Et le bouclier devient boulet
De plus, le bouclier a pour effet d'exempter les plus riches de toute nouvelle forme d'imposition : étant déjà au-dessus du pla fond, les nouvelles taxes ne feront qu'accroître le dépassement du seuil, et leur montant sera restitué.
Toute nouvelle mesure de solidarité sociale ne sera pas, selon cette logique, acquittée par ceux qui dépassent déjà le taux de 50% d'imposition.
Ainsi, le 8 octobre 2008, au cœur de la crise économique et financière, les députés de la majorité présidentielle, l'UMP et le Nouveau Centre, ont inclus dans le calcul du bouclier fiscal la taxe de 1,1% sur les revenus des placements d'épargne, destinée à financer le revenu de solidarité active (RSA).
Ce prélèvement, appliqué dès le 1er janvier 2009, est donc à la charge des riches les plus modestes et des classes moyennes. Comme l'a laissé entendre Nicolas Sarkozy, dans ce langage qui manie avec rouerie les apparences de l'évidence, « un bouclier fiscal, si ça laisse passer les flèches, ce n'est plus un bouclier ». Irréfutable.
Sauf que les flèches atteignent les moins protégés. Les petits épargnants sont mis à contribution sur leurs assurances-vie, leurs comptes sur livret et autres placements, alors que les milliardaires se retrouvent, eux, hors d'atteinte.
Avec Nicolas Sarkozy, il pleut toujours où c'est mouillé
Les plus riches sont donc exemptés de l'effort de solidarité envers les plus démunis. Avec un cynisme époustouflant : les indemnités versées aux victimes d'accidents du travail sont, depuis décembre 2009, considérées comme un revenu et donc imposables. Malgré le tollé qu'il a soulevé, ce projet infâme a été adopté : 230 millions d'euros qui pourront être récupérés.
C'est pourtant au nom du peuple que sont proposées les réformes. « Le changement, je le mettrai en œuvre, parce que c'est le mandat que j'ai reçu du peuple », déclare Nicolas Sarkozy dès le 6 mai 2007. Le bouclier fiscal est révélateur de la base sociale sur laquelle repose ce régime : ce sont désormais les grandes fortunes qui tiennent les rênes du pouvoir.
La réforme, le changement, la modernisation, la rupture : de la poudre aux yeux. La même logique, implacable, est à l'œuvre partout et l'argent va à l'argent. Il pleut toujours où c'est mouillé, et notre météorologiste en chef ne cesse de s'en réjouir et de manipuler les nuages.
Treize députés de l'UMP ont signé un texte, dans Le Monde du 2 avril 2010, qui demandait la suspension du bouclier en arguant que si la CSG venait à être augmentée pour faire face aux dépenses de santé, « il serait inconcevable que ceux qui bénéficient du bouclier fiscal ne participent pas à cet effort ».
Nicolas Sarkozy a laissé parler son inconscient en déclarant, au début de 2010, devant les députés UMP, que pour combler le déficit budgétaire tout le monde paiera, « même les plus riches ». Ce à quoi Jérôme Cahuzac, le nouveau président PS de la commission des finances de l'Assemblée nationale, rétorque avec humour, dans Le Monde du 8 mai 2010 :
« C'est un aveu terrible. S'il y a des sacrifices à demander au pays, le président de la République aurait dû dire : “Tout le monde devra payer, même les plus modestes.” Pour lui, ce qui est exceptionnel, c'est que les plus riches soient amenés à payer ! »
Pour Lagarde, « briser le bouclier fiscal serait une folie »
Et pourtant, face à la montée de la colère avec la remise en cause de l'âge légal de la retraite à 60 ans, Nicolas Sarkozy a annoncé à l'occasion du sommet social organisé à l'Élysée, le 10 mai 2010, « un effort financier supplémentaire des hauts revenus et des revenus du capital ».
Serait-ce une « entaille », comme dit Jean-François Copé, dans le bouclier fiscal ? Ou une manœuvre pour le « solidifier », comme l'avance crûment Frédéric Lefebvre ? Car, « briser le bouclier fiscal », a déclaré Christine Lagarde, « serait une folie » :
« Ce serait reconnaître que la parole de l'Etat n'a aucune valeur en matière fiscale. Il n'y a rien de pire que de faire vivre un pays dans l'insécurité fiscale. »
Finalement, les plus aisés contribueront à l'effort financier pour la sauvegarde du système de retraite. Dès 2011, l'imposition de la tranche la plus élevée de l'impôt sur le revenu sera portée de 40% à 41%, sans activer le bouclier fiscal. Le gain estimé serait de 230 millions d'euros.
Une contribution égale à celle des accidentés du travail, perçue sur leurs indemnités devenues imposables. La classe dominante, mobilisée sur tous les fronts, ne laisse rien au hasard et n'hésite pas à faire valoir ses prérogatives.
Quand Olivier Dassault félicite Xavier Bertrand pour son « courage »
Le 31 mars 2010, Olivier Dassault, député UMP de l'Oise, a adressé à Xavier Bertrand, secrétaire général de l'UMP, une lettre reproduite dans Le Canard enchaîné du 7 avril 2010. En voici le texte :
« Cher Xavier,
Tes prises de position sur le maintien du bouclier fiscal me réjouissent. Je suis consterné de l'attitude irresponsable et des reculades de certains de nos collègues. Quel signal politique envoyons-nous à nos électeurs et aux Françaises et aux Français qui souhaitent réussir ?
Il ne faut nous étonner ni de l'abstention -qui est une protestation violente contre les égarements de notre politique-, ni des délocalisations, ni de l'exil de celles et ceux qui sont les moteurs de la croissance et de la consommation.
Nous devons tenir le cap ! Tu peux être certain de ma détermination et de mon soutien. Avec mes amitiés et mes félicitations pour ton courage,
Olivier Dassault. »
Par Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot
http://eco.rue89.com/
à lire :
Les impostures du bouclier fiscal au crible (1)
Les impostures du bouclier fiscal au crible (2)