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Lire en roumanie

Publié le 06 septembre 2010 par Abarguillet

LIRE EN ROUMANIE

Des Carpates au Dobroudja

De la Bulgarie à la Roumanie, il n’y a qu’un pas que nous franchirons en compagnie d’un grand voyageur, Panaït Istrati, grand ami de Romain Rolland, qui a habité longtemps en France mais qui y est désormais pratiquement inconnu. Avec lui nous irons à la rencontre d’une littérature souvent austère et énigmatique comme ces légendes qui sourdent des forêts des Carpates ou des ténébreux châteaux de Transylvanie hantés par le souvenir de Dracula. Nous rendrons ainsi une petite visite au plus grand écrivain roumain, du siècle dernier au moins, Mircea Eliade qui aurait pu faire un bon titulaire du Prix Nobel de littérature mais auparavant nous évoquerons, avec Mihail Sebastian, la civilisation juive qui était importante en Roumanie avant la tragédie nazie. Et, nous terminerons ce séjour roumain avec Maria Mailat, désormais établie en France, qui est déjà à la tête d’une riche bibliographie. Dans cette étape, je me proposais d’inclure la Moldavie mais, à ce jour, je n’ai pas encore rencontré un seul auteur moldave. Si vous avez des pistes …

Le pèlerin du cœur

Panaït Istrati (1884 -1935)

«Toute une vie brûlée inutilement ! Sur toutes les routes, j’ai laissé des gouttes de sang, des lambeaux de chair et surtout des lambeaux de ma dignité. » Panaït Istrati, le Gorki des Balkans comme le surnommait Romain Rolland, aurait eu cent ans en 1984 et son éditeur, en cet honneur, a publié « ce volume de textes autobiographiques qui reconstituent sa vie de vagabond et d’écrivain. Ce sont des pages en grande partie inédites ou publiées dans la presse de l’époque, inconnues du lecteur d’aujourd’hui. »

Ces textes sont rassemblés en cinq parties concernant, des documents autobiographiques, la naissance de l’écrivain, des témoignages sur la liberté, la foi, les arts, l’humanité, le pèlerin du cœur (des hommages rendus à des amis disparus) et pour finir « les dernières années », des textes en forme de testament ou de bilan sur sa vie d’errance et de quête.

Cette habile compilation de textes autobiographiques dessinent assez précisément la vie particulièrement agitée de Panaït Istrati qui connut une enfance difficile avec un père absent et le travail dès la prime adolescence, avec son lot de douleur, de brutalité mai aussi les combines, la fauche, le chapardage et toutes les astuces pour survivre dans la jungle industrielle de la fin du XIX° siècle. Cette vie impossible incite à l’exode, les voyages vers la capitale, en Egypte, ou ailleurs encore qui se solde toujours par un retour désastreux près de la mère. Une jeunesse en forme d’initiation qui lui donne le goût de la liberté, de l’indépendance et des grands espaces. « Celui qui est né sans ciel et a grandi sans espace, …ne peut pas approfondir l’abîme de l’existence. »

Mais cette vie de liberté a un prix qu’il paie au prix fort, celui de la maladie, la tuberculose, qui l’accompagnera tout au long de son existence et qui finira par le vaincre peu après la cinquantaine. « Et encore une fois je songerai à mon sort, qui me faisait si chèrement payer le rayon de soleil qui réchauffait ma dure liberté. » Sa rencontre avec Romain Rolland lui apportera une bouffée d’oxygène et lui procurera une parenthèse de bonheur dans sa vie de douleur au cours laquelle il dut toujours travailler pour assurer sa subsistance et celle des siens. Mais sa fascination pour la lecture dès l’enfance et la littérature française dès l’adolescence lui permirent d’apprendre rapidement le français et comme le lui disait Romain Rolland : « Vous écrivez en français après six ans de pratique sans avoir consulté une grammaire : c’est phénoménal ! » Il sera finalement reconnu et publié mais les critiques suivront vite les succès et l’admiration car Istrati se voulait indépendant et juste, toujours du côté de celui qui souffre, «j’ai tiré de ma poche le morceau de pain chaque fois que j’ai vu un homme ou un chien qui avait faim. »

Socialiste pendant les luttes syndicales en Roumanie au début du siècle, il sera l’un des premiers à faire « le voyage de retour de l’Union soviétique » déçu par ce pouvoir qui assassinait les pauvres et les miséreux. Il finira sa vie en tentant de faire une synthèse, bien téméraire, entre le catholicisme et le communisme. « Nous chasserons les pharisiens de l’Eglise chrétienne et les fous de la maison communisme. » Bien peu le suivront sur ce chemin pavé de bonnes intentions mais semé d’embuches et il se réfugiera dans l’art, vénérant le beau qui est si rare mais qui doit servir la cause des plus nécessiteux. « L’Art ne doit servir, en premier et dernier lieu, qu’à alléger la souffrance de l’humanité. Il n’est pas un but mais un moyen. »

Et, il finira sa vie dans sa Roumanie natale, dans l’aigreur, retrouvant sa foi en Dieu, car les hommes n’ont pas été capables de réaliser le beau et le bien, se sont cantonnés dans leurs petits intérêts personnels et n’ont pas su regarder le soleil. « Que de tremper mon pain dans du beurre et regarder à mes pieds, j’aime mieux le tremper dans du sel et regarder le soleil. »


Depuis deux mille ans  de Mihail Sebastian  ( 1907 - 1945 )

Dans ce livre Mihail Sebastian raconte dix années, de 1923 à 1933, de la vie d’un jeune juif roumain qui le conduisent des Carpates au boulevard Montparnasse. Tout en dénonçant les violences anti juives qui deviennent de plus en plus banales et récurrentes, il s’interroge sur les causes de cet antisémitisme ambiant qui dure depuis deux mille ans déjà mais qui prend une acuité qui conduira à la tragédie que nous connaissons.

Ce livre est surtout connu pour la polémique qu’il déclencha à sa publication, l’auteur avait demandé une préface à Nae Ionescu, maître à penser des jeunes écrivains de l’époque, Mircea Eliade, Cioran, …, qui s’était brusquement rapproché des fascistes et qui lui envoya un texte d’un violent antisémitisme. Sebastian publia son livre avec cette préface, c’était sa seule façon de protester, dira-t-il.

Les dix-neuf roses  de Mircea Eliade  ( 1907 - 1986 )

« Nous entrerons bientôt dans une phase de l’Histoire universelle où aucune des libertés que nous avons à peine eu le temps de connaître ne sera plus tolérée », a écrit Mircea Eliade et comme pour échapper à cette fatalité, il a publié ce livre où les héros, un peuple élu, peuvent s’évader dans un autre espace-temps, tous les ans lors de la nuit de Noël. Une façon de conjurer les pouvoirs totalitaires qui détruisent progressivement toutes les libertés. Un livre fantastique bien dans l’ambiance du pays de Dracula dans les sombres Carpates de celui qui reste peut-être encore le plus grand auteur roumain.

La grâce de l’ennemi  de Maria Mailat  ( 1953 - ... )

Un livre âpre, ardu, violent qui pourrait rebuter les âmes sensibles mais un livre d’une énorme intensité qui raconte l’histoire de la lutte entre le bien et le mal, de l’affrontement inéluctable entre un champion de boxe réputé invincible et une énorme brute sanguinaire qui, avec ses sbires, terrorise ce coin de Transylvanie où l’auteur est né. Et, entre ces deux combattants, une fille qui parle aux oiseaux, chante et danse, seule survivante d’un carnage, ne sachant pas faire la différence entre le héros et le bourreau. Malgré la peur qui l’étouffe, le héros ira au combat car il semble bien que l’auteur pense que le chemin de croix est inéluctable à celui qui veut dénoncer la violence sanguinaire qui reste la meilleure arme des pouvoirs totalitaires.


Pour consulter les articles du tour du monde littéraire de notre ami Débézed dans la rubrique LITTERATURE, cliquer  ICI

 

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