Je suis noir et je n’aime pas le manioc de Gaston Kelman.
Max Milo éditions, 2003.
Ce livre est vraiment The book à lire. Divisé en plusieurs chapitres abordant chacun une problématique touchant les noirs. Préjugés, les erreurs décisionnelles concernant certains efforts employés pour leur intégration, Gaston Kelman qui se réclame bourguignon avant tout, apporte dans cet essai, une analyse extrêmement pertinente dans ce domaine. Mais, il s’agit avant tout d’un témoignage.
Kelman en veut –on le sent un peu- à beaucoup de gens. Mais ce qui est bien, c’est qu’il en veut seulement à des personnes actuelles. La Traite est une histoire qui fait désormais parti du passé. Cela ne veut pas dire qu’il faut l’oublier, non ! Mais, il suggère pour toutes les personnes de toutes les « races », blancs et noirs, de ne plus en être complexé. Du moins, c’est ce que j’ai ressenti.
Kelman, qui se dit donc Bourguignon, et non pas alsacien ou juif comme le pensent certain en lisant son nom, se veut dans cet essai, analyste dans les défauts d’intégration du noir dans la société française. Il met en exergue certaines erreurs décisionnelles concernant ce domaine, qui considère selon lui à tort ce problème comme social pur, alors que c’est un problème manifestement racial. Et de cette erreur de diagnostic découle un traitement ou des dispositions inappropriées.
L’image que donnent les télévisions française des pays africains ne contribue guère à l’amélioration de la chose, étant complètement fausse : « À propos d’images télévisées, j’en profite pour dire que j’ai toujours été étonné de voir que, même quand on parle d’un coup d’état à Abidjan, ville africaine assez moderne, les reportages de la télévision française ne montrent pas les palais présidentiels où se jouent les drames. Ils filment les quartiers pauvres, les marchés folkloriques et une foule exotique en diable. C’est comme si le jour de la mort du général de Gaulle ou du président Mitterrand, on avait présenté à la télévision ivoirienne, pour illustrer la France, le marché de Château-Rouge avec ses dealers, ses produits tropicaux avec et sa crasse ; le métro Barbès avec ses vendeurs à la sauvette ; ou une sortie de classes basanée et crépue aux Minguettes ; ou un innommable bidonville harki ; ou la sieste estivale des vieux Maghrébins du foyer Sonacotra des Tarterêts, assoupis sous les arbres environnants » Page 76.
L’auteur a truffé son témoignage de blagues, d’anecdotes personnellement vécues, ou vécues par d’autres personnes, de son entourage par exemple. Portant surtout sur des clichés du noir, il les égraine tout au long du livre, le ton oscillant entre un humour presque tendre et une indignation sèche et dure. Dans la page 120, il commence le chapitre intitulé Je suis noir et j’en ai une petite ainsi : « Dans un cours de médecine, le professeur demande à une étudiante :
- Qu’est-ce qui chez l’homme, augmente sept fois de volume quand on l’excite ?
La jeune fille est rouge de confusion, et ne réussit pas à s’exprimer. Le professeur se rend compte de son trouble.
- Eh bien, mademoiselle, reprend-il, c’est l’iris de l’œil. Et pour ceux à quoi vous pensez, permettez-moi de vous mettre en garde. Vous risquez d’aller devant de grosses désillusions.
C’est pareil pour les noirs. Si l’on demande à une classe d’élèves infirmières blanches : « qu’est-ce qui est long et dur chez les noirs –notamment les camerounais- à Paris ? », nous savons que très peu répondront que ce sont les études. Pourtant, c’est réponse la plus juste. Et pour ce à quoi elles penseront, celles qui tenteront l’expérience pourraient être déçues. Ils ne font croire tout ce que l’on entend. »
Quelque chose qui m’a marqué aussi et soulevé ici, c’est le complexe qu’on certains, de désigner le noir, en face de lui, ou par lui-même, craignant froisser ou se froisser, ou utiliser un adjectif péjoratif. Il en dit ceci page 104 : « Les hommes de la race dite noire sont des négroïdes. Leur véritable appellation devrait donc être nègre. Dans tous les cas, c’est l’appellation originelle. Cette appellation a été utilisé pendant des siècles jusqu’au lendemain de la Traite. Mais après la traite, véritable crime et génocide contre l’Afrique noire, le mot Nègre est devenu péjoratif. Ainsi, désigner quelqu’un de Nègre était assimilé à une insulte. Nègre signifiait désormais esclave. Son usage est resté confiné aux milieux foncièrement racistes et aux cercles artistiques et littéraires. » Et ajoute plus loin : « un jour, on n’aura plus le droit d’appeler un chat, un chat » Page 164
Amusant, instructif, ce livre devrait être un classique de la sociologie de l’intégration. C’est un classique.
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