L'effondrement du marché mondial signifiait que la dynamique du capitalisme allemand ne pouvait plus trouver de débouché international. Il ne pouvait pas non plus être confiné à l'économie nationale limitée de l'Allemagne.
Il devait faire une poussée au dehors pour réorganiser l'économie européenne. Mais comment ? Par la guerre. Au cours de la deuxième année du gouvernement d'Hitler les dépenses militaires atteignaient plus de 50% de toutes les dépenses de l'état en fournitures et services. En 1935, la proportion était montée à 73%. Entre 1933 et 1935 la part des dépenses militaires dans le revenu national allemand a augmenté de 1% à presque 10% - une augmentation jamais constatée auparavant dans aucun état capitaliste en temps de paix. La thèse de Pollock était une vague explication de l'apparente stabilité économique qui avait résulté de la relance de l'économie allemande dû à la militarisation. Cependant cette stabilité ne signifiait pas que les contradictions qui avaient provoqué la Grande Dépression étaient surmontées. Au contraire, elles allaient éclater sous une nouvelle apparence - cette fois sous la forme d'une guerre impérialiste.
Ici il est nécessaire de faire une brève plongée dans des questions théoriques d'économie politique. Les dépenses militaires peuvent provoquer une relance dans une économie stagnante en stimulant la demande et l'emploi. Mais la force vitale de l'économie capitaliste n'est ni la production de biens de consommation, ni la création d'emplois. C'est l'accumulation de valeur ajoutée - la source de l'expansion du capital. De ce point de vue, les dépenses militaires, tout en permettant à certains capitalistes de réaliser de grand profits, diminuent la valeur ajoutée. L'investissement dans des biens d'équipement - matières premières, machines et nouvelles technologies etc... - est productif précisément parce que le capital peut extraire de la valeur ajoutée de la classe ouvrière qui effectue le processus de transformation. Les dépenses militaires ne produisent pas de biens d'équipement. C'est l'équivalent économique de ce que la bourgeoisie dépense en produits de luxe.
Toute économie capitaliste a pour but d'accumuler de la plus-value, qu'elle opère dans le marché libre ou sous forme de monopoles avec des prix fixes ou sous le contrôle d'état. Dès la formation de l'état Allemand unifié en 1871, la source des plus-values pour le capital allemand a été la production de marchandises destinées à l'exportation sur le marché mondial. Cette dépendance à l'économie mondiale était et demeure une caractéristique fondamentale du système capitaliste allemand. Aujourd'hui par exemple, ses exportations représentent 47% de son PIB, une proportion plus importante encore que celle de la Chine.
Mais dans les années 1930 le marché mondial s'était effondré. L'économie nationale a été arrachée à la Dépression grâce aux dépenses militaires. Cependant cela ne résolvait pas le problème de l'accumulation capitaliste - et même cela aggravait le problème. Comment et où prendre les ressources qui permettraient de poursuivre l'accumulation du capital en Allemagne ? Par la conquête militaire. C'est la dynamique qui a mené à la guerre. Et la guerre, surtout la guerre dans l'Est contre l'Union Soviétique, a créé les conditions de l'Holocauste.
Hitler a mentionné sans détour la nécessité économique de la guerre dans plusieurs discours. C'était le thème central de son monologue devant les officiers de l'armée le 5 novembre 1937, qui est enregistré au Hossbach Memorandum. Dans un discours aux commandants des forces armées quelques jours avant l'attaque de la Pologne en septembre 1939, il a à nouveau fait référence aux pressions économiques. L'Allemagne, a-t-il dit, n'avait pas de mal à prendre des décisions : "Nous n'avons rien à perdre ; Nous avons tout à gagner. A cause de nos restrictions notre économie est dans un tel état que nous ne pourrions tenir que quelques années de plus. Göring peut le confirmer. Nous n'avons pas le choix, nous devons agir."
L'invasion Nazie de la Pologne fut suivie de plusieurs mois de "drôle de guerre". Puis a suivi l'invasion de la France, l'expulsion des forces anglaises de Dunkerque et la capitulation de la France en juin 1940. Une année plus tard, le 22 juin 1941, Hitler s'est tourné vers l'Est pour remplir la mission pour laquelle le régime s'était préparé : la conquête et la colonisation de l'Union Soviétique.
Hitler a clairement précisé que la guerre contre l'Union Soviétique était différente des guerres menées contre l'Angleterre et la France. Son but n'était pas simplement de battre l'armée soviétique mais de coloniser le territoire soviétique et de réorganiser complètement son économie et sa société pour répondre aux besoins de l'état allemand.
Le 17 septembre 1941, quand il paraissait que l'Union Soviétique allait bientôt tomber, Hitler s'étendit sur les objectifs de l'invasion : "L'Europe remportera la lutte pour l'hégémonie dans le monde si elle possède le territoire russe ; cela fait de l'Europe l'endroit le plus à l'abri d'un blocus..... Les peuples slaves....ne sont pas destinés à l'autonomie.... Le territoire russe est notre Inde et tout comme les Anglais ont contrôlé l'Inde avec une poignée de personnes, nous gouvernerons notre territoire colonial. Nous offrirons aux Ukrainiens des foulards et de la verroterie et tout ce que les peuples colonisés aiment."
A d'autres occasions Hitler a comparé la conquête de l'Union Soviétique à la colonisation de l'Ouest de l'Amérique. La Volga serait l'équivalent du Mississippi, le peuple slave serait décimé comme l'avaient été les natifs américains et remplacé par une population "supérieure". L'Europe - et pas l'Amérique - serait la terre où tout serait possible.
Le thème colonial fut repris par le Ministre Nazi de l'Economie Walther Funk à une conférence à Prague en décembre 1941. Au cours d'un discours-programme, il a expliqué : "Le vieux continent prend un nouveau visage qu'il tourne vers l'Est. Sur le plan politique, cela signifie tourner le dos.... à la politique d'outre-mer coloniale du pouvoir naval anglo-saxon. Les vastes territoires de l'Europe de l'Est, riches en matières premières et pas encore ouverts à l'Europe seront la terre promise coloniale de l'Europe du futur."
Rosa Luxemburg a fait remarquer la relation entre la violence coloniale de tous les pouvoirs impérialistes et les horreurs perpétrées en Europe durant la première guerre mondiale dans son pamphlet Junius publié en 1915.
La guerre mondiale était à un tournant. Pour la première fois, les bêtes sauvages que l'Europe capitaliste avait lâchées dans tous les coins du monde s'attaquaient à l'Europe elle-même. Un cri d'horreur s'éleva dans le monde lorsque la Belgique, ce fleuron de la civilisation européenne, et les plus vénérables monuments du nord de la France volèrent en éclats sous les forces aveugles de la destruction. Ce même "monde civilisé" avait observé sans réagir les mêmes impérialistes ordonner la cruelle extermination de 10 000 indigènes Herero qui, fous d'angoisse et de douleur, moururent de soif en remplissant les sables du Kalahari de leurs cris et leurs gémissements ; le "monde civilisé" a vu les tortures infligées à 40 000 hommes de la rivière Putumayo (Colombie) par un groupe de capitaines de l'industrie européenne, tortures qui ont causé leur mort en moins de 10 ans et rendu invalide le reste de la population ; comme en Chine où une civilisation ancestrale fut mise à feu et à sang par des mercenaires européens experts dans toutes les formes de cruauté, d'annihilation et d'anarchie ; comme la Perse fut étranglée, impuissante à résister au noeud coulant de la domination étrangère qui se resserrait sans cesse ; comme à Tripoli où le feu et l'épée firent courber les Arabes sous le joug du capitalisme et détruisit leur culture et leurs maisons. C'est seulement aujourd'hui que le "monde civilisé" a pris conscience que la morsure de l'impérialisme entraine la mort, que son souffle même sème l'épouvante. C'est seulement maintenant que le "monde civilisé" a compris, depuis que le monstre a déchiré de ses serres acérées le ventre de sa propre mère, la civilisation bourgeoise de l'Europe elle-même.
La tentative de conquête de l'Union Soviétique était plus qu'une guerre coloniale. C'était aussi une contre-révolution sociale. Pour Hitler, la conquête et la colonisation ne nécessitaient pas seulement le renversement de l'état établi par la Révolution d'Octobre 1917, mais l'éradication des forces intellectuelles et sociales - et par dessus tout les "Juifs-Bolcheviks"- qui avaient mené et soutenu l'état soviétique. La guerre à l'Est était, par conséquent, à tous égards un Vernichtungskrieg - une guerre de destruction et d'extirpation. C'est elle la source de l'Holocauste.
Les ordres d'Hitler et d'autres leaders Nazis à l'armée et à ses forces spéciales d'accompagnement (Einsatzgruppen) étaient clairs : la guerre devait se doubler d'une campagne d'assassinat des Juifs.
Le 3 mars 1941, Hitler a dit à Alfred Jodl, le Directeur des Opérations de l'Etat Major du Haut Commandement des Forces Armées que la campagne militaire imminente n'était pas seulement une question d'armes mais le conflit de deux conceptions du monde : "L'intelligentsia Juif-Bolchevique, 'l'oppresseur' de ces peuples jusqu'à présent, devait disparaître."
Hitler souligna les tâches des unités SS : "L'intelligentsia installée par Staline doit être exterminée. L'appareil de contrôle de l'empire russe doit être détruit. Dans la Grande Russie la force doit être utilisée de la manière la plus brutale."
Le 30 mars 1941, Hitler a parlé à un groupe 200 officiers militaires de la guerre à venir. Voici les notes préparées pour son discours : "Choc de deux civilisations. Dénonciation écrasante du Bolchevisme identifié à une forme de criminalité asociale. Le communisme met notre avenir en grand danger. Un communiste n'est pas un camarade ni avant ni après la bataille. C'est une guerre de destruction. Si nous ne comprenions pas ça, nous vaincrions quand même mais dans 30 ans nous devrions combattre l'ennemi communiste à nouveau. On ne fait pas la guerre pour préserver l'ennemi.... La guerre contre le Russie.... Extermination des Commissaires Bolcheviques et de l'Intelligentsia communiste.... Cette guerre sera très différente de la guerre dans l'ouest. Dans l'est, la dureté aujourd'hui signifie la clémence demain.... Les Commandants doivent sacrifier leurs scrupules personnels." Et à la fin de ces notes : "Midi : Vous êtes tous invités à passer à table."
Dans un document ébauché par des hauts gradés militaires sur les mesures qui seraient nécessaires pour pacifier les territoires conquis on peut lire : "Nous devons donc faire savoir à nos troupes qu'en plus de la résistance militaires habituelle, cette fois, elles se heurteront à un élément très dangereux, et destructeur de tout espèce d'ordre, au coeur de la population : les adeptes des théories bolcheviques. Il n'y a pas de doute qu'en toute occasion, ils utiliseront cette arme de désintégration de manière sournoise et fourbe contre les militaires allemands qui luttent pour pacifier le pays. Les troupes ont donc le droit et même le devoir de se protéger de manière totale et efficace contre ces forces de désintégration."
Le premier chapitre des instructions aux troupes allemandes sur les procédures spécifiait : "Le Bolchevisme est l'ennemi mortel de peuple National Socialiste allemand. Cette théorie destructive et ses adeptes doivent être combattus en Allemagne. Cette lutte exige des mesures brutales et énergiques contre les agitateurs bolcheviques, les guérillas, les saboteurs, les Juifs, et l'élimination totale de toute résistance passive ou active."
Ce que cela signifie en pratique, on l'a vu à Babi Yar, un ravin situé juste au dehors de la capitale ukrainienne Kiev, les 29-30 septembre 1941 quand 33 771 Juifs furent fusillés suite à une attaque de guérilla contre les troupes allemandes. A la fin de 1941 près de 800 000 juifs - hommes, femmes et enfants - avaient été assassinés dans la marche vers l'Est, une moyenne de 4 200 par jour. Les rapports faisaient état de secteurs entiers "libres de Juifs". Au même moment les prisonniers de guerre soviétiques mouraient au rythme de 6 000 par jour. Au printemps de 1942, sur les 3,5 millions de soldats faits prisonniers pas la Wehrmacht, plus de 2 millions étaient morts.
A la fin de l'année 1941, ces opérations meurtrières on pris un nouveau tournant. Les préparatifs ont commencé en vue d'assassiner les Juifs en masse en les gazant dans les camps de concentration. A un moment donné entre l'invasion de l'Union Soviétique et la fin de la guerre - le moment exact fait encore l'objet de grands débats - il fut décidé que la "Solution Finale" de la question juive prendrait la forme du meurtre de masse. Précédemment, il y avait eu un projet d'envoyer les Juifs sur l'île de Madagascar, mais ce projet fut abandonné du fait que les Nazis n'avaient pas réussi à battre l'Angleterre ce qui leur aurait donné la suprématie navale. Un autre projet était de déporter les Juifs à l'est de l'Oural en Sibérie. Mais l'Union Soviétique n'avait pas encore été conquise. Ces projets impliquaient des considérables pertes humaines. Mais le projet d'organiser le meurtre de masse de tous les Juifs qui vivaient dans l'Europe occupée par les Nazis n'avait pas encore été élaboré.
Cependant, au moment de l'infâme conférence de Wannsee le 20 janvier 1942, la décision avait été prise. Elle n'a pas été prise à Wannsee. La conférence avait été organisée et présidée par Reinhard Heydrich, le directeur du Bureau Principal de la Sécurité du Reich, qui convoitait la direction de la Gestapo et d'autres organismes de police et de sécurité. Le but de la conférence était d'informer la bureaucratie d'état allemande d'une décision qui avait déjà été prise et de leur communiquer la définition qui leur permettrait de classer quelqu'un comme Juif. Le meurtre de masse entra en application et se poursuivit jusqu'aux derniers jours de la guerre.
Le nombre de morts défie toujours l'entendement : Auschwitz 1,4 million, Belzec 600 000, Chelmno 320 000, Jasenovac 600 000, Majdanek 380 000, Maly Trotinets 65 000, Sobibor 250 000, Trebinka 870 000. En tout quelques six millions de Juifs furent tués, approximativement deux-tiers de la population juif d'Europe.
Nous avons soutenu que les origines de meurtre de masse sont à trouver dans les contradictions économiques de l'impérialisme allemand et du monde capitaliste dans son entier. Ce qui soulève automatiquement des questions. Comment peut-on faire une interprétation marxiste de l'Holocauste alors qu'il est clair que c'est l'idéologie Nazi et non les forces économiques qui ont joué le rôle principal ? Quelles pouvaient bien être les motivations économiques sous-tendant l'utilisation de transports dont on avait grand besoin par ailleurs et d'autres ressources à seule fin de déporter des Juifs à des centaines de km pour les tuer ? Et sûrement il aurait été beaucoup plus profitable d'un point de vue économique et militaire d'exploiter le travail des Juifs. Selon ces objections, l'idéologie raciste des Nazis était la force motrice de l'entreprise de meurtre de masse à laquelle tout le reste, l'économie y compris, était subordonnée.
Pour commencer, il faut dire qu'on ne peut pas simplement accepter l'idéologie raciste des Nazis comme un fait établi. Il faut aussi l'expliquer. Le racisme biologique des Nazis fournissait le cadre au meurtre de masse des Juifs, qui fut considéré comme un "nettoyage" et un renforcement de la civilisation elle-même. Mais d'où venait cette idéologie ? Elle n'est pas née dans le cerveau fiévreux d'Hitler. Le racisme biologique était un élément clé de l'idéologie des élites dirigeantes d'Europe et des USA dans leur entreprise coloniale. En 1919 tous les leaders des prétendues puissances démocratiques se mirent d'accord pour supprimer du Traité de Versailles une clause qui reconnaissait l'égalité raciale. Le racisme biologique d'Hitler et de ses sbires n'était que la version extrême d'une idéologie qui s'était développée au 19ème siècle au moment où les principales puissances capitalistes commencèrent à bâtir des empires coloniaux - un projet dans lequel les intérêts économiques jouaient indéniablement un rôle crucial.
Une des caricatures les plus fréquentes du Marxisme est de dire que le Marxisme affirme que l'idéologie n'est qu'une couverture pour les réelles motivations économiques des acteurs sociaux. Auquel cas le Marxisme est "contredit" par la découverte que les individus n'agissent pas en fonction de motifs économiques mais sous l'impulsion d'idéologies puissantes. Par exemple l'historien anglais de droite, Niall Ferguson maintient que puisque le monde des affaires dans aucun des deux camps ne désirait la guerre - qui n'avait d'intérêt économique immédiat ni pour l'un ni pour l'autre - on ne peut pas dire qu'elle a son origine dans le système économique capitaliste. On doit noter, dans cette optique, que la récession non plus ne correspond pas aux intérêts du monde des affaires et de la finance. Mais les récessions se produisent quand même et elles naissent des contradictions de l'économie capitaliste.
Le Marxisme ne nie pas que les acteurs historiques soient motivés par - et agissent sous l'impulsion de - leurs idéologies, et il ne prétend pas que ces idéologies ne sont qu'une rationalisation des leurs réels motivations économiques. Cependant, il affirme qu'il est nécessaire d'examiner les motivations derrière les motivations - les vrais forces motrices sous-jacentes des processus historiques - et de bien montrer quels intérêts sociaux servent une idéologie donnée. C'est un lien qui peut être conscient mais qui peut aussi ne pas l'être chez les personnes concernées.
Le meurtre de masse des Juifs fut exécuté par les Nazis au nom d'un idéologie raciale qui voyait le "Juif-Bolchevik" comme la plus grande menace qui soit à la stabilité de la communauté raciale, la Volkgemeinschaft, que les Nazis voulaient établir. La survie et la prospérité de la race allemande, et même de l'Europe elle-même, affirmaient-ils dépendait de deux conditions : éradiquer le judéo-bolchevisme et se procurer du Lebensraum. L'union de ces deux concepts idéologiques forma un cocktail explosif dans la guerre de conquête de l'Est.
La vision du régime Nazi a été résumée dans une déclaration de Paul Karl Schmidt, le directeur de la communication du Ministère des Affaires Etrangères en 1943 : "La question juive n'est pas une question humaine ni religieuse, c'est une question d'hygiène politique. Les Juifs doivent être combattus où qu'ils soient, parce qu'ils sont une infection politique, un ferment de désintégration et la mort des tout organe national."
Pour l'Allemagne Nazi la guerre avait pour but de créer un grand empire colonial basé sur la suprématie de la race aryenne en Europe Centrale et en Europe de l'Est. La stabilité de ce régime exigeait la disparition des Juifs qui le menaçaient rien que par leur existence anti-nationale et leur affinité avec le Bolchevisme et dont la seule présence alimentait l'opposition des "races inférieures". S'il n'était pas possible de déporter les juifs alors il fallait les exterminer.
Dans l'épilogue de son livre Si c'est un homme Primo Levi écrit que les explications simpliste de l'Holocauste ne le satisfont pas parce qu'elles ne sont pas proportionnées aux faits : "Je ne peux pas m'empêcher d'y voir une sorte d'explosion de démence générale unique dans l'histoire." Levi ajoute cependant que même s'il considère comme impossible de comprendre le poison Nazi, "nous pouvons et nous devons comprendre d'où il vient."
Le commentaire de Levy nous interpelle. Comment pouvons-nous "comprendre" un programme d'assassinat de masse qui persistait à attraper les Juifs vivant dans tout le territoire européen occupé par l'Europe pour les tuer jusque dans les derniers jours de la guerre alors que les Nazis ne pouvaient plus espérer la gagner ? Mais représentez-vous une autre situation historique. Peut-on "comprendre" les ordres des officiers qui commandaient pendant la première guerre mondiale d'envoyer "à l'assaut" les uns derrière les autres, des jeunes hommes, la plupart des enfants, alors qu'ils savaient qu'ils seraient fauchés par des mitraillettes meurtrières avant d'avoir la moindre chance de faire une percée ? Il peut sembler impossible de "comprendre" de telles décisions mais nous connaissons certainement leur cause : la guerre pour le profit et les conquêtes impériales qui a éclaté le 4 août 1914.
De la même manière nous connaissons et pouvons comprendre l'origine du mouvement Nazi et de son programme d'extermination. Cela servait les intérêts de la bourgeoisie allemande sur deux fronts : la destruction du mouvement ouvrier allemand, le plus important, le plus puissant et les plus évolué politiquement de tous les mouvements ouvriers que le monde ait connu ; et la réhabilitation de l'impérialisme allemand après la première guerre mondiale qui permettait de poursuivre le projet initié pendant la première guerre mondiale d'un empire à l'Est. Personne, me semble-t-il, ne serait assez sot ou aveugle pour nier que ce programme ne répondait pas aux intérêts économiques du capital allemand.
On peut encore argumenter que le capitalisme allemand n'avait aucun intérêt économique dans le meurtre de masse des Juifs. Mais on ne peut pas analyser la position des élites dirigeantes allemandes comme s'ils ne faisaient pas partie de l'histoire - comme s'ils étaient en dehors du temps et de l'espace. Les développements historiques firent que l'impérialisme allemand a dû se tourner vers le mouvement Nazi pour organiser et conduire son programme. Et le mouvement Nazi, dont l'impérialisme allemand avait absolument besoin, était lui-même basé sur un programme racial qui a abouti au meurtre de masse des Juifs européens.
En réponse aux critiques de sa théorie du matérialisme historique, Marx notait que ces critiques reconnaissaient que sa théorie était exacte pour ce qui concernait le temps présent (19ème siècle) où les intérêts matériels prédominaient, mais objectaient qu'elle ne pouvait pas s'appliquer au Moyen Age dominé par l'église Catholique ni à Athènes ou Rome. C'est juste, répondait Marx, qui ajoutait que lui aussi connaissait la nature du Moyen Age, de Rome et d'Athènes, mais il restait le problème que la société du Moyen Age ne pouvait pas vivre du catholicisme, ni celles de Rome ou d'Athènes de la politique. "Au contraire", écrit-il, "c'est la manière dont ils gagnaient leur vie qui explique pourquoi le catholicisme dans un cas et la politique dans l'autre ont joué le premier rôle."
Poursuivons cette analyse en examinant la question de l'antisémitisme et des intérêts de classe qu'il servait. Dans la société féodale les Juifs posaient un difficile problème théologique aux Catholiques et aux chrétiens en général. Ils n'étaient pas païens. Ils avaient écouté la parole de Dieu mais ils n'avaient pas reconnu le Christ. Cependant ils étaient la racine sur laquelle le christianisme s'était développé. Du point de vue théologique ils représentaient une menace pour les enseignements du christianisme. Il fallait les séparer du reste de la société. Les Juifs avaient entendu les enseignements de Jésus et les avaient rejeté. Ce rejet vivant était très dangereux parce que l'exploitation des paysans par les seigneurs, les princes et l'Eglise elle-même ne reposait pas seulement sur la force mais sur la foi dans l'idéologie chrétienne qui affirmait que les relations existantes entre les classes sociales étaient voulues par Dieu. Les chrétiens antisémites de cette époque étaient certes imprégnés par une idéologie, une théologie mais leur antisémitisme jouait un rôle vital en maintenant les relations de classe de la société féodale et son mode spécifique d'exploitation des producteurs.
Maintenant considérons le régime Nazi. Il était dominé par des conceptions de racisme biologique et nationaliste qui ont trouvé leur expression achevée dans un antisémitisme meurtrier. Mais le capitalisme allemand ne pouvait pas vivre de racisme biologique et d'antisémitisme, pas plus que la société féodale ne pouvait vivre de catholicisme. Le capital allemand pouvait seulement vivre, se développer, se fortifier et battre ses concurrents en générant et accumulant de la plus-value. Cela nécessitait la destruction du mouvement ouvrier et la construction d'un empire. Le mouvement Nazi et son programme meurtrier ont été les moyens utilisés pour parvenir à ces objectifs-là. C'est cela l'économie politique de l'Holocauste.
Nick Beams
12 mai 2010, WSWS
Pour les notes et les sources se référer à l'original :
wsws
Traduction : D. Muselet pour le Grand Soir
legrandsoir