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Ronald Mc Hallal

Publié le 03 septembre 2010 par Variae

La France culinaire a peur. L’hydre islamique a décidé d’étendre son emprise jusque dans nos assiettes, en colonisant intégralement certains restaurants Quick, désormais dédiés à la restauration hallal. Faut-il dénoncer comme Eric Zemmour « l’alliance du marché et du minaret », la « mise à mal de notre art de vivre », ou au contraire continuer à se baffrer sans réserve de frites-mayonnaises et de giants dégoulinants, fussent-ils certifiés par la mosquée locale ?

Ronald Mc Hallal

Difficile, tout d’abord, de ne pas être sensible à l’ironie de la situation. Bien qu’étant née au plat pays avant d’être reprise en mains par des capitaux français, l’autre grande chaîne de hamburger-restaurants est avant tout le véhicule d’une culture fast food tout américaine, qu’il était (et reste généralement) de bon ton de fustiger par le terme de malbouffe. Big Mac, Giant et autres Whooper : l’anti-France du goût. Aujourd’hui pourtant, le débat médiatique s’enflamme autour de la possible invasion de cette institution yankee par le menaçant hallal. N’est-ce pas parce que Quick fait finalement un peu partie du patrimoine national ? Premier motif de réjouissance donc, l’identité nationale est moins figée qu’on pourrait le penser, et est capable d’assimiler sans difficulté des cultures d’abord violemment décriées. Les esprits les plus patriotes feront sans doute remarquer que les restaurants Quick, qu’ils soient Belges, Français ou Américains, restent malgré tout dans la culture occidentale, et que ce qui se joue avec leur hallalisation est bien plus grave que le démontage de quelques macdo par José Bové ; on serait passé de querelles de clocher sur fond d’altermondialisme, à une transposition pure et simple du choc des civilisations sur notre plateau-repas. La marée verte triomphera-t-elle des potatoes tricolores ?

A part la sempiternelle accusation de communautarisme, le principal argument des opposants aux Quick hallal est que le tout-hallal, imposé par des contraintes techniques, priverait le client de la possibilité de choisir, et qu’on lui imposerait donc une nourriture à dimension religieuse. Là encore, cette idée révèle la place qu’occupe réellement ou symboliquement la restauration rapide dans notre pays. Le consommateur a toujours un choix : celui de ne pas aller chez Quick. Quick ne détient pas le monopole des hamburgers, et n’est pas non plus un restaurant d’Etat qui constituerait un passage obligé pour tout citoyen (que la Caisse des Dépôts en soit actionnaire est un autre problème). Les campagnes officielles sur la consommation journalière de fruits et de légumes, ou sur la nécessité de limiter graisses, sucres et sédentarité, nous laisseraient même penser que la République déconseille de fréquenter les fast foods. Pourquoi alors invoquer cet argument d’un choix impossible, d’une privation inacceptable de liberté, culinaire ou de conscience ? Cette position est d’autant plus étrange que la situation, en soi, n’est pas nouvelle. Il existe déjà des restaurants hallal ou kasher, et on n’a pas vu que les uns ou les autres intervenaient pour leur imposer d’ajouter à leur carte des plats qui ne soient ni hallal, ni kasher. Le développement de cuisines exotiques ou « fusion » a été une forte tendance des 30 dernières années : kebab, sushis et nouilles chinoises ont intégré l’alimentation de base de nombre de Français. Pourquoi l’introduction d’une nourriture indiscernable, si ce n’est par des rites ayant présidé à son élaboration, deviendrait-elle une évolution inacceptable ?

La nourriture hallal n’est pas le voile islamique. Non seulement elle ne constitue pas un signe religieux ostentatoire, mais plus important encore, elle ne peut être interprétée comme porteuse de valeurs opposées à la République. Elle n’implique pas une inégalité entre l’homme et la femme. Elle peut, du reste, être diffusée à l’insu de ses consommateurs. Un restaurateur pourrait en servir à ses clients sans qu’ils s’en rendent compte. Est-ce pire que de servir des plats congelés et non préparés en cuisine, sans l’annoncer à la clientèle ? On pourrait même dire que sa valeur religieuse est entièrement relative : elle n’est pas plus spécifique, à la bouche d’un non-musulman, que ne serait un plat béni par le curé du coin au palais d’un non-chrétien. Le problème qu’elle constitue – si problème il y a – est donc plus de l’ordre du symbolique et du fantasmatique que du rationnel.

La France est-elle prête à accepter le caractère profondément mouvant et évolutif de son « identité culturelle », quel que soit le sens que l’on donne à ce concept bien vague ? Ce qui se joue, dans ce refus de voir une chaîne de restauration privée proposer une nouvelle offre pour une nouvelle clientèle, c’est la crispation paradoxale d’un pays qui accueille la population musulmane la plus intégrée d’Europe et qui persiste malgré tout à projeter sur elle toutes sortes de craintes et de préjugés. Ce qui se joue ici, c’est également la conception moderne de la laïcité et de l’intégration. L’intégration ne peut être la simple assimilation d’une « communauté » par une autre ; elle implique toujours un chemin partagé et des évolutions de part et d’autre. Quick met à sa carte du hallal, mais attire ainsi une clientèle qui évitait auparavant cette chaîne de restaurant à la fois bien américaine et tellement française. Les Musulmans qui mangeront chez Quick entreront encore plus de plein pied dans la communauté culinaire nationale, n’en déplaise à Eric Zemmour. C’est précisément par ce type de banalisation que l’on sortira progressivement des arrière-pensées et des clichés qui finissent, eux, par creuser de vrais fossés.

Romain Pigenel


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