Pour cette rentrée cinématographique riche en festivals divers et variés, Angle[s] de vue a décidé de couvrir en intégralité, par des billets quotidiens, un “petit” festival appelé L’Etrange Festival, qui fête cette année, dans sa version parisienne (1), sa 16ème édition.
Pourquoi ce choix ?
Déjà parce que notre petit webzine n’a pas les moyens d’envoyer des chroniqueurs couvrir la prestigieuse Mostra de Venise, dont la programmation, avec notamment le dernier film d’Aronofsky, Black Swan, semblait pourtant des plus prometteuses…
Mais pas seulement…
Angle[s] de vue aime à défendre une véritable diversité cinématographique, une certaine idée de la diffusion des films quelque soit leur genre, leur nationalité. Il soutient les initiatives visant à faire découvrir des oeuvres atypiques, des auteurs injustement méconnus.
L’Etrange Festival, depuis sa création, est exactement dans cette démarche. Son créateur, Frédéric Temps, et ses collaborateurs, nous proposent chaque année de découvrir ou de redécouvrir des films rares, chefs d’oeuvres incontestés du 7ème art ou obscurs nanars de série B (voire Z), mais aussi des films de genre extrêmes, que les distributeurs frileux n’osent plus sortir en salles, ou des oeuvres politiquement incorrectes. Du cinéma qui fascine, qui dérange, qui remue, qui fait réfléchir ou qui prend aux tripes…
Impossible pour nous de ne pas défendre cette manifestation unique en son genre qui entend ouvrir les regards et stimuler les consciences. D’autant qu’un tel événement est compliqué à monter financièrement parlant, surtout en ces temps de crise, et de disette pour les festivals culturels.
Alors, on laisse volontiers les gondoles à Venise, on néglige sans regrets les boeufs made in Normandie et le Festival du film américain de Deauville, pour passer une petite dizaine d’étranges soirées à découvrir le très beau programme que nous ont concocté Frédéric Temps et Philippe Lux et, accessoirement, vous donner envie d’aller faire un petit tour au Forum des images, qui héberge cet événement…
Vérifiez votre gilet pare-balles, comptez vos munitions (pour dégommer les zombies), assurez-vous de n’avoir pas oublié votre kit anti-vampires (ail, eau bénite, croix), prenez un décontractant (pour décrisper vos muscles tendus par l’angoisse ou vos zygomatiques trop sollicités), accrochez vos ceintures : c’est parti !
L’Etrange Festival a ouvert hier soir ses portes à l’heureux public de la capitale venu prendre sa dose de curiosité audiovisuelles. Et venu nombreux !
Devant l’affluence, les caisses du forum des images ont eu un peu de mal à drainer le flux de spectateurs venus acheter leurs billets. D’ailleurs, un conseil, pour ceux qui voudraient venir les jours prochains : réservez vos places sur le site du Forum des Images ou prévoyez d’arriver au moins une demie-heure à l’avance.
Résultat, une cérémonie d’ouverture qui a commencé avec vingt bonne minutes de retard… Ceci a cependant laissé aux organisateurs d’accueillir deux de leurs invités de la semaine, dont un tout juste arrivé de l’aéroport : Nicolas Winding Refn (réalisateur danois, auteur de Inside Job, Pusher, Bronson ou Le guerrier silencieux) et Lionel Soukaz (vidéaste et cinéaste engagé, auteur de nombreux courts-métrages).
Ils ont ouvert le festival après les traditionnels discours de Frédéric Temps et de Laurence Herzberg, la directrice du Forum des images.
Cette dernière a d’ailleurs annoncé la couleur de cette année – rouge sang -promettant une programmation axée vers “l’horreur, le gore et les zombies”. Cool…
Première preuve avec la programmation de Bedevilled, un film sud-coréen bien sanguinolent qui a traumatisé plus d’un spectateur à Cannes cette année, où il était présenté dans le cadre de la Semaine de la critique.
Le cinéaste Jang Cheol-Soo dit avoir voulu réaliser un “film d’horreur féministe” pour dénoncer les violences domestiques subies par les femmes, surtout dans les zones du pays les plus rurales.
Il nous entraîne dans le sillage de son héroïne, Hae-won, une trentenaire sous pression qui quitte la ville pour faire un break dans la petite île où, enfant, elle passait ses vacances. Un coin du pays assez peu développé, peuplé de paysans assez rustres et durs…
Là, la jeune femme retrouve une de ses amies d’enfance, Bok-nam, et comprend vite que cette dernière vit un véritable calvaire, humiliée, violée, battue par son mari, sous le regard complice de la famille de celui-ci, unie dans la bêtise crasse et la violence… Bok-nam supplie Hae-won de l’aider à quitter l’île, mais elle refuse d’intervenir dans ce problème conjugal qui ne la regarde pas…
Dès lors, la victime n’a plus guère qu’une solution pour que cesse le cauchemar : se rebeller et se venger de ceux qui l’ont humiliée. Ca va saigner…
Oui, autant prévenir tout de suite les âmes sensibles que Bedevilled n’est pas fait pour elles. C’est un véritable cauchemar, plein de violence, de gore, de tension sexuelle…
C’est aussi un film à la fois fascinant et irritant, une oeuvre complètement foutraque qui dérange, bouscule, met mal à l’aise, qui ne respecte ni les tabous, ni le politiquement correct. Le scénario paraît aberrant, mais il offre plusieurs pistes d’analyse, au-delà de la simple narration. Quant aux actrices, elles sont terriblement agaçantes, de par leur jeu outrancier, mais aussi assez attachantes…
Bref, ce film coréen est l’exemple typique de ce que propose traditionnellement L’Etrange Festival : des films forts, qui remuent, qui dérangent. Pas forcément des chefs d’oeuvres du cinéma, mais des objets visuels atypiques, venus d’autres horizons…
Mais n’allez surtout pas croire que L’Etrange Festival est une succession de films d’horreur et de délires gores. On y trouve un peu tous les styles de films, et même des comédies, si,si…
D’ailleurs, pour cette première soirée, mon choix s’est porté exclusivement sur des films comiques, taillés pour illustrer cette classique question de Philosophie (2) : “Peut-on rire de tout ?”…
Déjà, Il était une fois l’huile, la nouvelle réalisation de Winshluss. Un petit bijou d’humour noir, dans la lignée de son Villemolle 81 – présenté ici l’an passé – et de ses bandes-dessinées publiées dans Ferraille (3).
Il s’agit d’une parodie de film éducatif et de publicité vantant les mérites de l’huile Méroll, leader mondial du secteur de l’huile pour moteur et pour alimentation, vendue en bidons “2 en 1”. Deux “charmants” bambins sont entraînés par Goutix, la mascotte de la firme, dans l’univers “mervhuilieux” de l’huile…
Ils apprennent comment Edouard-Michel Méroll a eu l’idée de recycler les huiles usagées, grâce à un mystérieux composant chimique, pour la revendre “dépolluée” aux consommateurs. Un scientifique, visiblement ancien tortionnaire nazi, leur prouve que l’huile n’est pas dangereuse pour la santé. Au contraire ! La preuve, un rat qui n’a pas mangé depuis trois mois meurt dans sa cage, alors que le rat gavé d’huile Méroll explose tellement il est devenu obèse. Il meurt aussi, d’accord, mais bien portant ! Le savant fou leur explique ensuite par l’absurde pourquoi l’huile est essentielle à l’environnement, car partie intégrante de la chaîne alimentaire…
Enfin, quand les jeunes impudents osent prétendre que ce commerce fructueux participe à une société de consommation absurde qui fait le lit d’un capitalisme sauvage, Goutix se charge lui-même de leur montrer ce que serait le monde sans l’huile Méroll : un monde dévasté par l’apocalypse nucléaire…
Ah, ça les calme direct les mômes… Si avec ça ils n’ont pas envie de consommer à haute dose de l’huile pour moteur et friture, c’est à n’y rien comprendre…
En plus, ils peuvent même s’éclater sur la danse de l’été : la mérolla, dont le clip, réalisé avec des marionnettes, est également inclus dans le film… Un grand moment.
Comme à son habitude, Winshluss signe, avec Il était une fois l’huile, un film hilarant mais intelligent et subtil, qui bouscule les tabous et délivre une belle critique de la société de consommation et de la publicité…
Peut-on rire de tout ? Peut-on rire de l’environnement, de la malbouffe, du capitalisme sauvage ? Winshluss nous donne la réponse : Mille fois oui !
Ensuite, j’ai pu découvrir Four lions, du britannique Chris Morris.
Sur le papier, le sujet de ce film n’a rien de drôle : quatre individus venant du nord de l’Angleterre, musulmans et islamistes convaincus, projettent de porter le Jihad sur le sol de la perfide Albion, en commettant des attentats-suicides.
A l’écran, c’est irrésistible de drôlerie et de finesse… Car les quatre apprentis kamikazes sont de véritables pieds-nickelés tous plus stupides les uns que les autres, qui commettent bourde sur bourde et enchaînent les galères…
Il faut les voir tourner leurs vidéos revendicatives, un carton sur la tête, tenter d’échapper à l’identification des caméras de surveillance en secouant la tête dans tous les sens ou se déguiser en personnages de dessins-animés pour commettre leurs attentats…
Des branquignols de première catégorie dont le cheminement n’est pas sans évoquer les stripteaseurs amateurs de The Full Monty, autre réussite de la comédie anglaise…
Le cinéaste réussit le miracle de nous rendre sympathiques ces quatre zozos, pourtant animés des plus mauvaises intentions, et de nous faire rire avec des sujets hautement sensibles – les tensions entre Islam et Occident, la xénophobie, le terrorisme… – sans jamais chercher la polémique ou la provocation gratuite. Au contraire !
Le spectateur amusé puis ému par le parcours tragi-comique de ces “quatre lions” islamistes, sort de ce film avec de nouveaux axes de réflexion quant à l’évolution des relations entre le monde occidental et l’Islam, surtout depuis les attentats du 11 septembre 2001. Il remet en question sa propre attitude, sa potentielle xénophobie, sa peur de l’étranger, de ce qui est différent…
Four lions, à dessein, n’est pas manichéen. Les personnages ne sont pas vraiment des “fous de Dieu”. Ils ont l’air plus ouverts d’esprits, plus aptes à s’intégrer que certains fanatiques respectant à la lettre des coutumes parfois rétrogrades. Et pourtant, ce sont eux qui passent à l’acte, lassé du regard hostile que porte sur eux le reste de la société britannique, du racisme qui leur barre l’accès à des postes plus importants dans le monde du travail…
Justement, en offrant à des acteurs inconnus, issus de ce que l’on nomme les “minorités visibles”, Chris Morris fait un acte en faveur de l’intégration, de l’harmonie des cultures et des religions… C’est là tout l’enjeu du film…
Peut-on rire de tout ? Peut-on rire des intégristes, du terrorisme, des camps d’entraînement d’Al-Quaïda, des méthodes musclées de la police anglaise et de la CIA ? Chris Morris nous donne la réponse : Oui! Mille fois oui !
Enfin, j’ai réussi à voir une bonne partie de L’infernale poursuite. Un truc hallucinant que cette série B policière de la fin des années 1970, réalisée par Ricou Browning, la créature de la trilogie L’étrange créature du Lac noir.
Déjà parce ce que tous les acteurs rivalisent de kitsch avec des tenues très typées seventies- pantalons pattes d’eph’, veste en tweed à coudières, robes à frous-frous, chemises bariolées à cols pelle à tarte – et évoluent dans des décors ad hoc –ah! ce grand lit avec couvertures en fourrure blanche…
Ensuite parce qu’il s’agit d’un véritable nanar, un vrai de vrai, tellement mauvais qu’il en devient irrésistiblement drôle. La mise en scène confine au grand n’importe quoi. Le montage est absolument foireux. La musique est balancée n’importe comment. Quant aux acteurs, ils sont exécrables : il faut voir les mimiques du duo de flics – un colosse moustachu et un blondinet clone du commissaire Moulin – pour exprimer l’étonnement, la colère, la malice… Et le doublage n’arrange rien… Il faut dire que les dialogues sont eux-aussi assez ineptes, à la limite de l’absurde. Bien à l’avenant d’un scénario des plus basiques, qui surprend toutefois en délaissant tous les protagonistes principaux à quinze minutes de la fin pour se concentrer sur une (inter)minable poursuite en voiture (d’où le titre français) cherchant à reléguer aux oubliettes celle de Bullitt. Peine perdue…
Mais surtout, surtout, le film sort du lot en donnant la vedette, dans un rôle de bad guy, à un karatéka cul-de-jatte ! (d’où le titre américain, The amazing Mr No legs). Quand le bonhomme ne dézingue pas ses ennemis avec les canons sciés et les shurikens cachés dans l’armature de son fauteuil roulant, il les atomise au corps-à-corps à l’aide de prise ancestrales assez incroyables et de son terrifiant “cri de la mort” (il doit avoir Free, il a tout compris…)
Au premier degré, c’est absolument affligeant, un spectacle cinématographique indigne de ce nom. Du second au dixième degré, c’est irrésistible.
Peut-on rire de tout? Peut-on rire des culs-de-jatte, des nains, des géants, des moustachus, des couvertures en fourrure blanche?
Ricou Browning nous donne la réponse : Oui! Mille fois oui!
Aucun problème, on peut rire de tout… Maintenant, peut-on rire avec n’importe qui?
Pas sûr, en effet, que les patrons de chez Esso ou Lesieur, goûtent le film de Winshluss… Les membres d’Al-Quaïda risquent de prendre le film de Chris Morris pour une provocation venue de l’oppresseur occidental… Et les culs-de-jatte moustachus ex-fans des seventies risquent d’être vexés par le film de Ricou Browning… Mais on peut aisément rire avec le public de cet Etrange Festival, toujours prompt à s’esclaffer devant une scène ridicule, à applaudir à tout rompre lors des morceaux de bravoure, à ajouter ses propres commentaires au moment opportun.
C’est beau, une salle de cinéma qui vit, qui communie, qui partage…
Et c’est beau, un festival qui parvient à réunir des passionnés de films de genre, des cinéphiles curieux et de bien curieux cinéphiles !
A demain pour la suite de ce beau voyage dans le fascinant monde de l’étrange…
(1) : Initialement cantonné à Paris, L’Etrange Festival se déplace aujourd’hui en province, avec trois autres éditions : une à Strasbourg (en octobre, déjà 15 éditions) , une autre à Lyon (en avril, déjà 3 éditions), et une dernière à Caen (en avril, une édition), avec des programmations sensiblement différentes.
(2) : Petite pensée à tous les écoliers, collégiens, lycéens et étudiants qui ont effectué leur rentrée cette semaine…
(3) : “Ferraille” est un journal de BD publié par les Requins Marteaux, théoriquement trimestriel, mais à la publication plus ou moins aléatoire…