Si certains n'avaient pas dénoncé Aurélie Boullet comme étant Zoé Shepard, personne n'aurait jamais identifié la collectivité territoriale où travaillait cette jeune fonctionnaire à l'écriture aussi alerte que talent-tueuse. Elle vient en effet d'écoper de quatre mois de suspension (ou plus exactement de dix mois d'exclusion dont 6 avec sursis, mais elle a fait appel) et je trouve cela totalement absurde !
"Je considère qu’aucune faute n’a été commise", a estimé la jeune femme âgée de 30 ans qui rappelle qu’elle a écrit un "essai romancé et publié sous pseudonyme". "Les personnages sont vraiment des personnages, ce ne sont pas des personnes, ce sont des caricatures", a-t-elle insisté, assurant qu’aucun de ses collègues ne s’étaient vraiment "reconnus".
J'ai lu son bouquin. Il est excellemment écrit. C'est bourré de notation justes et crucifiantes, mais évidemment sous la forme de "collages".
Mais ces notationsne concernent pas seulement l'Administration, Dieu merci, mais sur le travail de bureau en général. Ce qu'elle décrit, sous la forme d'une charge, naturellement, est un tableau plein d'humour et de notations justes et percutantes. Je l'ai vécu aussi, dans le privé, sans avoir le courage de le dénoncer. J'étais sans doute plus fataliste, ou plus détachée. J'avais une vie de famille équilibrée, d'autres centres d'intérêt, et pas le talent de prendre le risque de me faire "jeter" !
Le népotisme, les frais de déplacement gonflés à bloc, les dirigeants aussi nuls qu'auto-satisfaits, les jeunes pleins d'illusions, les nuisances de certaines "bonnes femmes" qui je surnommais "les Sultanes" faisant et défaisant les réputations, le nivellement par le bas et la prise en mains immédiate des nouveaux pleins de bonne volonté.... Voilà mise au jour maintenant - et malheureusement - l'Administration territoriale où cette jeune auteure au talent littéraire avéré a travaillé, en s'insurgeant contre le manque de motivation et d'allant des fonctionnaires. Pourtant, réellement, il n'est nulle allusion, nulle clé qui aurait pu laisser entrevoir ce qui n'est qu'un roman, une pure fiction.Lisez ce livre, vous reconnaîtrez des comportements spécifiques, de la boursoufflure des "patrons" aux bassesses des "courtisans", de la médiocrité crasse des échanges à la cruauté et au népotisme. J'ai connu bien des structures différentes dans ma vie professionnelle : banque mutuelle où aucune autorité n'est légitime, banque privée où le paternalisme est de rigueur, banque nationale où les tâches sont saucissonnées à l'extrême et la responsabilité itou, structure semi-publique où l'on recase des dirigeants en fin de course....C'est la même chose partout ou presque : on désespère ceux qui veulent, naïvement, travailler...On les tire vers le bas. On les marginalise.
Cette jeune femme, il faut l'utiliser ailleurs : elle a du talent, beaucoup de talent ! Je me suis régalée à lire son livre. Malgré quelques erreurs comme celle de la page 99 : en droit du travail, les Directeurs ne sont pas astreints au pointage puisqu'ils sont libres d'organiser leur journée. Toute journée commencée est donc réputée accomplie, même s'ils n'ont été présents que cinq minutes à leur bureau....C'est comme ça ! Et lorsque la grande réforme de l'Etat aura été accomplie, à savoir ne pas remplacer les fonctionnaires qui partent à la retraite sans examiner si leur poste nécessite braiment un recrutement, sans doute cux qui demeurent auront moins de temps à perdre.
Absolument dé-bor-dée, ou le paradoxe du fonctionnaire - roman de moeurs par Zoé Shepard, Editions Albin Michel, 301p. 19€