Première grosse journée de festival, avec d’une part, l’ouverture de la compétition des courts-métrages, et, d’autre part, le début des hommages et des cartes blanches aux différents invités.
Jean-Pierre Kalfon est venu présenter Une étrange affaire, l’un des meilleurs films de Pierre Granier-Deferre, dans lequel il joue l’un des hommes de main de Michel Piccoli. Une fable sociale à la lisière du fantastique, qui voit la vie d’un homme (Gérard Lanvin) basculer quand un nouveau supérieur hiérarchique (Piccoli) débarque dans sa société, et exerce sur lui une emprise de plus en plus forte, jusqu’à s’immiscer dans sa vie privée…
Nicolas Winding Refn, apparemment pas trop perturbé par le décalage horaire et par sa soirée de la veille, est venu présenter Adieu Afrique un faux documentaire du genre “Mondo” (1) qui traite de l’agonie du colonialisme en Afrique et les conséquences des différents conflits coloniaux.
Puis il a proposé La Cité de la violence, un thriller italien des années 1970 mettant en vedette Charles Bronson et Jill Ireland. Et Vampyr de son compatriote Carl Theodor Dreyer. Inutile de présenter ce chef d’oeuvre du cinéma fantastique, qui reste l’un des meilleurs films réalisés sur le thème du vampirisme, grâce au talent de metteur en scène de Dreyer…
Enfin, pièce maîtresse de sa carte blanche, il a présenté Thriller, du suédois Bo Arne Vibenius, un des grands classiques du genre “Rape & Revenge” (2).
Ce film est réputé culte, notamment parce qu’il a inspiré Abel Ferrara pour son Ange de la vengeance et surtout Quentin Tarantino pour Kill Bill.
A l’écran, difficile de comprendre ce qui lui vaut cette réputation :
Le film n’est pas très bien joué, même si Christina Lindberg propose un curieux mélange d’innocence et de sensualité, de sang-froid et de sauvagerie.
Il repose sur un rythme particulièrement lent – même les scènes de violence, finalement assez rares, sont filmées au ralenti ! – qui s’emballe à peine lors de quelques morceaux de bravoure – la scène de l’énucléation de Christina Lindberg, la fusillade dans un bar, la poursuite en voiture… On s’ennuierait presque…
Dire que le film a mal vieilli est un euphémisme : la violence y est bien anodine comparée à un Hostel ou un Martyrs, pour ne citer qu’eux, et les scènes érotiques simulées ne sont guère excitantes.
Bon, il faut quand même remettre les choses dans leur contexte. Le film date du début des années 1970 et ce genre de film, à l’époque, était sûrement jugé comme scandaleux, voire pornographique. Il a certainement titillé l’imaginaire des adolescents qui l’ont découvert en cachette, fascinés par ce mélange peu commun de sexe et de violence.
C’était aussi la première fois qu’un personnage féminin prenait les armes pour se venger elle-même des hommes qui l’ont humiliée. En un sens, Thriller est un des premiers films de genre féministes.
Enfin, même si on peut ne pas y adhérer, cette esthétique très particulière, sobre, dépouillée, ce rythme très lent, ces meurtres au ralenti ont quelque chose d’assez hors normes, tranchant avec tous ces films d’horreur et ces thrillers sans âme que le cinéma américain produit à la pelle… Un ton assez unique…
C’est probablement cela qui a marqué les cinéastes précités, ainsi que Nicolas Winding Refn. On comprend mieux l’évolution du rythme des films de Tarantino, prégnante justement depuis Kill Bill volume 2. On comprend mieux, également, la démarche artistique du cinéaste danois dans Le Guerrier silencieux, également programmé cette semaine : Personnage principal mutique et borgne, dépouillement des décors, lenteur des plans,…
Beaucoup ont cité Kubrick et son 2001, l’odyssée de l’espace comme influence majeure du film, mais l’inspiration du film est donc plutôt à rechercher du côté de ce film suédois !
Tiens, puisque l’on parle de cinéaste suédois, passons maintenant à Victor Sjöström.
Alejandro Jodorowsky a choisi de présenter, dans le cadre de sa carte blanche, Larmes de clown, un mélodrame tourné aux Etats-Unis, avec Lon Chaney, Norma Shearer et John Gilbert. Un classique du muet, dont la projection sans musique d’accompagnement a permis de faire ressortir le formidable travail sur l’image de Sjöström, ses jeux de lumière, ses cadrages et ses effets de montage audacieux.
Le film possède aussi un intérêt historique puisque, pour l’anecdote, c’est le premier film américain de Sjöström, ainsi que le premier film entièrement produit par la MGM. C’est donc le premier film où apparaît le fameux lion, bien sage à l’époque…
Evidemment, là aussi, le film a quelque peu vieilli, mais il reste un grand moment de cinéma, grâce à la mise en scène inspirée de Sjöström et au jeu intense de Lon Chaney, “l’homme aux mille visages”…
Mais, sans vouloir aucunement diminuer les qualités de Larmes de clown, le grand moment de cette séance a eu lieu avant la projection, quand Alejandro Jodorowsky a donné un formidable cours d’analyse filmique à l’auditoire, en décortiquant Le Magicien d’Oz, de Victor Fleming, d’un point de vue psychanalytique et symbolique, se référant beaucoup au Tarot de Marseille. Le tout avec une érudition, un don pour le décryptage des images et un sens de la pédagogie qui ont laissé plus d’un spectateur pantois. Ah, si tous les profs étaient aussi passionnants que Jodorowsky, le taux de réussite au baccalauréat et aux examens universitaires aurait fière allure, croyez-moi !
Devant une telle démonstration de force, on a bien envie de voir ou revoir, d’une part Le Magicien d’Oz, et d’autre part, les films du cinéaste chilien, qui peine, hélas, à mener à bien ses nombreux projets cinématographiques, à cause de la frilosité des producteurs…
En tout cas, merci à L’Etrange Festival d’avoir offert un espace d’expression à ce grand réalisateur – mais aussi écrivain, essayiste, homme de théâtre, acteur, scénariste de BD… –, ce moment de communion avec le public était tout simplement formidable !
A côté de tous ces vieux films, il y avait quand même de la place pour deux avant-premières.
Déjà, Mutant Girls squad, que je n’ai pas pu voir, mais qui a l’air assez réjouissant. Construit selon le principe des “cadavres exquis”, le film repose sur le travail de trois réalisateurs japonais complètement barrés, Noboru Iguchi, Yoshihiro Nishimura et Tak Sakaguchi. Vu les oeuvres précédentes des trois loustics – pas le genre de truc qui sort en salle en France – et le résumé de l’intrigue – une étudiante découvre qu’elle n’est pas totalement humaine quand une arme redoutable sort brusquement de son bras et utilise ses nouveaux pouvoirs pour se venger des agents du gouvernement qui ont assassiné ses parents – il faut s’attendre à du grand n’importe quoi gore et ultra-violent…
Ensuite, Proie, un film de genre français…
Hé! Non, non, ne partez pas… Pour une fois, c’est plutôt pas mal !
Antoine Blossier, et son coscénariste Erich Vogel, ont écrit une histoire assez simple, mais efficace, confrontant un groupe de chasseurs, membres d’une famille de riches industriel locaux qui ont du mal à se supporter les uns les autres, à une meute de sangliers mutants particulièrement véhéments.
Habilement, le cinéaste joue habilement sur tous les ressorts dramatiques permis par la situation – rivalités viriles, ambiance nocturne et nature sauvage – en restant constamment sur une ligne sérieuse, très “premier degré”.
Et comme il a su s’entourer d’une troupe d’acteurs plutôts convaincants (Grégoire Colin, François Levantal, Joseph Malerba, Fred Ulysse), le film est relativement crédible et la tension monte efficacement.
Bon, attention, le film n’est pas exempt de défauts. Beaucoup d’erreurs de jeunesse et de tics de mise en scène/scénario hérité des films hollywoodiens.
Les tenants et les aboutissants de l’intrigue sont un peu trop prévisibles, le scénario est un peu trop simple, trop linéaire pour sortir vraiment du lot. Et les scènes d’épouvante auraient pu être mieux amenées… Quant à la réalisation, notamment celle des scènes d’action, elle est parfois un peu confuse, ce qui désamorce un peu, hélas, le suspense savamment élaboré.
Mais il y a malgré tout une réelle envie de proposer un thriller horrifique français qui tienne la route, qui ne prenne pas le spectateur pour un imbécile.
Pour un premier long-métrage, il y a là un certain potentiel qui saura, on l’espère, s’exprimer dans de futurs films un peu plus ambitieux que celui-ci…
Pour clore cette seconde soirée, les festivaliers noctambules et les créatures de la nuit ont pu profiter d’une nuit de cinéma consacrée aux vampires. Pas les boules à facette de Twillight, hein? Les vrais de vrais, ceux qui boivent du sang et qui ne supportent pas la lumière du jour…
A demain pour la suite de ce beau voyage dans le fascinant monde de l’étrange…
(si les vampires n’ont pas dévoré les projectionnistes et le personnel d’accueil, bien sûr…)
(1) : Le Mondo est un terme générique qui désigne des films d’exploitation adoptant la forme de faux documentaires. Ces oeuvres sont souvent très crues et mettent en avant les aspects les plus choquants et/ou racoleurs du sujet traité – sexe, violence, coutumes exotiques barbares…
Le nom vient du film Mondo Cane de Gualtiero Jacopetti et Franco Prosperi, également auteurs de Adieu Afrique.
(2) : “Rape & Revenge” = “viol & vengeance”. Genre de film dans lequel un personnage confronté à une agression sur sa personne ou sur un de ses proches se venge violemment de ses bourreaux, avec des moyens pas toujours très légaux…