Il se dit depuis le début de la crise que les économistes n'avaient rien vu venir. Il est vrai que le consensus en macroéconomie était essentiellement que pour éviter les récessions, il suffisait d'une politique monétaire ciblant l'inflation : Alan Greenspan était devenu le magicien de la politique monétaire, le père d'un nouvel âge d'or sans crise en somme. Curieusement, des fantasmes similaires sortaient des manuels dans les années 60 en matière de politique conjoncturelle. Mais le « consensus » n'est pas « toute la science économique ». Comme dans les années 60, certains avertissaient des excès du système - à gauche comme à droite. Le consensus bien souvent procède d'une certaine vision de l'économie - qui n'est pas forcément la plus pertinente.
Deux visions
Osons une comparaison à titre pédagogique. L'économie c'est un peu comme la médecine. Lorsqu'un patient a mal au cou, le docteur habituel va lui prescrire un médicament traitant le symptôme (en surface). Par contre l'ostéopathe, qui voit le corps comme un enchevêtrement complexe de causes et d'effets, va sans doute lui manipuler les pieds. Surprenant ? Pas tant que ça : il y a une chaîne de muscles, nerfs et os entre les deux. Et la cause (en profondeur) du symptôme, ici en réalité un déséquilibre dans le pied, se répercute indirectement à travers cette chaîne « causale ».
Pour comprendre un événement à tel endroit de l'économie, il faudrait, pour bien faire, remonter aussi à sa cause profonde, comme en ostéopathie. On parle alors doctement d'analyse génético-causale. Nous arrêtons-nous à certains symptômes ou tentons de remonter aux causes profondes ? L' « économie du consensus » a peut-être tendance à se focaliser sur la surface des phénomènes économiques. (La quantification dans les modèles en économie joue d'ailleurs ici un rôle pour expliquer ce penchant du consensus vers ce qui est en surface ; tout ce qui n'est pas quantifiable passe à la trappe, et dont forcément de nombreux éléments « en profondeur » inquantifiables).
Le risque de la vision en surface
La vision « en surface » a tendance à croire que manipuler quelques manettes suffisent pour « dompter » l'économie en agissant sur tel ou tel agrégat. Malheureusement en économie le traitement des symptômes peut se faire au détriment des causes profondes. Prenons l'exemple de la courbe de Phillips, consensus des années 60 : elle mettait en évidence la relation inverse entre chômage et inflation. Sur cette base la politique conjoncturelle pouvait arbitrer entre les deux. Dès qu'il y avait trop de chômage les autorités publiques « faisaient » un peu d'inflation, dès qu'il y avait trop d'inflation, elles « faisaient » un peu de chômage (autant dire au passage que ces interventions suivaient de près le calendrier électoral !). Magique !
Sauf qu'arrive très rapidement la stagflation, situation dans laquelle ces deux symptômes que l'on croyait exclusifs l'un de l'autre coexistent. Le consensus ne l'avait pas vu venir… La raison de la stagflation ? Le fait de jouer « en surface » sur quelques manettes avait détruit, « en profondeur », les règles du jeu économique. Les à-coups de la politique économique généraient une instabilité juridique et monétaire nocives pour les calculs des entrepreneurs. Le bricolage des taux d'intérêt aujourd'hui est-il une politique si différente ?
La « profondeur » en économie
Pour qu'un système de marché fonctionne, les acteurs doivent être responsables. C'est une condition non négociable pour le succès de ce système d'adaptation permanente à la réalité des besoins, et la discipline perte/profit des acteurs est ici centrale à cette responsabilité. Elle est la cause profonde du fonctionnement correct du système. Toute politique « en surface » qui aura pour effet – généralement involontaire - d'empêcher cette responsabilité ne pourra que conduire à la catastrophe.
L'économie dite « autrichienne » met l'accent sur l'importance de cette responsabilité. Elle a même une théorie des cycles qui explique que la manipulation « en surface » des taux d'intérêt crée l'illusion, « dope » le boom économique (exactement comme les politiques de Greenspan entre 2001 et 2004 ou de Bernanke aujourd'hui), mais au prix d'une remise en phase avec le réel – la récession - quand les agents, « en profondeur », se rendent compte que la manipulation monétaire n'était que du virtuel.
Crise de la responsabilité
En 2009, un sondage déclarait que 53% « seulement » des américains (et bien moins ailleurs) considèrent que le système capitaliste est le moins mauvais des systèmes économiques. Il est donc important de rappeler que la crise actuelle n'est pas une crise du capitalisme mais d'abord une crise de l'intervention dans le capitalisme : politique monétaire irresponsable générant des bulles, système de sauvetages déresponsabilisant les banques, politique sociale du logement délibérément fondée sur le crédit immobilier facile.
C'est une crise due au fait que la pierre angulaire qu'est la responsabilité a été retirée du « système capitaliste » par le politique. Mais bien sûr, cela est incontestable, des escrocs dans le système capitaliste lui-même en ont profité – et tout fait pour diluer toujours plus la responsabilité !
Le bon sens des économistes qui voient les choses « en profondeur » reste on ne peut plus intact et salutaire : la libéralisation sans la responsabilisation est un leurre ; une société ne s'enrichit pas en ne faisant que dépenser et en s'endettant ; on ne peut pas prêter vingt fois ce que l'on a en poche.
Il faut en revanche se méfier des magiciens de la politique économique « en surface » qui recommencent les mêmes erreurs, et au surplus veulent nous enrégimenter. Ces politiques économiques de fuite en avant ne sont pas simplement pro-cycliques car traitant les symptômes au détriment des causes profondes, elles ne nous rendent pas seulement esclaves de dettes insoutenables, elles continuent, avant tout, de détruire cette pierre angulaire de notre civilisation qu'est la responsabilité.
C'est ce type d'économie qu'il faut mettre à la poubelle.
Article repris avec l'aimable autorisation de l'auteur.