquilibré. Ce n’est pas certainement une hyperglycémie quelle que soit son niveau qui sera responsable d’une cécité subite. Et la baisse de l’acuité visuelle survient progressivement jusqu’à la cécité. L’étudiant en médecine que je suis, diabétique de surcroit, est vite frappé par l’approximation.
Lire Rachid Mimouni est toujours un plaisir. Et le plaisir fut encore plus grand, car je n’avais pas connaissance de l’existence de ce dernier roman. Ce roman est l’ultime œuvre de Rachid Mimouni, disparu trop tôt et subitement en 1995. L’auteur de Tombeza, du Fleuve détourné et de La Ceinture de l’ogresse nous manquera toujours, avec sa vision lucide et son analyse pertinente de la situation sociale de l’Algérie, conséquence d’un pouvoir autocratique, boulimique de pouvoir et de rente pétrolière, et qui développe avec soin sa propension aux mauvaises décisions.
Ce billet est réalisé dans le cadre du Challenge tour du monde, organisé par Livresq.
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