Voici un portrait très intéressant de John Mc Enroe que j'ai découvert dans le quotidien suisse Le matin
John McEnroe a 51 ans et ce n'est pas une raison pour nous accorder une interview - Dieu préserve sa légende. Quand tous les oracles des grands-messes cathodiques (Mats Wilander, Brad Gilbert, Jim Courier) mangent à la cantine des journalistes, ou traînent dans les couloirs, lui fuit les assauts de civilités et les bâfrées entre collègues. Mange-t-il seulement? «Big Mac» prend l'antenne à midi, cravate pile à l'heure, et quitte rarement le stade avant minuit, la chemise fatiguée.
Il jaillit de sa cabine avec le regard rectiligne, droit dans ses bottes, et envoie valdinguer la porte comme une sortie de saloon. A 51 ans, lui qui a toujours méprisé les journalistes est devenu l'un des meilleurs d'entre eux, sans jamais renier ses sentiments. Il y met du savoir, de l'empathie, une dose salutaire de mauvaise foi; il n'arrête pas de causer et, là, sur son faciès ombrageux, un sourire menace. «John semble revivre la dramaturgie de ses propres matches, et les contempler du haut de son piédestal», s'attendrit Tracy Austin, collègue et presque amie.
On le surprend parfois à la nuit tombée, sur un court arrière, à taper des balles, comme dans ce hangar de Wimbledon où les chauffeurs vont griller une cigarette. John McEnroe prépare ses apparitions sur le circuit Senior, où il monnaie chèrement ses ardeurs. «Avec lui, les tournois font le plein», justifie son impresario chez IMG. Selon l'agence, ses émoluments publicitaires seraient même les plus élevés du tennis masculin, relations publiques non comprises, après ceux de Roger Federer et Rafael Nadal.
John McEnroe a 51 ans et les arbitres écopent encore de ses frustrations inavouables, celles d'un homme qui hait profondément la défaite, ou qui, éventuellement, à ses heures magnanimes, la considère comme une pathologie. «John vendrait encore père et mère pour gagner», soutient Mansour Bahrami, son ancien rival, dans L'Equipe.
Peut-être en rajoute-t-il un peu, certes. Mais ses colères sonnent vrai, ce ne sont pas des rodomontades jetées en pâture aux quinquas embourgeoisés du Flower Power, ses contemporains.
Ce tennis qui le met au
supplice
McEnroe ne fait pas du McEnroe. Il est McEnroe, un peu moins farouche et goujat qu'avant, mais McEnroe quand même, désespoir des poltrons et des velléitaires, dressé sur ses ergots d'éminence
grisonnante, irrémédiablement acoquiné avec ce tennis qui le met au supplice depuis trente-cinq ans, mais qu'il ne se résout pas à quitter.
«John voudrait enfin prendre du plaisir à jouer. Il aimerait piquer un fou rire et marquer le point suivant. Ce n'est
jamais arrivé dans sa carrière», raconte Mansour Bahrami.
McEnroe, c'est McEnroe, un toucher, une perspicacité, une intensité émotionnelle; ce sont deux boules de flipper qui roulent au fond de leur orbite, une autorité qui vous toise et vous tient en respect.
Au nom de l'empathie, le joueur porte une admiration sans borne à Roger Federer et, bien que celui-ci s'accomplisse avec un flegme qui lui est totalement étranger, il l'adoube comme l'un de sa caste. «Roger et moi avons de nombreux points communs.»
L'ex-enfant terrible est resté enfant, il rit de se voir si beau en autorité morale, à feindre une probité dont il est dénué. Budge Patty, ancien vainqueur de Grand Chelem, a le souvenir d'un match à Wimbledon où, «malmené par un petit Italien, un jeune homme tout timide, McEnroe avait figé sa raquette au milieu du visage, en position de recueillement, et attendu sans bouger que son adversaire serve. L'arbitre lui a ordonné de jouer. McEnroe a répondu: «Mais je suis prêt.» Pauvre petit Italien: il était déjà si apeuré. De toute sa carrière, McEnroe ne s'est jamais comporté comme un garçon bien élevé.»
Henri Leconte corrobore dans L'Equipe Magazine: «John n'a pas changé: c'est toujours un sale gamin. Il faut le voir arriver dans le salon des joueurs, la tête basse, sans dire bonjour. Comme souvent les génies, John est quelqu'un de très peu sûr de lui, et d'une timidité sévère qui le rend agressif.»
Galerie d'art à Soho
Il occupe les quatre derniers étages d'un immeuble de Manhattan, avec vue sur Central Park, pour loger ses six enfants, et une galerie d'art à Soho pour exposer sa collection.
Il aurait voulu «réussir dans un autre domaine, quelque chose de plus important comme la politique, mais les temps ne sont pas faciles, et il y a mon caractère».
Les commérages de vestiaires prétendent qu'en réalité, il aime le tennis profondément, viscéralement. A 51?ans, lui-même l'admet du bout des lèvres. Amour avoué est à moitié pardonné.
Article de Christian Despont - le 04 septembre 2010, 19h37 - Le Matin Dimanche
Lien vers l'article original Le Matin