Mais une autre cause, dont on parle peu, a consisté au début des années 80, à supprimer le dispositif indexant les salaires sur l’inflation qui protégeait jusqu’alors le pouvoir d'achat des salariés…
Plus de huit millions de personnes vivent aujourd’hui au-dessous du seuil de pauvreté (910 € par mois) selon le rapport publié hier par l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale (ONPES). Le seuil de pauvreté est défini comme représentant 60 % du revenu médian des Français (environ 1510 € en 2010)
Plus de 3 millions de salariés sont payées au SMIC (1343 € bruts, ce qui correspond en moyenne à 1055 € nets, soit à peine un peu plus que le seuil de pauvreté). Loin d’être bien lotis, 30 % des salariés à temps plein (hors intérim) touchent un salaire inférieur à 1,3 SMIC (1745 € bruts, ce qui correspond en moyenne à moins de 1370 € nets).
Cette situation est fortement aggravée par l'inflation, même si celle-ci est plus faible que dans les années 80. Bien que certains prix de produits de loisirs et de confort aient baissé (téléviseurs par exemple), les produits de première nécessité (dont on ne peut pas se passer) augmentent régulièrement, ce qui grignote sans cesse le pouvoir d'achat des ménages.
Un indice des prix bien pratique…
L’indice calculé par l’INSEE, datant de 1946, est loin de refléter la réalité des prix car la mesure de l’inflation ne concerne que les prix à la consommation.
Quand un nouveau produit est mis en vente, l’augmentation de prix par rapport au produit ancien n’est pas pris en considération. Cet indice ne dit rien en outre de la fiscalité indirecte notamment, qui augmente bien plus vite que le taux d’inflation. Quant à la hausse des loyers, autorisée par le tout nouvel indice de référence des loyers (IRL), elle se situe en général toujours au-dessus du taux officiel d’inflation !
Enfin, l'Indice INSEE n’a jamais intégré l’augmentation des prix camouflée par les «arrondis» opérés nettement à la hausse après le passage à l’euro !
Comme le rappelle justement le CERC (centre de recherche et des coûts), il n'est guère étonnant, dans ces conditions, qu’une forte impression de régression prédomine chez les salariés car la perte nette de pouvoir d'achat est largement supérieure à la (faible) hausse du salaire net moyen, calculée par l'Insee.Et si pour les statisticiens de cet organisme, la hausse du pouvoir d'achat des ménages est toujours légèrement positive, c’est parce qu’elle concerne en fait le revenu moyen des ménages qui n’est qu’une simple moyenne mathématique ne correspondant à aucune réalité socioprofessionnelle...
Cette situation est particulièrement dramatique pour 40% des salariés qui voient, chaque année, leur salaire individuel baisser également pour d’autres raisons comme la variation de leur durée de travail, le chômage, le temps de travail partiel subi, le déménagement pour cause professionnelle, etc.
Un scénario bien rodé depuis le tournant de 1982
Depuis le début des années 80, les pouvoirs publics et le patronat ont pris l’habitude de proposer, dans leurs secteurs respectifs (public et privé) un pourcentage d’augmentation des salaires toujours inférieur à l’indice des prix, les organisations syndicales proposant, quant à elles, un pourcentage plus élevé.
Dans un second temps, souvent après quelques manifestations ou grèves, l’Etat et le patronat, faisant mine de reculer, mettent en avant un pourcentage d’augmentation supérieur à celui proposé initialement mais toujours inférieur à l’inflation.
A la fin des négociations entre partenaires sociaux, des accords de salaires sont signés prévoyant une hausse des salaires certes mais très rarement supérieure au taux d’inflation. Ces accords, qualifiés de «mieux que rien» sont en général signés par les syndicats dits «réformistes» au premier rang desquels la CFDT, accompagnés par la CFTC et la CFE-CGC !
Ce scénario se reproduit ainsi, cahin-caha, depuis le début des années 80. C’est en effet en 1982, sous la présidence de François Mitterrand, que la gauche a opéré un tournant historique. Voulant lutter contre l’inflation, le blocage des salaires et des prix fut imposé de juin à novembre.
Dans la Fonction Publique, l’Etat bloqua les salaires qui avaient suivi l’évolution des prix les années précédentes. Il incita ensuite les employeurs du secteur privé à faire de même, en les invitant à faire évoluer les salaires en fonction non de la hausse réelle des prix, mais du taux d’inflation «prévu» par le gouvernement.
Les clauses d’indexation des salaires sur les prix furent une à une retirées des conventions collectives dans les années qui suivirent. Elles étaient de fait considérées comme illégales depuis une ordonnance d’Antoine Pinay en 1959, mais après mai 1968, elles réapparaissaient dans certaines conventions.
Puis les lois Auroux ont réaffirmé leur interdiction dans le Code du Travail, article L.141-9 : « sont interdites, dans les conventions ou accords collectifs de travail, les clauses comportant des indexations sur le salaire minimum de croissance ou des références à ce dernier en vue de la fixation et de la révision des salaires prévus par ces conventions ou accords. »
En 1983, Jacques Delors, ministre de l’économie et des finances et papa de la possible candidate socialiste à la présidentielle 2012, décida de deux plans d’austérité. Le pouvoir d’achat des salariés commença à diminuer régulièrement, l’échelle mobile des salaires ayant été supprimé sans pour autant que le chômage diminue.
Depuis, dans plusieurs branches professionnelles, suite à l’interdiction de la réévaluation automatique des salaires en fonction du SMIC et faute de négociations, le salaire d’embauche est inférieur au SMIC ! Une prime dite «résorbable» est alors versée aux salariés concernés sans toucher aux salaires supérieurs au SMIC. Cette pratique est responsable d’un tassement continue des salaires vers le bas de l’échelle que l’on constate depuis de nombreuses années.
Les remèdes apportés à la crise financière aggravent la situation
Aujourd’hui, avec la crise financière, nous sommes rentrés dans une autre période où les baisses de salaires sont carrément annoncées ouvertement par la plupart des gouvernements européens.
Ainsi en Grèce notamment :
Salaires gelés jusqu’en 2014. Primes du 13e et 14e mois (Noël et Pâques) supprimées pour les salaires supérieurs à 3.000 euros par mois et plafonnées à 1.000 euros pour les salaires inférieurs à 3.000 euros par mois. Taux de TVA, passé en mars de 19 à 21, relevé à 23%. Mise en place d’un nouveau salaire minimum applicable aux jeunes et aux chômeurs de longue durée…
Ainsi en Espagne :
Face à un déficit de 11,2% du PIB et un taux de chômage record de 20%, l'exécutif socialiste a engagé un plan d'économie budgétaire de 50 milliards d'euros sur trois ans. Le refrain est le même : gel des embauches dans la fonction publique, baisse des indemnités de licenciement, hausse de la TVA, réduction de 5% en moyenne les salaires des fonctionnaires à partir de juin 2010 et gel complet en 2011. La revalorisation des retraites sera également gelée en 2011, sauf pour les plus basses d'entre elles. A partir de 2011, l'aide à la naissance de 2.500 euros instaurée en 2007 pour soutenir la natalité sera également supprimée.
Ainsi en Irlande :
Premier pays de la zone euro à être entré en récession, l'Irlande a pris dès 2008 des mesures de rigueur. Là encore, ce sont les ménages qui supportent le gros de l'effort : réduction de 5 à 15% des salaires des fonctionnaires, réduction des allocations sociales, y compris pour les chômeurs...Et pour faire rentrer les recettes, une taxe carbone et une taxe sur l'eau (jusque ici gratuite) s'ajoutent à une hausse générale d'impôt sur le revenu. A noter que la rigueur ne s'impose pas aux entreprises, qui continuent de bénéficier d'un taux de 12,5% d'impôts sur les bénéfices...
Ainsi au Portugal :
Confronté à un déficit record de 9,4% du PIB en 2009, le Portugal a été présenté comme le second maillon faible après la Grèce. Même maux, mêmes remèdes : gel des salaires dans la fonction publique pendant quatre ans, suppression de certaines allocations avec à la clé, un vaste plan de privatisations, dans les transports, l'énergie, les assurances ou la poste...
Ainsi en France :
Nicolas Sarkozy, prenant les Français pour des idiots, préfère parler de « politique rigoureuse » pour ne pas avoir à prononcer le mot « rigueur » mais les mesures prises par le gouvernement de François Fillon vont dans le sens d’une baisse générale des salaires et des pensions.
De plus, le Président de la République utilise sans vergogne la bonne vieille technique de communication qui consiste à présenter comme des bienfaits de sa politique les baisses successives de l'impôt sur le revenu alors que dans le même temps l'augmentation des impôts indirects (83% du total des recettes fiscales…) devient de plus en plus insupportable et a fait de notre pays l’un des plus inégalitaires d’Europe.
L'indexation des salaires par rapport à l’inflation, seul moyen de protéger le pouvoir d’achat des salariés
Si le principe de l'échelle mobile des salaires Institué en France en juillet 1952 garantissait à l'ensemble des salaires et des allocations une évolution parallèle à celle des prix, son abandon en 1983 n’a pas provoqué un tollé chez les organisations syndicales, soutenant peu ou prou les gouvernements de gauche de l’époque.
Sans doute aussi, les syndicats n’ont pas voulu se montrer trop ringards par rapport à tous ces spécialistes de l’économie, pseudo-consultants, pour lesquels une réintroduction de l’échelle mobile des salaires nuirait au développement économique. Les grands organismes économiques comme l’Organisation pour la Coopération et le Développement Economique (OCDE) et le Fonds Monétaire International (FMI), dirigé aujourd’hui par le « socialiste » Dominique Strauss-Kahn y sont également hostiles.
Pourtant, ce système existe dans certains pays comme la Belgique et le Luxembourg. Il existe également mais sans caractère automatique en Allemagne ou aux Pays-Bas : les syndicats doivent alors négocier systématiquement pour compenser la perte de pouvoir d’achat subie depuis les négociations précédentes à la suite de l’inflation. Il peut revêtir différentes formes (ajustement automatique des salaires à chaque variation de l'indice des prix, ajustement dès que l'indice choisi dépasse un certain seuil, ajustement à périodes fixes en fonction des variations enregistrées,etc.)
Et contrairement à ce que disent ses détracteurs, l’échelle mobile des salaires ne favorise pas l’inflation car elle est basée sur des faits qui ont déjà eu lieu et sur la base de l’évolution réelle des prix qui s’est déjà produite au cours du ou des mois précédents.
De plus, elle favorise une solidarité automatique entre les travailleurs des secteurs forts et ceux des secteurs faibles ainsi qu’entre les travailleurs actifs et inactifs. Elle est un facteur de stabilité sociale : les négociations salariales peuvent alors se concentrer sur l’augmentation réelle des salaires, puisque l’indexation automatique garantit uniquement la compensation de la baisse du pouvoir d’achat. C’est également un facteur de stabilité économique car le maintien du pouvoir d’achat représente un facteur de maintien de la consommation et donc de la croissance économique.
Aujourd’hui, la majorité présidentielle UMP-Nouveau Centre ainsi que le PS, sont à des années lumière du rétablissement d’un tel système et portent une lourde responsabilité dans les difficultés que rencontrent des millions de salariés. Mais ceci n’a pas l’air de sauter aux yeux des leaders des grandes centrales syndicales qui semblent avoir effacé de leur mémoire ce mécanisme de protection du pouvoir d’achat des salariés et des retraités…
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