Pour fêter ce retour aux billets musicaux et « culturels », j’ai choisi d’évoquer une cantatrice certes fort célèbre mais qui n’a hélas pas eu la notoriété que son immense talent méritait. Tous les amateurs de belles voix la connaissent ; mais le « grand public », lui, n’a retenu que le nom de celle qui fut, à l’époque de sa gloire, sa grande rivale, à savoir Elisabeth Schwarzkopf.
Si la carrière de Lisa Della Casa fut celle d’une très grande cantatrice, il faut bien reconnaître que dans l’échelle de la gloire et de la notoriété, Schwarzkopf lui a fait de l’ombre, et s’est imposée sur la première marche du podium. Leur « rivalité » rappelle un peu celle qui a opposé à peu près à la même époque Callas et Tebaldi, sauf qu’elle a été nettement moins médiatisée. La malchance de Della Casa fut d’être projetée sur le devant de la scène en même temps que Schwarzkopf, comme cette autre très grande dame du chant négligée par la postérité, Térésa Stich-Randall.[1] On a dit la même chose de Leyla Gencer, injustement éclipsée par la Callas dont elle a été la doublure. Etrange destin, et certainement amer destin d’être toujours « la seconde »…
Thomas Voigt, dans le livret de présentation d’un enregistrement de lieder par Lisa Della Casa, cite cette phrase entendue dans la boutique d’une disquaire : « N’est-ce pas injuste ? Chanter si bien et, en plus, être si belle ! » Et c’est vrai, ajoute-t-il, qu’elle avait tout pour elle : le talent vocal et dramatique, l’élégance, la beauté, la personnalité… Et de rappeler que son plus grand rôle, celui auquel son nom restera toujours attaché, est celui d’Arabella, dans l’opéra du même titre de Richard Strauss.
Mais Arabella n’est pas le seul opéra de Strauss dans lequel triompha Della Casa : Le Chevalier à la Rose lui apporta également la gloire, et ce dans les trois rôles principaux : Sophie en 1952, à la Scala de Milan, Octavian en 1953 à Salzbourg puis au Metropolitan Opera de New York en 1964, la Maréchale en 1960 à Salzbourg.
On a dit d’elle qu’elle était insurpassable dans Mozart et Richard Strauss. Cela ne l’a pourtant pas empêchée d’interpréter d’autres grands rôles du répertoire lyrique, italien notamment et des rôles dont on a peine à imaginer qu’ils pourraient convenir à sa voix. Lorsqu’elle quittera le Met après quinze années de bons et loyaux services, elle avouera regretter de n’avoir pas davantage pu chanter le répertoire italien. Tosca est sans doute le seul enregistrement studio d’un ouvrage italien interprété par Della Casa dont on dispose, et encore, seulement en extraits ! Le rôle de Floria Tosca représentait un véritable défi, car il était quasiment à la limite de sa tessiture ; cependant, elle possédait un lyrisme naturel qui lui permettait, dans les parties aiguës, de développer l’intensité d’un grand soprano.
Et c’est probablement ce qui lui permit d’interpréter avec bonheur certains rôles wagnériens : Eva des Maîtres Chanteurs à Bayreuth, Elsa de Lohengrin en 1953, au Met, avec Lauritz Melchior. Mais en débit de ces incursions dans le répertoire wagnérien, Lisa Della Casa reste l’interprète privilégiée de Richard Strauss : « C’est que sa voix, et son approche vocale des parties répondaient exactement à ce que, en des termes, toujours différents, Strauss exigeait de ses sopranos : un mélange de sensibilité et de dynamisme, de sensibilité et d’éclat vocal. Sa voix pouvait avoir des chatoiements d’une finesse extrême et l’instant d’après, briller d’un éclat aveuglant. »[2]
Outre l’opéra, Lisa Della Casa s’est également montrée une magnifique interprète de lieder. « L’écoute de ses enregistrements fait apparaître, une fois de plus, ce qui fait souvent défaut aux chanteurs d’aujourd’hui : le trait singulier », écrit encore Thomas Voigt. Et de conclure, après avoir précisé qu’il ne s’agissait nullement de mythifier une époque et encore moins d’entretenir une nostalgie inutile et injuste, que « à l’écoute des disques [de Della Casa], il est bien difficile de nier que les chanteurs avaient alors une personnalité plus forte, les voix des traits plus marqués –sans doute le but suprême n’était-il pas une technique de chant parfaite, mais l’expression de contenus. »
Un peu dur… Mais pas forcément faux…
VIDEO 1 : Scène finale de Arabella, de Richard Strauss
VIDEO 2 : Tosca, Vissi d’Arte
VIDEO 3 : « Im Abendrot », Vier letzte Lieder, Richard Strauss
[1] Heureusement, Térésa Stich-Randall a laissé un témoignage de sa Sophie du Chevalier à la Rose, enregistrée dans les années 50 en studio aux côtés d’Elisabeth Schwarzkopf en Maréchale, Christa Ludwig en Octavian, avec Karajan au pupitre. L’enregistrement de référence…
[2] Thomas Voigt, op. cit.