Les changements que le Gouvernement entend imposer au système de retraites sont injustes, irresponsables et court-termistes.
Injustes, ils ne répartissent pas équitablement les efforts. Le besoin de financement s’élève à 45 milliards d’euros ; le Gouvernement n’entend prélever qu‘1,7 milliard en taxes sur le capital et le patrimoine. Les salariés porteront donc 90% des efforts. Et surtout, par le biais du report de l’âge de départ en retraite (de 60 à 62 ans) et de l’âge de départ garanti sans décote (de 65 à 67 ans), il pénalise les salariés peu qualifiés, ceux qui auront eu les carrières les plus longues et ceux (souvent celles) qui ont eu des carrières fractionnées. Tiens ! Les salariés peu qualifiés, les femmes... donc celles et ceux qui touchent déjà des pensions plus faibles.
Irresponsables, ils ne répondent que partiellement (à hauteur des deux tiers) et provisoirement (jusqu’en 2020) aux besoins de financement du système. Dans le projet du Gouvernement, 15 milliards du financement des retraites proviendraient ainsi... du budget de l’Etat. Comment cette somme doit, elle, être financée, c’est un «détail» qui n’est précisé nulle part. Quant au Fonds de Réserve des Retraite, créé par le Gouvernement Jospin, qui devait être préservé jusqu’en 2024 pour faire face aux déficits exceptionnels jusqu’en 2050, il sera vidé d’ici 2018... soit plus de 30 milliards d’euros de réserves dilapidés.
Qui plus est, ces changements ne répondent à aucun des enjeux contemporains de la cessation d'activité. Plusieurs décennies de chômage très élevé, le développement de l’intérim et des emplois précaires, l’accompagnement insuffisant de l’augmentation du taux d’emploi des femmes ont conduit à un fractionnement croissant des carrières. Les besoins contemporains exigent en outre d’assouplir la notion de carrière : la nécessité de s’occuper d’un proche dépendant, la volonté de se former pour progresser professionnellement, les accidents de la vie les plus divers peuvent justifier qu’un salarié souhaite suspendre le déroulement de sa carrière. Sans pour autant devoir être pénalisé par le système au moment de liquider sa retraite. Le taux d’emploi des séniors mérite aussi toute l’attention des politiques : il est particulièrement bas en France, où on néglige leur expérience et leur apport dans les entreprises. Que ces enjeux n’aient pas même été évoqués par le Gouvernement démontre qu’il s’est borné à tenter un rééquilibrage comptable du système, sans tenir compte des besoins de la société ni des injustices nouvelles qu’il engendrait.
Le Parti Socialiste a, pour sa part, fait connaître il y a plusieurs semaines ses propositions alternatives, qui abordent l'ensemble des paramètres pour résoudre les différents problèmes (inégalités, pénibilité, financement), tout en proposant d'ouvrir des droits nouveaux qui, seuls, peuvent rendre acceptable une réforme d’ampleur.
Il a développé ses propositions autour de quatre objectifs :
- garantir le niveau de vie des retraités, en assurant le maintien des taux de remplacement actuels, la revalorisation des petites retraites et la réduction des inégalités hommes / femmes ;
- faire une réforme juste, reposant sur des efforts partagés entre revenus du travail et revenus du capital ;
- assurer un financement durable ;
- permettre davantage de choix individuels, dans le cadre de garanties collectives.
Les quatre piliers des propositions du PS :
- des propositions de financement à la hauteur de l’enjeu : de nouvelles ressources (25 milliards en taxant les bonus et stock-options, 12 milliards par une augmentation modérée et étalée dans le temps des cotisations), des économies structurelles (16 milliards par des départs en retraite choisis et l’augmentation du taux d’emploi des séniors) et une augmentation du Fonds de Réserve des Retraites (140 milliards d’euros à l’horizon 2025, grâce à une majoration de 15% de l’impôt sur les sociétés appliqué aux banques) ;
- de réelles mesures en faveur de l’emploi des séniors : un accompagnement régulier dès 45 ans, une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences dans toutes les entreprises de plus de 300 salariés, un aménagement des conditions de travail des plus de 55 ans, une généralisation du tutorat en entreprise, tous ces dispositifs faisant l’objet d’un bonus / malus incitatif ;
- la prise en compte de la pénibilité et des petites retraites pour plus de justice : les périodes de travail pénible donneront droit, au prorata, à des annuités permettant de partir plus tôt, et 5 milliards d’euros seront dédiés à la revalorisation des petites retraites ;
- un système universel et personnalisé de retraite choisie : tout en garantissant le droit de partir à 60 ans, la palette de choix individuels sera étendue par le biais d’un compte-temps à utiliser tout au long de la vie pour combiner périodes de formation, de travail et de retraite, en rapprochant les droits du public et du privé et en incitant ceux qui le peuvent et le souhaitent à travailler plus longtemps.
Que le Gouvernement ne s'accorde pas avec le Parti Socialiste, passe encore. Mais le déséquilibre de ses propositions a amené l’ensemble des organisations syndicales à dénoncer d'un commun accord l'absence de concertation. Et notamment à déplorer la position prise par le Gouvernement sur la pénibilité. Les organisations syndicales travaillent depuis plusieurs années à un recensement précis des professions dont la pénibilité pèse sur l’espérance de vie des salariés ; il serait possible, comme le propose le Parti Socialiste, de permettre aux salariés ayant exercé ces professions, pendant tout ou partie de leur carrière, de partir un peu plus tôt en retraite. Aujourd’hui, l’espérance de vie en bonne santé s’élève à 63 ans - et elle est bien entendu inférieure pour ceux qui ont dû travailler de nuit ou à la chaîne, porter des charges lourdes... Pour eux, désormais, il n’y aura plus de retraite en bonne santé.