Narcissisme et politique

Publié le 05 septembre 2010 par Elulocal

Le mythe de Narcisse, dans ses différentes versions, se conclut invariablement sur la découverte de son reflet et la fin tragique qui en découle. La vie politique et les rencontres qu'elle provoque, nous montre que dans la pratique, l'amour de sa propre image est souvent un début, rarement une fin.

Guillaume est un trentenaire parisien, il a longtemps hésité entre un avenir littéraire et une carrière scientifique, mais comme de nombreux jeunes de son époque, tombés dedans petits, il se destina à l'informatique. Il avait une voix de radio, et un physique de télévision: Le cocktail détonnant. À la fac, il découvrit que son attraction naturelle permettait de réunir les gens autour de lui, d'abord pour faire des conneries de jeunes, mais parfois, lors des soirées alcoolisées ou plus simplement entre geeks, il avait l'impression que quelque chose d'important se produisait: son avis comptait.

Henri, soixante ans bien tassés, a eu une enfance difficile. Son père enseignant dans l'école du village, une infirmité physique, sa petite taille et sa voix de crécelle firent de lui la risée et le bouc-émissaire de ses camarades de classe. Son instruction impeccable eut pour effet de le propulser dans les hautes sphères intellectuelles du monde rural où il vivait, de sa dure vie en communauté due aux brimades et bizutages, il apprit à se faire discret auprès des masses et favori des plus influents et des plus forts. Ces nombreux atouts lui permirent, dans les années 80, de devenir un " collecteur " de fonds prudent pour son parti politique. Disposant ainsi des cordons de la bourse, et d'une dialectique efficace, il découvrit un phénomène étrange: son avis comptait.

Guillaume a vécu une période grisante pour les jeunes informaticiens arrivés sur le marché du travail dans les années 2000: Tout est démesuré, irréel. Chacun monte son entreprise, et chaque entreprise dispose tantôt du meilleur PDG, tantôt du plus grand expert dans son domaine, des fois les deux. Il est facile d'y perdre rapidement le sens des réalités en ne côtoyant que des personnes présumées exceptionnelles et somme toute, banales. Dans cette jeune entreprise de la Côte d'Azur, dans laquelle un fond avait investi des millions d'euros, Guillaume se mit alors à faire ce qu'il savait le mieux: mettant en valeur son amour de lui-même, il expliquait à qui voulait l'entendre comment il aurait pu devenir le nouvel Apollinaire. Au paroxysme de son amour-propre, il lui prit aussi l'envie, un soir, au bureau, dans un dérapage parfaitement contrôlé, d'exhiber son corps en courant, nu, dans les couloirs de sa start-up sous les yeux complexés et gênés de ses jeunes collègues. Mais après tout, n'était-il pas le plus bel homme jamais vu?

Henri, le fils prodigue ayant réussi " à la grande ville ", brigua rapidement la mairie de son petit village. Il convainquit les anciens que ses compétences seraient plus utiles qu'une quelconque expérience de la commune, et gagna ainsi son premier mandat, par forfait. Pour les élections suivantes, il lui aura suffit de jouer sur les divisions naturelles de la population: catholiques contre protestants, chasseurs contre écologistes, etc. Cette stratégie, longtemps éprouvée, empêcha de former une liste cohérente contre lui. Cependant, cette vie publique locale ne lui suffisait pas, il lui fallait jouer plus grand. Il devait trouver une tâche d'envergure départementale, et pourquoi pas nationale. Après tout, n'était il pas l'un des meilleurs éléments dans les finances de son parti?

Devant la réalité qui reprenait sa place au sein d'une jeune entreprise aux difficultés économiques de moins en moins dissimulées, Guillaume décida qu'il ne fallait pas associer cet échec à son parcours, il rejoignit une entreprise plus ancienne et solide. De retour " à la capitale ", peut-être pourrait-il enfin laisser la place à ce littéraire qui l'habitait. Mais pour que son avis compte encore et pour mettre à l'épreuve son charisme, il décidait de saisir, comme de nombreux jeunes de son époque, l'opportunité que la classe politique nationale aborde le thème de l'informatique. Il prit le train en marche, d'un combat associatif et politique qui consentirait à finalement exposer sa personne, en cette année 200x.

Alors qu'il prenait ses marques dans les fonctions de maire, au moment où étaient ressentis les effets de la loi Defferre qui consacrait le premier magistrat de la commune, Henri comprit que les structures associatives de ces élus, lui permettraient d'exercer un pouvoir national. Et alors qu'il n'était que financier et collecteur de fonds sur des marchés publics liés à l'informatique, malgré des lacunes techniques, il manie suffisamment bien le vocabulaire en cette année 198x, pour tromper son monde et saisir l'opportunité de se mettre sur une niche politique où peu d'élus locaux, et encore moins ceux de son voisinage rural, y comprennent quelque chose.

Aujourd'hui, en 2010, contraint comme tous les jeunes politiques à l'envergure, ou plutôt, à l'ambition, nationale, Guillaume se saisit de chaque sujet d'actualité sur twitter ou sur son blog, pour exprimer son opinion, ou souligner celle d'un hypothétique mentor. Son militantisme abêtit sa réflexion, et son narcissisme pollue son argumentation; Henri, lui, attend patiemment que les opinions se forment pour s'approprier les meilleures, il n'a aucun dogme: Si le réchauffement climatique lui permet d' éco-blanchir un projet local, il sautera sur l'occasion sans état d'âme, et si la tendance locale est à la détestation des éoliennes, il les combattra vigoureusement, en se positionnant sur l'hydro-électrique ou le nucléaire. Le système qui nous est légué aujourd'hui confine les politiciens dans des postures démagogiques d'une manière (débutante) ou d'une autre.

Qu'ils soient à l'origine des narcissiques, ou bien qu'ils le soient devenus, les Henri, les Guillaume, représentent la perversion de la démocratie. Il est souhaitable que le peuple choisisse ses élus sur leurs principes, leurs convictions et enfin leurs idées, il ne sert à rien d'en inventer de nouvelles ou d'en déguiser d'anciennes. Par analogie avec la politique nationale: vouloir faire une loi en se basant sur un événement rarissime bénéficiant d'une éphémère popularité revient à souscrire une assurance pour se prémunir de la chute de météorites sur sa maison. Il en va de même, par exemple, lorsqu'un avion s'écrase, emportant un chef d'État européen avec lui et que tous les démagogues de services demandent un deuil national dans chaque pays européen. Pourquoi vouloir donner du sens à des vicissitudes qui n'en ont aucun?

Nous ne sommes pas élus parce que nous sommes beaux, talentueux, ou intéressant. Nos idées peuvent l'être. Elles sont belles, astucieuses ou fascinantes. Elles le seront plus encore quand elles auront contribué à une victoire politique, car elles seront alors les idées de tous les électeurs.


Ce sont les idées que l'on partage sincèrement, et non pas les artifices démagogiques, qui comptent, il faut admettre que l'on peut " perdre ", que les électeurs pensent différemment. L'oublier reviendrait à enfermer votre vie politique toute entière dans l'instant qui sépare la fin de Narcisse de la découverte de son reflet: vous n'aimeriez jamais que l'image de vous-même.