Guéant et les riches
On murmure que Claude Guéant pourrait officiellement entrer dans le prochain gouvernement de novembre. Il est en fait déjà premier ministre depuis mai 2007. Créature sarkozyenne exemplaire, il a pris en main les affaires étrangères, un territoire éminemment présidentiel. Régulièrement, il vient donner publiquement des instructions, révéler le statut de tel ou tel ministre auprès du Monarque.
Dimanche sur Europe 1, il s'est livré à cet exercice, l'un de ses favoris : livrer la parole présidentielle comme s'il en était l'émanation directe. Lors de cette prestation, toujours surréaliste pour qui croyait que nous étions encore dans la Vème République, ce grand vizir a déclaré, sans gêne ni légitimité autre que monarchique, que le sort de François Fillon n'était pas scellé: « La question (du maintien ou non de François Fillon) se pose bien entendu mais je suis incapable de vous répondre et je pense que le président de la République serait aujourd'hui incapable de vous répondre.» Interrogé sur ses propres ambitions et les rumeurs de sa probable nomination gouvernementale, le secrétaire a répondu: «Je n'ai aucune autre ambition que celle de servir le président de la République au poste où je suis et je pense très franchement que l'hypothèse que vous venez d'envisager n'est pas fondée. » Pourquoi donc Guéant s'embêterait-il à devenir ministre, voire premier ministre ? La situation de secrétaire général est si confortable. On murmure que Pierre Mariani, actuel président (contesté) de Dexia le remplacerait. Mais il y a un problème. Mariani gagnerait 110 000 euros par mois chez Dexia, là où Guéant n'émarge qu'à 20 000 euros mensuels.
François Fillon peut être rassuré. Sa prise de distance, et les récentes couvertures médiatiques élogieuses à son égard, ont porté leurs fruits. Mercredi dernier, le Canard Enchaîné rapportait des propos peu amènes à son encontre tenus par Nicolas Sarkozy. En substance, le Monarque se serait exclamé lundi dernier, après l'intervention radiophonique de son premier ministre sur France inter: « voilà où nous en sommes : un premier ministre qui prend ses distances, un ministre des affaires étrangères qui a failli démissionner, un ministre de la défense qui s'apprête à déserter pour rassembler les centristes et se présenter à l'Elysée. »
Dimanche donc, Guéant devait montrer que Sarkozy reste le patron, maîtrise toujours le calendrier et le sort de ses subordonnés ministériels.
Se substituant à François Baroin, le ministre du budget, Guéant a avancé que le bouclier fiscal pourrait être modifié afin d'inciter ses bénéficiaires à investir dans les petites et moyennes entreprises: « Il faut maintenir cet objectif que les gens qui ont les moyens d'investir en France continuent à investir en France et, par conséquent, continuent à y demeurer. » Concernant les niches fiscales, « Il reste quatre milliards à identifier précisément. » Ces économies supplémentaires seront rendues publiques au moment de la transmission du projet de loi de finances 2011 au Conseil d'État, « c'est-à-dire vers le 20 novembre. »
Se substituant à Bernard Kouchner, il a aussi expliqué que les deux journalistes de France Télévision, otages en Afghanistan, étaient en bonne santé. « Le ramadan a un peu interrompu les négociations - elles se présentaient bien -, donc elles vont reprendre dans quelques jours. »
Il a surtout défendu son patron, : Nicolas Sarkozy « n'est absolument pas un président des riches. » Et pour nous convaincre, Claude Guéant nous décrit quelques images d'Epinal de la vie privé de son patron, un Monarque travailleur, modeste et tout entier consacré à sa tâche: « Prenons sa vie personnelle ! C'est très simple ; Nicolas Sarkozy travaille tout le temps, donc il ne fait pas la fête, rien du tout. Le week-end, il regarde un film avec sa femme. Quand il a un petit instant, il lit. Mais l'essentiel, c'est qu'il travaille tout le temps.» Oubliés les allers-et-retours au Cap Nègre, les cadeaux et invitations étrangères, les weekends à répétition, les réceptions élyséennes (8 millions d'euros de frais de bouche l'an dernier), les 14 000 euros de dépenses personnelles qu'il dut rembourser aux comptes publics la première année de son mandat (depuis 2009, il règle enfin directement ses propres dépenses personnelles, avait noté la Cour des Comptes).
Dernier sujet, les retraites et, donc, Eric Woerth. Pour les manifestants du 7 septembre, Guéant a été assez clair sur les intentions sarkozyennes : manifestez, mais cela ne changera rien ! « le gouvernement fera certainement des avancées sur ces sujets, en concertation avec les organisations syndicales. Ces avancées seront annoncées dans le cours du débat, c'est-à-dire la semaine prochaine, par Eric Woerth. Cela étant, il est clair que le fond de la réforme ne peut pas changer. »
Contrairement aux rumeurs de lâchage progressif du ministre du travail, Guéant a réitéré son soutien en vue de l'adoption de la réforme des retraites : « Eric Woerth est celui qui l'a préparée, qui la connaît, il est le mieux à même de la porter devant l'Assemblée ». On se souvient combien ce grand vizir de Sarkofrance s'était activé pour la défense de l'ex-trésorier de l'UMP en juillet dernier. Incapable de reconnaître les faits, Guéant nie toujours en bloc tout problème Woerth: « Est-ce qu’on va maintenant condamner des gens sur des rumeurs? » Le commentaire est cocasse, pour les policiers qui ont multiplié, depuis juillet, les interrogatoires et gardes à vue des différents protagonistes de l'affaire. Entre autres révélations, on sait désormais que (1) Liliane Bettencourt a fraudé le fisc malgré 32 millions d'euros de remboursement d'impôts au titre du bouclier fiscal en 2007, (2) Eric Woerth a demandé lui-même la légion d'honneur pour Patrice de Maistre, avec sa casquette de directeur des finances de la campagne de Sarkozy.
Hortefeux, faussement calme sur CANAL+
Brice Hortefeux était l'invité de Dimanche+, pour la rentrée de l'émission politique de CANAL+. Nouveauté de saison, l'invité pouvait interrompre le cours de l'émission pour réagir, à l'aide d'un « buzzeur » disposé à sa droite. Le ministre de l'intérieur a adoré ce nouveau jouet. Il s'est d'abord permis de critiquer la fiabilité des sondages, puis les manifestations de la veille contre la politique sécuritaire du gouvernement.
Mais il voulait paraître calme, presque conciliant : « je respecte ceux qui ont pris sur leur temps de loisir d'exprimer leur opinion. » Mais il n'hésite pas à recourir à l'amalgame : « Le Parti socialiste a manifesté main dans la main avec des organisations d'extrême gauche dont l'objectif est de remettre en cause pour ne pas dire détruire le fondement, l'organisation et les valeurs de notre société. Il faudra d'ailleurs qu'ils se clarifient.»
Hortefeux loue ensuite sa méthode, sa détermination, son action en matière de lutte contre la délinquance. Anne-Sophie Lapix insiste : « pourquoi cette stigmatisation ? » Hortefeux conteste : « Il n'est pas question de désigner des boucs-émissaires (...). On fait respecter le droit de propriété.» La journaliste insiste encore : « Mais pourquoi a-t-on choisi les Roms ? » Hortefeux conserve son calme : « Je fais respecter la loi et les décisions de justice.» Même calme, même prudence, un peu plus tard, à propos de la libération par un Juge des Libertés d'un second suspect du braquage du Casino d'Uriage. Hortefeux semblait marcher sur des oeufs, et, pour une fois, maîtriser sa parole. A propos de la loi Loppsi II, à l'étude parlementaire à partir du 7 septembre, c'est un « texte très équilibré mais un texte qui est musclé » car « la délinquance n'est pas figée (...) ; elle évolue.» Au passage, il cite un exemple, faux par ailleurs : « il y a 15 ans, les phénomènes de bandes n'existaient pas. » Gros mensonge que la journaliste ne relève pas. L'évolution permanente de l'insécurité est le nouveau crédo de défense de Sarkofrance, pour justifier la boulimie législative en la matière depuis 2002.
Attaqué sur la réduction des effectifs, il répète sa réponse habituelle, il faut économiser en vertu de la fameuse révision générale des politiques publiques. « Depuis 1992, on a recruté plus d'un million de fonctionnaires.» Ou encore : « Il y a plus de policiers et de gendarmes sur le terrain que lorsque la gauche était au pouvoir. » Gonflé, le ministre loue ses résultats soi-disant « excellents », car la délinquance aurait baissé. Anne-Sophie Lapix s'interroge : « mais pas les agressions aux personnes.» Hortefeux réplique : « nous avons cassé la spirale de la hausse » Lapix sourie: « Donc elles augmentent moins ? » Hortefeux ne relève pas.
Borloo, inaudible radical
Deux partis radicaux organisaient leurs rencontres de rentrée ce weekend. Jean-Louis Borloo devait montrer à Hervé Morin qu'il n'a pas le monopole du centre-droit. A Lyon, il s'est affiché aux « Ateliers des Radicaux », un machin sans grand intérêt, envahi de ministres UMP (Chantal Jouanno, Marc-Philippe Daubresse, Benoist Apparu, Nora Berra), où l'on retiendra que les soi-disant centristes coupables de collusion avec les bessoneries anti-Roms se sont auto-félicités : « Nous nous présentons d'abord comme un groupe de propositions et c'est vraiment intéressant de voir toutes les sensibilités centristes ainsi réunies autour de Jean-Louis Borloo » a expliqué Bernard Fialaire, le président de la fédération du Rhône du Parti radical et vice-président national du parti de Jean-Louis Borloo.
Toutes les sensibilités centristes ?
A part le débauché Michel Mercier, ex-trésorier du Modem devenu ministre en juin 2009, la rencontre était surtout UMP-compatible. Comme pour mieux se démarquer de son rival mais néanmoins collègue gouvernemental Hervé Morin, autre centriste, Jean-Louis Borloo a fait comprendre qu'il ne gênerait pas Nicolas Sarkozy avec une candidature à l'élection présidentielle en 2012: « les radicaux ne revendiquent rien pour eux dans cette affaire, mais on peut compter sur eux. Je ne revendique rien pour moi, mais vous pouvez compter sur moi ». Un député UMP a commenté sobrement: « ce n'est pas un concurrent potentiel pour 2012 mais une force supplémentaire au service d'une équipe ». Le plus incroyable dans cette réunion de centriste sarko-compatibles est qu'aucun des sujets du moment - le virage sécuritaire, les expulsions COLLECTIVES de Roms, les déficits et la fiscalité, ou la réforme des retraites, ne fut sérieusement évoqués. Courage, taisons-nous !
Plus loin, à Seignosses, dans les Landes, le Parti Radical de Gauche tenait son université d'été. Il a fait preuve d'amabilité pour convaincre Bernard Tapie, le milliardaire de centre-gauche, sarko-compatible également, d'incarner la voix radicale lors des futures primaires organisées par le parti socialiste. On nage en plein délire. Ces deux opérations « radicales » simultanées ont eu un mérite, celui de se neutraliser.