Magazine Culture
Claudie, bronze à la cire perdue de François Cacheux (jardins de la préfecture de Bourges), 1952.
L'été n'a pas été serein mais plutôt excessif : défensif (affaire Bettencourt), explosif (violences diverses), offensif (déclarations sécuritaires), expulsif (roms), compulsif (déclarations pré-présidentielles). Mais déjà, on passe à autre chose et ça sent la rentrée avec ses cortèges habituels. Cette année, "retraites et Houellebecq" pour faire court.Au milieu de ce tohu-bohu, la cocasserie languedocienne de Georges Frêche a fait figure de guignolerie. L'affaire des "Grands hommes" donc, qui tombe à pic avec les Journées du patrimoine consacrées au même thème.Je résume : Georges Frêche en tant que président de la communauté d'agglomération de Montpellier a signé avec l'artiste François Cacheux (né à Paris en 1923), un marché de conception-réalisation pour 10 sculptures en bronze destinées à orner la "place des Grands hommes" dans le nouveau quartier Odysseum (loisirs et commerce). Ouf, un peu de culture.
Les médias se sont focalisés sur le choix des grands hommes en question. Jaurès, De Gaulle, Churchill ou Roosevelt n'ont pas soulevé de polémiques mais Lénine et Mao ont plus de mal à passer ! Le commanditaire, qui entend ajouter Staline au palmarès, se défend en disant que, même si ces derniers ont condamné des milliers de personnes aux camps et aux goulags, ils ont aussi changé le cours de l'histoire et qu'à ce titre, ils méritent des statues. Avec ce genre d'argument, Hitler aussi a changé le cours de l'histoire (on l'a échappé belle !).
Il fut un temps où Montpellier avait pris comme slogan "Montpellier la surdouée". Aujourd'hui, c'est "Montpellier, attractive cité ". Les projets mémoriaux de M. Frêche ne sont pas en cohérence avec cette vision futuriste et dynamique : ils mettent l'accent sur des conquérants, des bâtisseurs d'empire, des chefs d'Etat du XXe siècle. Vision individualiste, politique et de fait passéiste. Mais qui en plus se veut objective et historique ! M. Frêche a ainsi déclaré : "Je fais une "place des grands hommes" qui ont changé le 20e siècle. Donc je mets les vilains et les gentils, parce que moi je suis historien, pas moraliste" (AFP).On aurait pu imaginer que les grands hommes (et les grandes femmes) du XXe siècle auraient été sélectionnés exclusivement pour leurs découvertes scientifiques, leur charisme humanitaire ou leurs travaux artistiques, des valeurs "durables", à servir en exemple aux générations futures. C'est trop moral ?On aurait pu aussi, vu le nom du quartier, imaginer des représentations mythologiques autour de la saga homérique. C'est trop antique ?On aurait pu...
Mais la "cohérence" de Georges Frêche est sans doute ailleurs. Voyons du côté du style.Il a porté son choix sur l'artiste François Cacheux. Personne n'en parle. Or c'est aussi un "choix esthétique" particulier. M. Cacheux qui a été directeur de l'Ecole des Beaux-Arts de Strasbourg pratique le dessin et la sculpture. Ses dessins et bronzes de nus féminins sont remarquables (photo de Claudie ci-dessus). Ses bronzes de commande le sont beaucoup moins. C'est que M. Cacheux sait aussi "se vendre" auprès des municipalités qu'il a fréquentées. Son langage est donc de nature à plaire aux jurys les plus variés et à ne déplaire à personne.Strasbourg : buste de Pierre Pfimlin (1987)Nevers : buste de Pierre Bérégovoy (1997)Lille : statue de François Mitterrand (1998)Angers : statue de Jean Moulin et musée de sculptures à l'Arboretum (2001)
Le résultat est académique à souhait et fort "convenu" (point de vue personnel et "gentil") : la grosse cavalerie du portrait officiel figé dans l'airain. Mais peut-être est-ce affaire de génération ? (M. Frêche a 72 ans, M. Cacheux 87) et faut-il être indulgent ? Une indulgence qui coûte la bagatelle de 2 M€, à 200 000 € pièce, pour des oeuvres de 3,3 m de haut, pesant entre 850 kg et une tonne. Un budget de poids. Le poids de l'histoire ? On aurait attendu pour ce tarif quelque chose de plus visionnaire !
Le site internet de la communauté d'agglo de Montpellier ne se vante d'ailleurs pas trop de ces statues intempestives : une vidéo de M. Frêche présente actuellement les mérites du tramway siglé Lacroix (superbe !) et le 4e festival... de la tomate de Clapiers. Juteux.On en restera donc là, sur ces considérations légumières : "Claudie" ne tiendrait-elle pas d'ailleurs une tomate de Clapiers dans sa main ?
Au fait, vous savez qui conseille M. Frêche ? Lui-même ? Ah bon...
Merci pour votre lecture ! Thank you for reading !