J'avais bien retiendu la leçon il y a des années, après la catastrophe au vin chaud (ou plus exactement au vin destiné à être chauffé: il est mort avant de passer à la casserole, le malheureux): ne jamais mettre de bouteilles dans un bagage de soute, si soigneusement enveloppées soient-elles.
De toute apparence, l'abruti qui avait eu la lumineuse idée de fourrer dans sa valise un bocal de cornichons n'avait pas été préalablement vacciné. Je vous laisse deviner la suite: bien évidemment, le fragile bocal n'a pas survécu au voyage, et bien évidemment, sur quel sac voisin le vinaigre a-t-il choisi de venir s'écouler? Le mien, bingo. Bon, le dégât n'est qu'externe.
Cela n'a pas suffi à altérer ma joie d'être arrivée en Italie. Rien que d'entendre la mélodie de la langue, ça me met de bonne humeur. Même quand des gens s'engueulent (ce qui arrive souvent), j'ai l'impression d'entendre une chanson... Pour l'instant, je ne me suis pas encore lassée.
Mon sac au délicat parfum de pieds sur les épaules, je suis arrivée à l'auberge de jeunesse où je me réjouissais déjà de « check in » (pas de verbe équivalent en français, les dicos en ligne me l'ont confirmé) in italiano, après avoir demandé mon chemin in italiano et acheté mon ticket de bus in italiano (bon, un peu laboriosamente, je dois l'avouare). On m'accueille avec un « hello » retentissant. Je réponds « buona sera ». Le standardiste continue en anglais, je me vexe (ai-je donc un accent si pourri alors que j'y ai mis tout mon coeur?) et récidive en italien. Lui s'entête en anglais. Mon italien serait-il donc absolument incompréhensible? Non, c'est seulement que le monsieur est... indien et ne maîtrise pas vraiment la langue de Dante. Je me disais bien qu'il n'avait pas franchement l'air italien. Ça ne l'a pas empêché de me servir gentiment des pâtes et de se taper la conversation. C'est ainsi que j'ai cru comprendre (car l'anglais avec l'accent indien faut s'accrocher...) qu'il était à Rome depuis 6 ans, qu'il s'était lancé dans l'hôtellerie après avoir perdu 200 000€ dans la chaussure, et que son but provisoire dans la vie était de se faire un maximum d'argent Je lui ai raconté ce que je faisais dans la vie et lui exposé mon modeste projet de chercher du travail en Italie ou du moins de dépenser le moins d'argent possible. Ce n'est pas tombé dans l'oreille d'un sourd: 2 secondes plus tard, il me proposait l'hébergement gratuit contre des leçons de français. Moi j'ai dit: why not.
C'est ainsi que le lendemain soir, après avoir arpenté le Trastevere en long, en large en en travers, je donnais mon premier cours de français de l'hôtellerie à un grand débutant. Ça consistait tout bêtement à traduire de l'anglais vers le français les formules élémentaires de la politesse (hello, good by, how are you) et des phrases de base comme « How many people are you? », « Where are you from », «You have to pay cash », « Sorry, we don't have any bed available tonight ». Je les
écrivais, les lui disais à voix haute, et après avoir repeated after me de manière très approximative, il transcrivait tout cela en langage phonétique, dans un alphabet que je ne connaissais pas. Pas besoin d'un master de FLE pour faire ça... mais peu importe.
Les choses ont commencé à se corser quand, pendant la « pause », mon nouvel élève m'a fait part de ses difficultés à trouver une girlfriend, et qu'ensuite, une fois le « cours » recommencé, il a voulu la traduction de phrases qui, à mon avis, n'avaient pas grand chose à voir avec le français du tourisme. « I will miss you », « you are a very nice girl »... Je lui demande s'il est sûr qu'il va les utiliser: yes of course, on sait jamais, s'il y a une beautiful french girl qui arrive... Je fais l'autruche (j'excelle en la matière), je traduis bravement... quand il passe au « I love you », je me dis que ça ne peut plus durer et lâche incidemment que je ne peux plus attendre de retrouver mon boyfriend italiano le lendemain... (Paolo, tu ne me tiendras pas rigueur de ce pieux mensonge...). Alors là, il m'a surprise
le coco, il s'est excusé en français SVP... avant d'ajouter (avec grande insistance) que si jamais je ne trouvais pas mon boyfriend au lieu de RV, j'étais bienvenue à l'hôtel... Of course.
Moralité: je l'aurai pas volée, ma nuit gratuite à l'hôtel.