Bon, Opalka, c’est toujours pareil, depuis 45 ans, alors pourquoi aller voir une nouvelle exposition (chez Yvon Lambert Paris, jusqu’au 9 octobre; et aussi Yvon Lambert NYC jusqu’au 16 octobre). Il continue, jusqu’à la mort, de peindre sa série de chiffres de 1 à l’infini (nous en sommes à près de 6 millions), au rythme d’un tableau par semaine depuis 1965, sa peinture devient de plus en plus blanche, quasi invisible aujourd’hui; il se prend en photo dans la même pose après chaque tableau, et on entend sa voix égrener les chiffres en polonais. Sa grande exposition en 1992 au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris avait été un vrai choc, toutes ses toiles alignées sur ce grand mur courbe, et les photographies en regard. Alors, pourquoi y retourner ? Quoi de neuf ? Rien !
Rien, si ce n’est que cette inscription de sa vie dans le temps (et aussi, étrangement, de son corps, vieillissant, dans un espace virtuel) exerce toujours la même fascination. Sans doute parce que c’est une des oeuvres artistiques qui montre le mieux le passage inéluctable du temps, la mort qui s’approche. Certainement parce qu’on ne peut être qu’émerveillé devant cette vie qui est devenue une oeuvre, devant cette oeuvre qui est toute une vie. Ce projet de vie qui transcende la mort est magique.
Il y a ici plusieurs toiles où se fait le passage au million; voici donc un détail de la première. Si la série des tableaux va du sombre au clair (Opalka ajoute, à chaque tableau, un peu plus de peinture blanche, ce qui fait que les derniers tableaux sont quasiment des monochromes blancs), il y a aussi un effet de clair obscur à l’intérieur de chaque tableau : quand le peintre replonge son pinceau, les premiers chiffres sont nécessairement plus sombres, puis, au fil des chiffres, la couleur s’estompe, jusqu’à la plongée suivante du pinceau dans le pot. Cette scansion, ce rythme de clarté dans le tableau même est comme un pouls qui bat, signe de la vie qui anime chaque tableau.Roman Opalka étant représenté par l’ADAGP, les photos de son oeuvre seront ôtées du blog à la fin de l’exposition. Photos de l’auteur.