Il faut savoir rendre hommage à ses maîtres et bénir ses sources d’inspiration. Car s’inspirer n’est pas copier du moment où on en honore l’origine, ce que nous allons faire avec Technikart, le magazine qu'on aime détester. On l'aime car il nous montre comment être branché, mais on le déteste car nous n'y arrivons jamais.
Technikart est devenu la bible des branchés, le livre rouge ouvrant à chacun les portes closes de l’avant-garde. Défricheur de tendances, celui-ci nous convie mensuellement à une parade qui, à défaut d’être divine, se révèle irrésistiblement moderne. Mais cet enracinement dans le contemporain nourri un tronc à la sève gorgée d’éternelle. D’une cime haute de 20 ans, le magazine contemple son succès et ses influences initiales. Mais quelles sont-elles ? Comment peut-on parler à la fois de geeks, de révolution, de clips et de mode ? De Britney Spears et de Badiou? Une étude approfondie du patrimoine génétique de la (vieille) souche s’impose.
Le premier gène retranscrit la définition baudelairienne de la modernité : « c’est le transitoire, le fugitif, le contingent, la moitié de l’art, dont l’autre moitié est l’éternel et l’immuable…Pour que toute modernité soit digne de devenir antiquité il faut que la beauté mystérieuse que la vie humaine y met volontairement en ait été extraite. » Consciente de l’éternel et l’immuable, son objectif se focalise sur le fugitif dont elle se charge d’en extraire le caractère prochainement immuable. Mais un immuable post-moderne, soit quelques années. Être moderne revient à s’adapter à son époque et sa date de péremption !
Le second gène encode une fameuse citation du père du situationnisme, Guy Debord : « Dans un monde réellement renversé, le vrai est un moment du faux.” En investiguant le spectacle, le célèbre mensuel dégage les tendances régissant le monde contemporain, soit aujourd'hui et demain. Pour après demain voir le prochain numéro!
Cette plongée dans l’actuel nous amène donc au troisième gène issu de la citation du père du gonzo journalisme, l’excentrique Hunter S. Thompson: «Le vrai reportage gonzo exige le talent d’un maître journaliste, l’oeil d’un photographe artiste et les couilles en bronze d’un acteur.» Et oui, les journalistes de Technikart doivent s’immerger pleinement dans la parade contemporaine en y épousant tous les rôles afin de mieux en retranscrire les instants de vérité. A moins d'être des statues, doutons de la nature de leurs parties intimes...
Mais pour retranscrire ces instants de vérité, encore faut-il les conceptualiser. C’est ce qu’exprime le 4ème et dernier gène formé à partir d’une définition deleuzienne: “La philosophie est la discipline qui consiste à créer des concepts.” Créer des concepts à partir de la culture pop, voilà ce qu'on nomme la "pop philosophie". CQFD!
Technikart, revue définitivement moderne, entre ainsi dans l'une des moitiés de l’art. Mais entrera-t-elle dans l’autre moitié en devenant éternelle? Voilà tout le mal qu’on lui souhaite. Ce qui est certain c'est qu'elle influença, et continue d'influencer, une bonne part de la presse française. Déjà pas mal non?