Un encadrement conventionnel moins strict pour les mesures de surveillance par GPS
par Nicolas HERVIEU
Deux hommes, soupçonnés d'appartenance à un mouvement terroriste d'extrême gauche et d'avoir à ce titre participé à des attentats à la bombe en Allemagne en 1995, firent l'objet de diverses mesures de surveillance policière (interceptions des communications téléphoniques et du courrier ; surveillance vidéo). Sur décision du procureur général de la Cour fédérale de Justice d'Allemagne, un récepteur GPS fut installé sur le véhicule appartenant à l'un d'entre eux de décembre 1995 à février 1996, date de leur arrestation. L'homme qui n'était pas propriétaire du véhicule en question a contesté jusque devant la Cour constitutionnelle allemande l'usage des preuves obtenues à son encontre grâce à la surveillance GPS mais ce, sans succès. En 1999, il fut condamné à une peine de treize ans d'emprisonnement.
Saisie par ce dernier d'une allégation de violation du droit au respect de la vie privée (Art. 8), la Cour européenne des droits de l'homme a eu à se prononcer sur une question inédite à Strasbourg : la conventionalité des mesures de surveillance policière par géolocalisation satellitaire ou GPS. Or, de façon répétée, les juges européens ont estimé que le niveau de leurs exigences concernant de telles mesures était moins conséquent que celui posé par leur jurisprudence passée au sujet des mesures plus classiques de surveillance (V. ainsi, sur l'interception des communications, Cour EDH, 4 e Sect. 18 mai 2010, Kennedy c. Royaume-Uni, Req. n° 26839/05 - Actualités droits-libertés du 20 mai 2010 et CPDH du 23 mai 2010).
Certes, la Cour admet que la surveillance GPS était en l'espèce constitutive d'une ingérence au sein du droit au respect de la vie privée (§ 52) et ce, alors même que " le récepteur GPS a[vait] été intégré sur un objet (une voiture) appartenant à un tiers (le complice du requérant) " car " les autorités d'enquête avaient manifestement l'intention de recueillir des informations sur les déplacements du requérant et de son complice " (§ 49). Ce constat d'ingérence procède surtout des circonstances de l'espèce puisqu'il est relevé qu'au moyen du GPS " les autorités d'enquête ont, pendant quelque trois mois, systématiquement recueilli et conservé des données indiquant l'endroit où se trouvait l'intéressé et les déplacements de celui-ci en public " et " ont de surcroît enregistré les données personnelles et les ont utilisées pour suivre tous les déplacements du requérant, pour effectuer des investigations complémentaires et pour recueillir d'autres éléments de preuve dans les endroits où le requérant s'était rendu, éléments qui ont ensuite été utilisés dans le cadre du procès pénal de l'intéressé " (§ 51). Toutefois, bien que prolongeant ses principes jurisprudentiels traditionnels quant à l'identification d'une telle ingérence (§ 43-48), la Cour a pris soin de souligner qu' " il y a lieu de distinguer, de par sa nature même, la surveillance par GPS d'autres méthodes de surveillance par des moyens visuels ou acoustiques qui, en règle générale, sont davantage susceptibles de porter atteinte au droit d'une personne au respect de sa vie privée car elles révèlent plus d'informations sur la conduite, les opinions ou les sentiments de la personne qui en fait l'objet " (§ 52).
Cette idée selon laquelle les mesures de surveillances par GPS ne nécessiteraient pas des exigences conventionnelles aussi contraignantes que pour les autres méthodes est reprise par les juges européens au stade de l'examen de la justification de l'ingérence litigieuse, en particulier sur le point de savoir si celle-ci était " prévue par la loi " allemande. Ainsi, à l'argumentation du requérant qui estimait que la législation applicable à l'époque ne comportait pas des garanties équivalentes à celle requises par la jurisprudence strasbourgeoise s'agissant de la surveillance secrète des télécommunications (§ 65 et 63), la Cour répond qu'elle " peut certes s'inspirer de ces principes, mais elle estime que ces critères relativement stricts, établis et suivis dans le contexte spécifique de la surveillance des télécommunications [...], ne sont pas applicables en tant que tels aux affaires comme le cas d'espèce qui a trait à la surveillance par GPS de déplacements en public et donc à une mesure qui, par rapport à l'interception de conversations téléphoniques, doit passer pour constituer une ingérence moins importante dans la vie privée de la personne concernée " (§ 66). En conséquence, elle juge que la législation pénale allemande pouvait être analysée comme ayant prévu la surveillance par GPS (§ 68) et surtout que " le droit interne renfermait des garanties suffisantes et effectives contre les abus " (§ 69). Dès lors, certes la Cour affirme " se félicite[r du] renforcement de la protection du droit d'un suspect au respect de sa vie privée " consécutive à une évolution de la législation allemande en 2000 qui, notamment, confère à un juge le pouvoir d'ordonner les surveillances GPS de plus d'un mois (§ 71). Néanmoins, et pour autant, elle ne considère pas comme contraire à l'article 8 le fait que les dispositions en vigueur au moment des faits laissaient aux seules " autorités de poursuite " - tel qu'un procureur - le soin de décider de ces mesures.
Les juges européens estiment qu'un " contrôle judiciaire ultérieur" - ou contrôle a posteriori - de la légalité de la surveillance GPS ainsi que " la possibilité d'exclure les éléments de preuve obtenus au moyen d'une surveillance illégale par GPS constituaient une garantie importante " et suffisante (§ 72). Une nouvelle fois, la Cour justifie l'assouplissement de ses exigences en réaffirmant que " la surveillance par GPS d[oit] être considérée comme étant moins attentatoire à la vie privée d'une personne que, par exemple, des écoutes téléphoniques " (§ 72). En conséquence, après une reprise de l'analyse de la Cour constitutionnelle allemande sur la question des mesures de surveillance - dont GPS - " simultanée " (où la Cour européenne commet d'ailleurs une erreur en sous-entendant qu'il faille s'assurer de ce que le suspect était au courant de ces mesures - § 73), l'ingérence litigieuse est jugée conforme à l'exigence de prévisibilité par la loi (§ 74). Enfin, plus brièvement, les dernières étapes d'admission de la conventionalité de cette ingérence sont franchies par la Cour qui indique que la mesure de surveillance poursuivait plusieurs buts légitimes dont la protection de la " sûreté publique " (§ 77) et qu' elle était " nécessaire dans une société démocratique " car proportionnés à ces buts. A l'appui de cette conclusion, il est relevé que " les autres mesures d'investigation, qui étaient moins attentatoires à la vie privée du requérant que la surveillance de celui-ci par GPS, s'étaient révélées moins efficaces " (§ 78) et que " l'enquête dans le cadre de laquelle la surveillance a été conduite portait sur des infractions très graves, à savoir plusieurs tentatives de meurtre d'hommes politiques et de fonctionnaires par des attentats à la bombe " (§ 80). L'Allemagne n'est donc pas condamnée pour violation du droit au respect de la vie privée (§ 81).
Sans remettre en cause la pertinence de la technique GPS comme moyen de surveillance policière, au même titre que les écoutes téléphoniques, il est tout de même possible de trouver surprenant voire imprudent de la part de la Cour européenne des droits de l'homme d'avoir jugé, par principe, qu'un encadrement conventionnel plus faible pouvait suffire à leur égard. Les juges européens semblent d'ailleurs se contredire eux-mêmes en affirmant in fine que " la surveillance du requérant par GPS a entraîné une observation relativement approfondie de la conduite de l'intéressé par différentes autorités de l'État ", cette multiplicité d'autorité créant " une ingérence plus grave dans sa vie privée, puisque cela a accru le nombre de personnes ayant eu connaissance des informations sur sa conduite " (§ 80). Le postulat de principe selon lequel la surveillance GPS seraitmoins attentatoire à la vie privée d'une personne que les autres mesures se trouve donc largement affaibli par ce constat. Et ce n'est qu'à la faveur d'éléments factuels liés à l'espèce - la " période relativement courte " de la surveillance et sa limitation au véhicule du complice - que la Cour arrive à la conclusion qu'ici " le requérant [n']a [pas] été soumis à une surveillance totale et exhaustive " (§ 80). Ce faisant, elle révèle en creux que tel aurait pu être le cas. Et que donc, contrairement à ce qu'elle a affirmé plus haut, une mesure de surveillance par GPS peut potentiellement conduire à une immixtion très importante dans la vie privée des individués concernés.
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