L’Etrange Festival, c’est l’occasion de faire des expériences, de choisir d’aller voir des trucs que l’on ne verrait pas ailleurs. Au risque de se planter, de ne pas aimer, voire de détester les oeuvres sélectionnées…
C’était le cas aujourd’hui pour moi, et pour d’autres spectateurs apparemment.
J’avais le choix entre No Mercy, un thriller sud-coréen très noir et sordide, dans l’esprit de Old Boy et Bibliothèque Pascal, le film qui a remporté le Magyar Film Szemle (l’équivalent hongrois des Oscars) du meilleur long-métrage.
M’étant dit que j’avais plus de chance de voir un jour le film sud-coréen, en salle ou en DVD, que le film hongrois, qui n’a toujours pas de distributeur, j’ai opté pour ce dernier…
… et j’ai regretté ce choix.
Le film Szabolcs Hajdu est particulièrement ennuyeux, malgré un thème intéressant – l’asservissement des jeunes femmes de l’est, enlevées, droguées et vendues à des réseaux de prostitution occidentaux – une approche originale – par le biais d’une sorte de conte fantastique et quelques qualités artistiques, à commencer par le jeu de l’actrice principale Orsolya Török-Illyés.
Le cinéaste y a sciemment désamorcé tout ce qui pouvait sembler spectaculaire ou misérabiliste, supprimé toute violence gratuite, tout pathos.
Louables intentions, mais il aurait quand même fallu un minimum de tension ou d’intensité dramatique pour émouvoir le spectateur, le rendre inquiet du sort réservé au personnage principal, Mona, une jeune hongroise qui, après maintes péripéties (assez plates), se retrouve vendue par son propre père à un réseau de prostitution internationale.
Le seul moment où l’on se dit que le film va enfin nous stimuler, nous choquer, nous émouvoir, est quand la jeune femme est “achetée” par la Bibliothèque Pascal, un club privé assez spécial où de riches notables peuvent passer un moment en compagnie de prostitués, homme, femmes, enfants, déguisés en personnages célèbres, réels ou fictionnels. Mona est envoyée dans la chambre “Jeanne d’Arc”, pour y jouer le rôle de la Pucelle d’Orléans, mais revisitée façon soldate d’aujourd’hui, version afghane ou irakienne… Subtile ironie et sous-texte politique évident…
Dans la cellule voisine, une autre prostituée joue le rôle de Desdemone, entièrement parée de latex noir très SM. L’occasion d’offrir au public la seule vraie scène “choc” du film : l’infortunée est placée dans un grand sac et littéralement mise sous vide par les clients, à l’aide d’un aspirateur…
Mais là encore, la séquence est désamorcée avant terme, par l’irruption d’un merveilleux assez incongru qui fait basculer le film dans un fantastique trop discret, trop tardif pour être vraiment efficace.
Résultat : le film n’est convaincant ni dans le traitement de son thème central – la prostitution – ni dans son enrobage de conte merveilleux. Il en reste l’impression d’un profond ennui et d’un grand gâchis. D’autant que l’on devine que le vrai sujet de l’oeuvre se situe en filigrane ou entre les lignes, mais le film est si peu stimulant qu’il ne donne pas envie de faire l’effort de le décrypter, ni de se laisser porter par ses mystères. Dommage!
Cela dit, à côté de L.A. Zombie, également présenté hier soir, Bibliothèque Pascal est un chef d’oeuvre !
Bon, je savais un peu à quoi m’attendre. Un film de zombie signé par Bruce LaBruce, cinéaste underground trash et provocateur (Hustler White), ne pouvait pas donner quelque chose de conventionnel…
Mais dès les premières images, ça sent très fort le navet…
Le personnage principal, incarné par l’acteur porno gay François Sagat sort de l’océan Pacifique, le crâne peinturluré en vert fluo, la bouche badigeonnée d’un rouge/orangé très laid et ornée d’un dentier en plastique.
Waouh! Effets spéciaux très spéciaux… Tom Savini peut se retourner dans sa tombe (Il n’est pas mort? Ben quand il aura vu ça, il pourra mourir… de rire…)
Le zombi-zarre fait ensuite du stop pour aller jusqu’en ville. Bon, pourquoi pas ? Hélas, le jeune gars qui s’est arrêté pour le véhiculer, pas très rassuré par cette créature à la drôle de frimousse – on le comprend – peine à se concentrer sur la route et finit par avoir un accident fatal. Et là, que fait notre zombie, messieurs-dames? Non, il ne mange pas les viscères de ce brave gars… On n’est pas chez Romero, ici… Il sort son gros membre pointu – un machin de trente ou quarante centimètres qui ferait pâlir de jalousie notre ami Rocco – et c’est parti mon (gros) kiki. Il va et vient dans le torse perforé du défunt, jusqu’à éjaculer une substance noirâtre assez infâme et redonner vie à son palpitant éteint.
Ca c’est du secourisme, les amis !
Et c’est parti pour un peu plus d’une heure d’errance de notre zombie dans le décor cradingue de Downtown L.A.
En fait, il s’agit plutôt d’un SDF schizophrène qui se prend pour un zombie. C’est du moins ce que j’ai cru comprendre dans ce fatras d’images saccadées et assez hideuses. A moins que ce SDF ne soit monstrueux que dans le regard des gens qu’il croise. Car c’est du cinéma intello, coco… Il y a un message sous-jacent sur la violence de la société, l’exclusion, l’égoïsme des gens…
Bref, revenons à nos moutons… Le principe du film, c’est que dès que notre vrai/faux zombie croise un cadavre tout frais – bandit flingué lors d’un règlement de compte, victime d’un gang ou sans-abri décédé “naturellement” (de misère et d’alcoolisme s’entend), il sort son gros truc et besogne le corps sans vie jusqu’à ce qu’il ressuscite. C’est tout…
Il faudra qu’on m’explique l’intérêt de ce film qui n’est ni drôle, ni sexuellement émoustillant (y compris pour les spectateurs gays, apparemment…), ni subtil dans son message (on imagine que le cinéaste, militant de la cause gay, fait le parallèle entre les zombis, les SDF et les homos. Que c’est laborieux !).
L’acteur François Sagat, qui était là pour présenter le film a donné un élément de réponse : il existe une version “hard” du film, dans laquelle de véritables scènes pornos viennent s’intercaler entre les séquences montrées.
L.A. Zombie n’est donc rien d’autre qu’un film porno gay qui parodie les films de zombies et qui utilise ces séquences intellos-gore sans queue ni tête (façon de parler…) comme amorce à des s cènes X classiques.
Il aurait peut-être fallu prévenir les festivaliers de la nature exacte du film proposé. Cela aurait évité bien des désillusions au public présent, apparemment perplexe devant cet objet filmique décousu, brouillon, et très laid.
Le malaise était palpable pendant la projection (absence de rires ou de réactions) et après, lors du débat qui a suivi avec François Sagat, où personne ne semblait avoir envie de poser de questions. On sentait l’envie d’en finir avec cette séance assez cauchemardesque…
Bon, là encore, c’était une expérience. Il ne me serait pas venu à l’idée d’aller voir ce film en dehors de L’Etrange Festival, à plus forte raison dans sa version porno gay. Mais des expériences comme ça, on s’en passerait volontiers…
Pour les prochaines éditions, quitte à nous diffuser des séries Z foireuses, je suggère aux organisateurs de nous montrer des films d’amateurs passionnés, comme ceux de Richard J. Thompson, par exemple. Il y a aussi des actrices pornos dedans, des effets spéciaux calamiteux et une image vidéo fauchée, mais au moins c’est drôle et sexy ! Tiens, il n’y a qu’à montrer Terror of prehistoric bloody creatures from space. Une projection en présence d’Eduardo (oui, le chanteur ringard…) et la belle Coralie Trin-Thi (qui apparemment fréquente L’Etrange Festival), cela aurait de l’allure ! Plus en tout cas, que le calamiteux L.A. Zombi(t)e…
Ou alors, qu’ils nous montrent plus de films dans l’esprit du court qui était diffusé en avant-programme, Treevenge. Une histoire gore hilarante dans laquelle des sapins déracinés de leur forêt pour être vendus comme arbres de Noël se rebellent et massacrent les habitants d’une petite ville canadienne. Un grand moment de n’importe quoi, très fun, très politiquement incorrect. Ou comment faire un film efficace avec peu de moyens…
Enfin un motif de satisfaction lors de cette journée assez peu enthousiasmante!
Autre plaisir du jour, quand même, la projection de Pontypool, du canadien Bruce McDonald. Un film fantastique intelligent, subtil, qui arrive à instaurer une tension permanente avec un minimum d’effets.
Tout se déroule dans une petite station radio locale, près d’un petit village canadien pris dans une tempête de neige.
L’animateur, un cowboy fatigué mais à la langue bien pendue, fait sa chronique matinale, écoute le point sur la circulation du correspondant de la station et s’apprête à débiter des infos ennuyeuses sur les chats perdus ou les exploits éthyliques des bucherons locaux. Mais soudain, ses deux collègues en régie – sa patronne et la standardiste – reçoivent une curieuse information : de nombreuses personnes – passablement agitées et hostiles – feraient le siège du cabinet d’un des médecins de la ville. En l’absence de communiqué officiel, et dans l’impossibilité de sortir pour vérifier ces informations, le trio tente d’obtenir des témoignages.
Il apparaît bientôt certain qu’un curieux virus frappe la population, rendant les gens enragés. Des morts-vivants ? Un gigantesque bluff? La nature réelle du virus s’avèrera bien plus subtile que cela…
Impossible dans dire plus, au risque d’éventer l’intérêt du film… Disons simplement qu’il s’agit à la fois d’un film très classique dans les mécanismes de la terreur, et en même temps très original de par son concept. Et qu’il développe un sous-texte politique assez fin, reposant sur les différences culturelles, notamment linguistiques, existant au Canada…
Espérons que ce beau film fantastique trouvera rapidement un distributeur en France, et qu’il sera possible de découvrir les suites, d’ores et déjà programmées puisque l’oeuvre est tirée d’une série de romans de Tony Burgess (“Pontypool changes everything” apparemment pas édité en France)
Heureusement qu’il y avait cette excellente surprise pour relever le niveau d’une journée marquée par l’accueil apparemment assez froid réservé au dernier Romero, Survival of the dead – je le verrai jeudi, logiquement – par la diffusion une curiosité expérimentale, The immaculate conception of little Dizzle, et la suite des cartes blanches à Winding Refn et Jodorowsky, avec notamment la présentation conjointe du Guerrier silencieux et la projection d’un grand classique hollywoodien, Le Roman de Mildred Pierce, dans lequel Joan Crawford est absolument vertigineuse…
Ce lundi, le cinéma laisse place à l’Etrange Musique, un concert organisé à 20h à La Machine du Moulin Rouge.
Donc, à mardi pour la suite de ce beau voyage dans le fascinant monde de l’étrange…