RENCONTRE AVEC Miqi O.

Publié le 04 septembre 2010 par Ikiblog

4 sept

Miqi pour le personnage Mickey Holliday du film « Mat Dogs », séducteur loser à la fois brillant et maladroit. O, pour une histoire de sonorité, de singularité un peu fantaisiste. Trouver son nom pour un artiste, c’est en quelque sorte dessiner sa voix, créer son univers. Celui de Miqi O. est en constante mutation depuis le début des années 90 : d’abord le breakdance et le graffiti, puis le rap en s’inspirant des emcees new-yorkais les plus marquants des années 90 et enfin la production en créant des boucles à la Primo sur un logiciel aujourd’hui vintage, Cool Edit. Ce natif de Besançon s’est comme beaucoup essayé à toutes les disciplines du Hip Hop avant de se considérer, même si le nom est réducteur, comme un beatmakeur qui triture du bruit pour en faire des sons. Ce n’est peut-être donc pas un hasard si sa lettre fétiche, le 0, symbolise un accomplissement qui passe par des cycles passagers mais complets.

J’ai l’impression qu’on assiste aujourd’hui à l’émergence d’une scène dite « Wonky ». Même si cette scène n’est pas nouvelle, elle fait de plus en plus d’adeptes, comment est-ce que toi, tu en es venu à faire la musique que tu fais?

Miqi O. : ça s’est fait en plusieurs étapes. Je dirais que le premier à m’avoir influencé dans la musique que je fais reste Jay Dee. Ensuite, il y a eu le producteur, Medline (devenu SunsonSound). C’était vers 2002 ou 2003 et il était le premier français que j’entendais pousser le délire du offbeat, une musique instrumentale qui ne ressemblait à aucun style. A cette époque, on faisait parti du même collectif, Electrons Libres (aujourd’hui Zo aka La Chauve-Souris et Miqi O). Ensemble, on a commencé à expérimenter, à jouer live sur nos MPC. Et puis j’ai fait une pause dans la production pour me consacrer au rap tout en continuant le deejaying. Mais durant cette période, je suivais de très près l’évolution que prenait cette scène. Et en 2006-2007, je découvre via MySpace la musique de Débruit, Fulgeance, 1000Names, Mike Slott/Hud Mo, Lazer Sword, Jneiro Jarel, Flying Lo… Et là, ça a été comme un électrochoc. Je me suis dit qu’ils allaient dans le même sens que ce que l’on avait fait avec Electrons Libres mais qu’ils avaient une bonne longueur d’avance. Du coup, j’ai décidé de m’y remettre. En parallèle, on a commencé à faire la promo de cette musique avec nos potes de l’association FunkDoubistes via nos soirées, les Boogieboxxx. D’ailleurs, lors de la première en 2007, on avait travaillé un show plus instrumental. Depuis j’ai toujours bossé dans ce sens, en étant influencé par tous les artistes que j’ai vu jouer dans nos soirées.

Miqi O. (Electrons Libres) – Hoog by Miqi O.

D’ailleurs comment est-ce que tu définirais la musique que tu fais ?

Miqi O. : tout d’abord, c’est un dépassement de l’instrumentale redondante beat/basse/sample du Hip-hop. Ensuite, c’est une appropriation des sons et des façons de faire de la musique électronique. Je m’efforce d’expérimenter dans mon approche rythmique et dans les textures sonores tout en m’appliquant à générer une émotion brute et intense. J’essaie de concevoir mes morceaux comme des pièces à part entière avec un début, un déroulement et une fin. Pour ce qui est du nom, le mot « Wonky » sonne bien mais je trouve que « Offbeat » résume mieux le principe du Groove décalé, hors des grilles, joué « Live ». Les étiquettes c’est toujours le premier signe de la mort d’un style. Je ne suis donc pas pressé de trouver le bon mot. J’ai bien aimé le pied de nez d’Hudson Mohawke à ce propos et sa fausse piste « emotronic ».

Comme beaucoup de beatmakeurs, tu viens du hip hop, d’un point de vue créatif, quel est le petit plus de ces sons « hybrides » ?

Miqi O. : je n’ai plus à me prendre la tête, à penser à la place du emcee. Je m’amuse plus au niveau de l’évolution du morceau et puis musicalement, c’est souvent plus riche et plus ouvert. Du coup, c’est moins frustrant et plus intéressant.

D’ailleurs le projet untold est en quelque sorte une série d’outtakes, un peu à la manière de jay dee, Madlib et bien d’autres par la suite non ?

Miqi O. : je ne m’y réfère pas directement mais inconsciemment je pense que ça m’a inspiré et que leur travail m’a permis de me libérer. Contrairement à beaucoup de leurs projets qui sont pour moi une suite d’instrus faites pour qu’un emcee pose dessus, je travaille mes morceaux comme des chansons sans voix. Il me semble d’ailleurs que sur ce plan je me distingue beaucoup de producteurs qu’on regroupe sous le titre Wonky. L’idée de base d’Untold, c’était des instrumentaux qui se suffisent à eux-mêmes, avec des formats courts pour que les gens puissent bien les identifier. Et puis je voulais vraiment regrouper sur un même projet mes amis graphistes, artistes, photographes que je trouve talentueux et les mieux adaptés pour mettre tout ça en image.

Comment est-ce que tu travailles ?

Miqi O. : je travaille avec le logiciel Reason et un Padcontroller. Au début je bossais sur Live et sur MPC 1000. Et c’est en voyant faire Yoggyone que j’ai voulu m’y mettre. C’est lui qui m’a donné les bases du Soft d’ailleurs. Je commence souvent par une rythmique. C’était le cas pour le morceau « Rockin’Chair » par exemple. J’avais des samples de Raymond Scott que je sentais bien pour ce morceau. Je suis donc parti de la première boucle qu’on entend au début du morceau sur laquelle j’ai calé le Pied de caisse claire assez binaire. J’ai ensuite fait tourner le rythme et enregistré ce qui me venait à l’esprit au synthé. J’ai superposé les éléments que j’avais et j’ai essayé de tirer le morceau sur 2-3 minutes. Ensuite j’ai retravaillé les boucles, les assemblages dans le détail jusqu’à ce que j’obtienne mon 3 minutes. J’ai écouté le morceau pendant quasiment 6 mois en rajoutant, enlevant, rejouant, retouchant çà et là des samples, des voix… La deuxième partie du morceau est venue plus tard parce que je trouvais que le son était un peu redondant. J’ai donc retravaillé jusqu’à ce que j’arrive à ce moment, à cette sorte d’impasse créative, que je considère comme étant la fin du processus. Grosso modo, je travaille souvent comme ça mais parfois ça met beaucoup moins de temps.

04 – Miqi O – Rockin’Chair – (Chaise Longue version) by Miqi O.

A l’heure de la musique gratuite à profusion sur le net, quelle est la principale difficulté ?

Miqi O. : le problème c’est la thune. Le rapport entre le travail fourni et ce que ça te rapporte est complètement déséquilibré. On est en train d’uniformiser la gratuité du travail des musiciens. Je ne suis pas braqué et je pense que c’est une évolution comme une autre. Mais pour l’instant c’est l’impasse et ça va forcément poser des problèmes dans la durée. Sinon niveau artistique, je trouve que c’est une période bandante car on peut plus ou moins tous se démerder pour diffuser ce que l’on fait. C’est encore un peu difficile de tourner mais ça se décoince avec toutes ces professions intermédiaires 
(tourneur, distributeur, manager…) qui sont en train de sauter.

De nombreux djs ou artistes qui évoluent sur cette scène musicale pensent que la France n’est pas tout à fait prête, est-ce que toi, tu le vois aussi ?

Miqi O. : je pense que la France se piège toute seule par son système. Pour l’instant, la subvention c’est le carburant de la profession et ça implique de se soumettre aux exigences de l’administration et d’adapter nos projets à la capacité visionnaire de nos subventionneurs. Autant dire que c’est un peu tendu pour l’avant-garde. Du coup, il est difficile de bénéficier des structures françaises quand tu innoves. Heureusement, les artistes ont un besoin vital d’aller de l’avant et font ce qu’ils peuvent avec les moyens du bord. Donc le train est déjà en marche ici, en témoigne le nombre de talentueux beatmakers français : Fulgeance, Débruit, Onra, H.B.O., YoggyOne, Zo, Powell, Walter Mecca, HollywoodRaff, Phohat, Liléa Narrative et j’en oublie plein… Mais comme la culture de l’avant-garde n’a pas tellement pris l’habitude de se développer en France, le public a encore du mal à y avoir accès. A part ça, à mon avis la France est prête. Nous, on l’a vérifié à Besançon à travers nos soirées Boogieboxxx. On a fait venir les principaux protagonistes de ce mouvement avant même qu’ils soient signés et qu’ils connaissent le succès tout relatif qu’ils rencontrent en ce moment. Et je peux t’assurer que les gens en redemandaient et qu’ils en parlent encore !

Et quel est pour toi, aujourd’hui, le challenge à relever ?

Miqi O. : j’ai une famille et c’est sûr que parfois j’aimerais gagner plus d’argent pour être un peu plus tranquille quand je termine la fin de mois. Mais avant ça, le challenge pour moi c’est plutôt d’être heureux globalement et pour l’instant ça passe en partie par avoir tout le loisir d’expérimenter dans la musique. Gagner de l’argent avec, c’est un moyen comme un autre de me permettre ça mais je suis sûr qu’il y a des alternatives, et j’y travaille.

08 – Miqi O. – Bottle by Miqi O.

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Mots-clefs :MUSIQUE, hip hop, producteur, interview, electronique, besancon, beatmakeur, miqi o., francais, offbeat

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