En route pour les cîmes (Nujiang, 2/?)
5 aoûtLa journée terrible commence tôt. Nous devons aujourd'hui monter 2000 mètres de dénivelé, et dormir à 3800 mètres d'altitude. Aluo, notre guide, estime à 9 heures la durée d'ascension. Lever 6h30 et revue de l'itinéraire des jours suivants:
Départ prévu une demi-heure plus tard, à 7 heures; mais l'aubergiste a décidé de préparer un petit déjeuner pantagruélique (on l'en remercie, d'ailleurs). Nous partons donc vers 8 heures. Nos cerveaux embrumés se mettent en marche, bercés par la musique techno trans qui délicatement perce de la fenêtre du voisin. Paix des cîmes.
Les heures qui suivent sont magnifiques. Nous nous élevons lentement au-dessus des nuages. L'air est mordant, la montée rude; peu à peu, la vue se dégage sur la vallée où nagent des bancs de nuages. Au loin, derrière cette barrière rocheuse, c'est le Tibet:
Un arc-en-ciel s'invite parmi les brumes en contrebas:
Dans le dernier village où nous passons, un chien nous regarde passer dans une attitude tout-à-fait humaine:
Quel philosophe était-il dans ses vies passées?
Bientôt, nous émergeons de la première couche de nuages. A nos pieds, un tapis que percent les sommet les plus hauts:
La montée se poursuit, monotone, rythmée toute les heures par une courte pause. Le déjeuner lui-même n'est qu'une pause un peu plus assise: on s'enfile un oeuf dur, une de ces saucisses réputées immangeables, ou encore une barre de cacahouètes agglomérées au sucre. Et c'est reparti.
Au fil de l'interminable ascension, les paysages se succèdent en strates: rainforest par étages, aux racines vivaces et arbres sombres qui s'entremêlent, forêts plus douces, ou encore massifs de fleurs à butiner, jaunes, bleues, violettes.
Ma plus grande crainte (talonnée par celle d'une semaine de pluies) est que l'un d'entre nous n'ait le mal des montagnes et que nous ne devions rebrousser chemin le premier jour. Vers 15 heures, l'un d'entre nous se sent mal; champ de vision restreint, vertiges. Nous faisons halte. Bourrage de sucre.
Notre guide pressent une averse vers 17 heures (comme chaque jour en fait...) et s'inquiète; bientôt nous repartons, au rythme de scaphandriers en eaux profondes ou de spationautes en sortie de bricolage - nos pas sont alentis et maladroits mais nous coûtent des efforts immenses.
Vers 4 heures, la bruine annoncée se déclenche. Nous marchons une heure sous ce rideau léger; nous ne savons quelle distance il nous reste à parcourir.
Soudain, après le franchissement d'un arbre immense effondré en travers du chemin, Aluo nous indique l'emplacement de notre campement, sur le versant opposé. Après une dernière montée abrupte, où nous mettons nos dernières forces, nous laissons tomber nos sacs à terre et nous nous laissons tomber sur eux.
Aluo et ses deux aides se sont déjà mis au travail d'arrache-pied, ou plutôt d'arrache-arbres: munis de leurs machettes, il abattent de quoi faire un grand feu et l'abriter du vent. Pendant ce temps, nous montons péniblement nos tentes.
La pluie fine s'était arrêtée; elle a repris alors que le feu flambe déjà bien, et qu'Aluo vient nous appeler pour dîner.
Nous soupons d'une plâtrée de riz, assaisonnée d'herbes cueillies en route et d'un affreux jambon mou ("spam").
Nos coeurs battent une chamade scientifique pulsant l'oxygène rare, face aux neiges sacrées du mont Kawa Karpo.
Publié par Aurélien Libellés : qiunatong, Vallée du Nujiang