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Lettres édifiantes et curieuses des jésuites de l'Inde - XVIII° siècle

Publié le 05 septembre 2010 par Olivia1972

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  Lettres Edifiantes et Curieuses des Jésuites de l'Inde au dix-huitième siècle

Présentées et annotées par Isabelle et Jean-Louis Vissière

Les Jésuites, pendant toute la première moitié du XVIII° siècle, occupent une place éminente ; non seulement en Europe, du moins dans les monarchies catholiques, mais aussi dans le vaste monde où ils rayonnent à partir de leurs missions. Ils bâtissent un avenir planétaire. La branche intelligente de l’Eglise est néanmoins sensible à l’essor de la philosophie des Lumières et essaient de gagner sur d’autres continents ce que le christianisme perd en Europe.

Ces « Lettres édifiantes et curieuses » sont de fait les lettres que les jésuites missionnaires avaient pour obligation d’écrire à leurs supérieurs restés en France ; elles constituent un témoignage précieux à bien des égards. Si ces lettres concerneront la Chine, l’Inde et le Levant, ce livre se limite aux seules lettres d’Inde.

L’implantation des jésuites français en Inde se fera tardivement et de manière oblique, via le Royaume de Siam qui était, avec la Chine, le véritable objectif de ces missions. En 1688, les jésuites français doivent fuir le Royaume de Siam et débarquent à Pondichéry. Mais l’expansion en Inde ne se fera pas sans mal. Tout d’abord l’influence vite croissante des jésuites portera ombrage aux Capucins installés avant eux, ce qui provoquera des tensions et des dissenssions, ah ! querelles de chapelle ! A la différence de beaucoup d’autres odres, les jésuites très vte comprendront que l’on ne peut obtenit des résultats en matière de conversions qu’en s’adaptant aux mœurs et aux coutumes locales. Ces dissenssions nécessiteront un arbitrage papal et un légat pontifical tranchera en 1704 en condamnant les rites malabares, ce qui ne modifiera en rien la conduite des missionnaires jésuites. Il faudra attendre la bulle pontificale de Benoit XIV en 1744 pour rétablir les choses.

La présence des jésuites en Inde ne durera pas très longtemps ; en effet le Traité de Paris de 1762 établit la suprématie anglaise en Inde, la France ne conservant que ses 5 (petits) comptoirs. De plus, au sein de l’Eglise, la condamnation des Jésuites en Europe (1762 en France) et finalement la suppression de la Compagnie de Jesus par le pape Clément XIV en 1773 amèneront les missionnaires à rejoindre les Missions Etrangères de Paris.

Ces « Lettres » furent nommées édifiantes car il fallait montrer les progrès de ce smissions, les conversions réalisées et il fallait susciter la générosité des donateurs. Elles furent aussi nommées « curieuses » car l’Inde était objet de curiosité dans le siècle des Lumières. Le premier recueil des Lettres paraitra en 1702, puis il y aura plusieurs éditions qui couvriront finalement la période 1699-1749.

Comment ne pas saluer l’héroïsme de ces aventuriers missionnaires jésuites ? Ils faisaient souvent un voyage mouvementé, leur retour en France paraissait improbable et les communications avec la France étaient rares. De plus il leur fallait s’adapter au pays, au climat, aux langues ! On cite le cas de l’un de ces missionnaires qui parlait le turc, le persan, l’arabe, le bengali, le latin et le grec et qui dut apprendre le tamoul… N’est pas jésuite qui veut ! Mais la plus grande difficulté était la conversion des hindous.

Quelques extraits :

« Un jour que trois ou quatre missionnaires conféraient ensemble assis sous des arbres, un serpent se glissa dans la soutane de l’un deux et monta jusqu’à une de se smanches, que nous portons ici fort larges à cause des grandes chaleurs. Il sortit ensuite auprès du poignet, et on donna avis au missionnaire qui n’y faisait nulle attention. Il eut assez de présence d’esprit pour ne pas se donner le moindre mouvement. Le serpent se coula tranquillement à terre, où on le tua. »

« La plus grande peine que nous eûmes pendant un mois et demi fut de nous défendre des tigres : nous allumions toute la nuit de grands feux pour les écarter ».

« Ce pays est peu garni d’arbres fruitiers : jen’en ai vu presque aucun d’Europe, à la réserve de quelques citron aigres. Je m’étais imaginé, quand je suis venu dans cette mission, que les oranges y étaient fort communes. Depuis que j’y suis, je n’y ai vu ni goûté aucune orange mûre. On ne laisse guère mûrir le peu de fruits qu’il y a, on les cueille tout verts et on les fait confire dans quelques saumure aigre, pour les manger avec le riz et en corriger la fadeur. »

« Nos Indiens n’en sont pas demeurés là, et après avoir défiguré Noé sous le nom de Sattiavarti, ils pourraient bien avoir mis sur le compte de Brama les aventures les plus singulières de l’histoire d’Abraham. »

Les jésuites travailleront sur les parallèles entre le christianisme et l’hindouisme ; ils retrouvent dans la mythologie locale Job et Samson, une idée confuse de la Trinité, le mystère de l’Incarnation, la purification par l’eau. L’un d’eux conclut une de ses lettres de la manière suivante : « Vous voyez, Monseigneur, qu’en même temps que nous faisons goûter à ces peuples abandonnés la douceur du joug de Jésus-Christ, nous tâchons de rendre quelque service aux savants d’Europe par les découvertes que nous faisons dans les pays qui ne leur sont pas assez connus ».

« Un Chrétien de la caste des pêcheurs mourut, non seulement sans avoir voulu recevoir les sacrements, mais même après avoir appelé les prêtres des idoles pour invoquer le démon sur lui. Quoique ce malheureux eût fait une fin si funeste, ses parents prétendaient qu’il fût enterré dans l’église. Le Père leur représenta que ce serait la profaner et qu’un homme mort dans l’impénitence et même dans l’apostasie, ne pouvait pas être mis en terre sainte, ni avoir part aux suffrages des fidèles ».

« Un des plus grands obstacles (à la propagation de l’Evangile) vient de la part des gourous que les Indiens regadent à peu près ici de même que nous regardons en Europe les directeurs (de conscience) et les Pères Spirituels, avec cette diférence que ces gourous n’ont d’autre application que d’amasser de l’argent et d’en tirer toutes sortes de voies de ceux qui s’abandonnent à leur conduite ».

Une lecture pasionnante bien sûr et un précieux témoignage sur l’Inde du XVIII° siècle. La présentation qui en est faite par Isabelle et Jean-Louis Vissière (Université de Saint-Etienne) est remarquable.


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