Ce n’est plus un secret, les revivals 90’s sont légion depuis le début des années 2000 et les références à cette époque dorée se
ramassent à la pelle dans une nostalgie parfois pesante. Car le rap mid 90’s semble être selon l’expression consacrée, “un passé omniprésent qui ne passe pas”, laissant une certaine amertume dans
la bouche de ceux qui ont gouté aux plaisirs du boom-bap, qui se sont frottés au rap poisseux du South ou qui n’ont pu résister aux sirènes g-funk de la côte Ouest. Une période faste où le rap a
étendu ses tentacules sur une société américaine en proie à la fureur Hip Hop depuis la fin des années 1970 et qui dans un accès de libéralisme effréné, s’est employée à faire de ce nouveau
mouvement une occasion supplémentaire pour faire pleuvoir les dollars...
Parmi la myriade d’artistes que les années 1990 ont pu charrier, certains anciens luttent aujourd'hui pour se faire une place au
soleil, quitte à en payer le prix. Issu du duo Artifacts qu’il composait avec son frère de graff Tame One, El Da Sensei est en quelque sorte un
rescapé de cet “âge d’or” impitoyable. Depuis la dissolution du crew et malgré un temps de latence conséquent, le rappeur du New Jersey s’est remis en selle au début des années 2000 grâce à
quelques projets de bonne facture qui lui ont permis de maintenir la tête hors de l’eau et de garder un pied-à-terre au sein de l’underground. Au même moment, de l’autre côté de l’Atlantique, les
polonais auto-proclamés The Returners, anachronismes assumés et grands admirateurs de la créativité des 90's (comme c’est souvent le cas en Europe de l’Est), opèrent une
connexion avec l’ancienne moitié d’Artifacts, qui accouchera d’une série de projets jusque-là bien accueillis (Global Takeover : The Beginning en 2008 et The Money
EP en 2009). Fruit de leur troisième collaboration, Global Takeover 2 : Nu World enfonce le clou et s’inscrit on ne peut plus dans cet héritage qui leur est cher, à l’image de
“Pain” et son piano implacable en guise de couperet. Doté d'un flow imparable et d'une voix proche d'un Large Pro, El Da Sensei est comme un poisson dans l'eau,
évoluant au fil des morceaux avec une détermination convaincante qui renverrait dans leurs couches certains MC des générations plus récentes ("2 The Death", "Nu World", "Everyday On The Street",
"Knowledge Be The Key"). L'ensemble baigne dans un boom-bap soigné criblé de cuts à propos ("Goin' To War", "Live Noize"), et pleins d'une assurance qui rappelle les productions vintages de
Marco Polo. The Returners ont donc opté pour un rap percutant et incisif sur lequel quelques personnalités comme Tiye Phoenix, Sean Price,
Rakaa, John Robinson ou Reks confèrent au projet une unité formidable.
Si les allergiques reprocheront une carence créative qui verse autant dans le purisme que dans le nostalgique larmoyant, les
autres ne pourront que saluer l'initiative qui se situe un cran au dessus de la première livraison, et ce grâce à un ton plus affirmé.