La semaine dernière en Loire-Atlantique un homme de 79 ans a été arrêté par la police (). Cette arrestation n’aurait rien d’insolite si en plus d’avoir trop d’alcool dans le sang le retraité n’était en situation d’irrégularité : depuis 58 ans en effet, il roulait sans permis. Après une première tentative sans grande conviction en 1952, le fraudeur avait abandonné, préférant contourner la loi jusqu’à aujourd’hui.
L’explication peut prêter à sourire, car aujourd’hui ce sont de toutes autres raisons qui amènent des milliers de gens à se passer du permis de conduire. Les Français ne sont pas moins intelligents aujourd’hui qu’il y a soixante ans, et conduire ne requiert pas plus de dextérité qu’auparavant. Le cas de cet homme de 79 ans qui a conduit toute sa vie sans permis jette une lumière cruelle sur les frustrations de nombreux Français que les caprices d’une auto-école empêche de se déplacer autrement qu’en empruntant les transports en commun.
Le fait est que pendant près de 60 ans un homme ordinaire a su conduire en respectant la priorité à droite, et cela sans permis ni autorisation d’aucune sorte. Ce parcours sans faute bien sûr ne justifie pas l’indifférence aux lois, mais il relativise grandement l’importance accordée aux auto-écoles, qui ont évidemment intérêt à exagérer la complexité du code de la route et les subtilités de la conduite.
Ce qui pose problème aujourd’hui, ce n’est pas le principe du permis, mais l’absence totale de transparence dans la relation moniteur-élève. Les moniteurs d’auto-école savent que le permis est indispensable à ceux qui essaient de l’obtenir et profitent de la nature du service rendu (payer ne garantit pas l’obtention du papier rose) pour réclamer des sommes toujours plus importantes, sous prétexte que l’élève n’est pas encore prêt. Quand il pousse la porte d’une auto-école, le jeune (ou moins jeune) candidat ne sait pas où il va, ni combien il paiera.
Ceux qui ont encore assez de volonté ou d’argent pour s’accrocher jusqu’au bout n’ont même pas l’assurance de pouvoir franchir la dernière marche, car le nombre d’inspecteurs à disposition des auto-écoles pour évaluer les futurs automobilistes est limité en amont par l’État. Sans parler des caprices tant de l’inspecteur que du moniteur, refusant souvent de distinguer entre faute grave et étourderie. Contre cet arbitraire honteux, il n’y a aucun recours.
En 2009 le Comité Interministériel de la Sécurité Routière (CISR) avait annoncé des changements censés augmenter de 13 points le taux de réussite, le faisant passer à 65%. La réforme, à l’essai depuis janvier 2009, est entrée en vigueur au printemps 2010.
Les pessimistes ont tort d’affirmer que seule la forme a changé. Le fond également a changé — plus d’inspecteurs, plus de places d’examen, possibilité de passer le permis dans un département voisin, etc — mais pas toujours dans la bonne direction. A présent les candidats ne devront plus se contenter de respecter le code de la route : ils devront, en plus, apprendre à maîtriser le changement de vitesse pour économiser le carburant. Passer au vert, en somme. On appelle ça la conduite responsable et respectueuse de l’environnement.
A chaque pas en avant répondent deux pas en arrière. Que voulez-vous : en voiture, la vitesse tue.