Les années 2009 et 2010 ont vu la publication de plusieurs études critiques concernant la tarification bancaire (Commission européenne, associations de consommateurs…). Suite à leur impact médiatique non négligeable, le rapport Pauget-Constans[1] paru au
cours de l’été a pour objectif de dresser un bilan d’ensemble sur ces questions et de proposer des mesures réalistes. Mais devant la complexité des modèles de tarification des établissements français, l’évolution de ces modèles reste un sujet particulièrement complexe.
Le point sur les études
Le premier point qui ressort des études précédant le rapport Pauget-Constans est que le prix facturé pour les services bancaires aux consommateurs français se situe parmi les plus hauts d’Europe. Ainsi, la France se classe à la quatrième place des pays les plus chers en frais bancaires[2]. En effet, un profil moyen devra s’acquitter annuellement de 154 euros pour la gestion de son compte courant. Par ailleurs, il apparaît que ces tarifs sont régulièrement en hausse, alors que les coûts de fonctionnement bancaires sont de plus en plus maîtrisés : substitution des opérations bancaires en agence par des canaux de distribution à moindre coût (DAB-GAB, services Internet…), dématérialisation croissante des paiements (part de marché croissante de la carte bancaire, traitement automatisé des chèques…), ou encore diminution du personnel en agence (environ 10% en 5 ans).
Les études soulignent ensuite les disparités tarifaires entre les offres packagées et les offres à la carte dans la plupart des établissements français. Cet écart de prix pénaliserait surtout les « petits consommateurs », pour lesquels un package peut présenter un surcoût moyen de 26%[3] par rapport aux mêmes services contractés à la carte. Certes, ces écarts s’estompent au fur et à mesure qu’on passe à des profils de clients utilisant une large gamme de produits bancaires ou lorsqu’il s’agit de pack limité en nombre de produits. Mais certains produits généralement inclus dans les packages restent souvent peu utilisés (chèques de banque, frais d’opposition, alertes SMS…).
Au delà des tarifs eux-mêmes, l’ensemble des études souligne un « manque de transparence » dans les tarifs annoncés. La grille tarifaire est jugée trop complexe, incorporant souvent des coûts cachés, semant parfois la confusion chez les consommateurs. Cette opacité de la tarification englobe aussi le lexique utilisé pour qualifier les frais facturés. Ce vocabulaire est hétérogène d’une institution à une autre et dissuaderait le consommateur d’avoir une approche comparative des prestations bancaires. A titre d’exemple : les « frais de tenue de compte » au sein d’un établissement peuvent être assimilés ailleurs à des « frais de services bancaires », à des « commissions d’intervention » ou à des « commissions de forçage ».
Le rapport Pauget-Constans
Le rapport Pauget-Constans, paru en juillet 2010, aboutit en revanche au constat que les tarifs bancaires en France sont les plus faibles d’Europe lorsqu’on prend en considération tous les services proposés de la banque de détails, y compris les crédits immobiliers. Malgré cela, même après avoir identifiés certains biais méthodologiques dans les études précédentes, il apparaît que la tarification française reste supérieure de 14,5% à la moyenne des 7 pays examinés (157 euros par an contre 137 euros) sur la seule activité de banque au quotidien (gestion du compte, moyens de paiement, gestion des incidents). Le rapport préconise de mettre en œuvre une série de mesures qui pourront remédier à ces constats, en prenant en compte les propositions des différentes parties prenantes (associations de consommateurs, banques et autorités de contrôle).
Une première série de mesures est proposée pour simplifier les grilles tarifaires et faciliter les comparaisons entre établissements. En effet, il est proposé à la profession bancaire de s’engager sur l’application d’une « dénomination commune » des principaux frais et services bancaires. Le rapport incite ainsi les banques à afficher les tarifs des dix principales opérations en tête de toutes les plaquettes annuelles et de les faire figurer dans le récapitulatif annuel en respectant un sommaire type de présentation. Le Comité consultatif du secteur financier (CCSF) a d’ores et déjà initié des mesures sur ces propositions. Néanmoins, les banques ont affiché plus de réserves concernant une autre proposition consistant à faire figurer le montant des frais sur les relevés mensuels, en plus du récapitulatif annuel.
Il est aussi suggéré de mettre en place une nouvelle génération de packages. En effet, le rapport préconise de faire évoluer l’offre actuelle vers une offre plus personnalisée. En outre, il incite la profession bancaire à s’engager pour mettre à disposition des souscripteurs une information pré-contractuelle exhaustive, claire et détaillée aussi bien sur la tarification que sur la composition de l’offre. Par ailleurs, le développement d’une offre de forfait d’entrée de gamme, composée d’un nombre minimal de produits bancaires, est suggéré. Cependant, cette action n’est pas neutre pour les banques. D’une part, elle doit être accompagnée par une refonte de leur offre commerciale, et ce en segmentant le plus finement possible leur clientèle. D’autre part, une montée en compétence des conseillers clientèles par le biais d’une formation serait à prévoir pour s’adapter à la logique de distribution qui en découle.
Enfin, le rapport prévoit notamment la remise en cause de la gratuité des chèques dont le coût de traitement unitaire est entre 0,5 et 1 euro. Cette mesure pourrait sembler profitable aux banques, étant donnée l’importance des volumes de transaction utilisant les chèques[4]. Néanmoins, elle est destinée à orienter les consommateurs vers des moyens de paiements moins pénalisants pour le client en cas d’impayé et moins coûteux à traiter pour la banque. Ainsi, la redistribution des coûts pourra équilibrer les marges d’un produit à l’autre. Cette mesure paraît cohérente avec l’intention de plafonner les commissions d’interventions, que Bercy a déjà dans sa ligne de mire, puisqu’elle prévoit de faire baisser « les frais sanctions » de 50%. Pour faciliter l’application de cette mesure, il est proposé au CCSF de mener une enquête courant 2010 sur l’utilisation des chèques suivis par un plan d’action concerté et chiffré. Dans la même optique les banques sont invitées à préparer le terrain en développant des moyens de payements alternatifs au chèque. Ainsi elles sont sollicitées pour prôner une diffusion active de la carte à autorisation systématique d’une part, et d’une autre part, pour développer un nouveau mode de paiement baptisé « virement de proximité ». Ce virement, pouvant opérer via un téléphone portable ou via le guichet, facilitera le transfert de petit montant occasionnellement ou périodiquement par les consommateurs.
La péréquation bancaire : un équilibre difficile à faire évoluer
La politique de prix en banque de détail dépend d’un équilibre complexe s’articulant autour de plusieurs enjeux réglementaires ou intrinsèques au modèle français de la banque de détail lui même.
Concernant les aspects règlementaires, la gratuité imposée des chèques associée à la quasi gratuité des retraits en espèces engendre des surcoûts importants qu’il est nécessaire de compenser via d’autres produits. Plus récemment, le plafonnement de certains frais bancaires (20 € pour le rejet d’un virement) vient également complexifier l’équilibre entre les différents produits. L’augmentation de la multi-bancarisation via la mise en place des services de mobilité bancaire en 2009 ou la suppression des frais de clôture pour la fermeture de tous les comptes à vue et comptes sur livret participent aux mêmes mécanismes. Ce dernier point entraîne également la mise en place d’actions de fidélisation pour limiter l’attrition client et vient augmenter les coûts marketing des établissements, notamment en termes de communication et de campagnes dans le réseau. Ces éléments viennent ainsi limiter la marge de manœuvre des banques pour fixer leur tarification.
Outre les facteurs réglementaires, la stratégie de formalisation d’une politique de prix au niveau des groupes bancaires français est aussi tributaire de leur mode d’organisation. Ainsi, le modèle mutualiste permet aux banques régionales d’être autonomes et d’avoir leurs propres stratégies commerciales, produits et procédures. Si l’organe central est force de propositions sur les offres, les affiliés actionnaires peuvent adopter leurs propres tarifs. Dans ce cadre, une harmonisation tarifaire au niveau de l’ensemble du réseau est loin d’être évidente. A noter que les établissements mutualistes sont prédominants dans l’activité de banque de détail en France (Crédit Agricole, BPCE, Crédit mutuel).
Enfin, le modèle français de banque universelle à réseaux, en privilégiant la non spécialisation et en offrant une palette de produits très large (crédits immobiliers, assurances habitation, assurance-vie, produits d’épargne…), a développé des systèmes de subventions croisées entre les produits. Il peut s’agir d’une compensation tarifaire entre certains produits « vache à lait » et d’autres à moindre rentabilité. Le crédit immobilier en est un bon exemple : les faibles niveaux de marges du crédit immobilier qui constitue un produit d’appel sont compensés par les autres activités de la banque telles que les moyens de paiements et les frais d’incident. Il peut aussi s’agir d’une compensation entre segments de clientèle, entre marchés (particuliers, professionnels, entreprises) ou même entre canaux de distribution puisque le réseau des agences est plus coûteux à entretenir que le canal internet.
Alors certes, la péréquation permet aux consommateurs de jouir de certains produits d’appel à un prix très attractif. Mais elle entraîne de fortes dépendances tarifaires entre produits et il est devenu difficile de faire évoluer le prix de certains produits sans revoir l’ensemble du modèle. Toute évolution sera d’autant plus complexe que la banque de détail assure des revenus récurrents et sert d’amortisseur de crise dans un contexte toujours incertain pour les banques d’investissement. Par ailleurs, les établissements vont être partagés entre les enjeux médiatiques liés à ce sujet et le besoin de maintenir des revenus élevés en anticipation des nouvelles réserves de fonds propres qui vont être exigées par le régulateur dans les années à venir (impact des réformes Bâle II / Bâle III).
[2] « Data collection for prices of current accounts provided to consumers», Rapport final, Van Dijk Management Consultants & Centre for European Policy Studies, septembre 2009
[3] CLCV et le magazine Mieux Vivre Votre Argent (2009)
[4] 22,5% des volumes de paiement enregistrés dans le système CORE en 2008
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