En direct de Perpignan : Visa pour l’image. L’enfant a grandi, le rêve s’est envolé

Par Memoiredeurope @echternach

Toujours au Couvent des Minimes, William Albert Allard cite la chanson des Pink Floyd « Comfortably Numb ». Pour en marquer comme un opposé. L’homme n’est certainement pas sorti de l’enfance, engourdi. Mais est-il vraiment sorti de l’enfance ? Si l’enfance représente une continuité de l’étonnement, certainement pas. 

Voilà un photographe que l’on dira classique. Grandement liée au destin de National Geographic, sa carrière dépasse aujourd’hui les cinquante années. On peut donc sans insulte, parler d’hommage. 

Des visages ou des silhouettes, des poses alanguies, des moments capturés à des vedettes ou à des inconnu(e)s, un peu comme on enfonce les banderilles pour faire gicler le sang du taureau. Mais ces vedettes que finalement on ne voit pas vraiment, ne sont-elles pas des inconnu(e)s ?

Les admirations que suscitent ses clichés sont individuelles puisque chaque sujet est unique, mais elles s’accumulent pour former un style. Communs ou non, les visages sont en souffrance ou en état d’étonnement, et toujours sophistiqués. Ils jouent souvent avec nous. Même quand le propriétaire d’un ranch prend la pose ou qu’un Basque retrouve son identité au plus profond du chant qui résonne en lui.

Attirance pour la chair. En surface. Témoin, certes mais avec compassion. Jamais dans la recherche des endroits où l’on souffre collectivement. Juste le sang qui passe dans les veines et qui peut affluer au visage. De quelqu’un.

Des photographies en couleurs qui sonnent comme des phrases bien construites. Un îlot de calme.Comme une phrase de Giono regardant et écoutant de près des vieilles en train de veiller un mort.On voudrait bien connaître le secret de ces femmes en train de boire le café et de ces hommes figés devant la musique.

Giono, comme Allard nous fournissent les mots et les accents, la grammaire des couleurs. Et nous admirons la construction de la phrase qui nous pénètre.

L’enfance engourdie et la ville endormie. Correspondances entre ce que je regarde là, à côté de moi, et ce que je suis en train de lire, toujours à côté de moi. 

« C’est entre deux flancs de montagnes, un petit bourg paisible, sans bruit. Le mot qu’on y prononce le plus souvent c’est : soleil. On prend le soleil. Venez prendre le soleil. Il est allé prendre le soleil. Il ne fait pas soleil. Il va faire soleil. Il me tarde qu’il fasse soleil. Voilà le soleil, je vais prendre le soleil. Ainsi de suite. C’est le plus gros bruit. Avant qu’un commerçant ait fait un tour sur lui-même, tu tuerais un âne à coups de figues. Les sucres d’orge fondent dans les vitrines et il faut trois étés pour faire fondre un sucre d’orge. Ils ne fondent pas à cause de la chaleur ; ils fondent parce qu’ils restent là trop longtemps. C’est pour le sucre d’orge et c’est pour tout. C’est un pays où on a tellement de temps que, tout ce dont ona envie, on ne finit par l’avoir que fondu. » (Jean Giono, Les âmes fortes)

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