Chenonceaux est sans nul doute le plus délicat des châteaux de la Loire. Partout les raffinements de la galanterie ont guidé la main des architectes et des jardiniers. Une inspiration féminine s'y fait sentir. Celle de Catherine Briçonnet qui sur un moulin fit bâtir un château ; celle de Diane de Poitiers qui sur le Cher fit construire un pont ; celle de Catherine de Médicis qui sur le pont édifia un palais. Ainsi naquit une demeure pleine de grâce et de légèreté.
Voir Chenonceaux ou le revoir, voilà un but d'excursion pendant ces semaines de fin d'été. Et comment ne pas se laisser séduire par la beauté des ciels, l'élégance du site, le miroir des douves...
Implanté au coeur du Val de Loire où tout conspire à la promenade et à la rêverie, où le souvenir de Léonard de Vinci, de Rabelais, Ronsard et du Bellay perdure, Chenonceaux apparait penché au-dessus des eaux vertes du Cher dans les marbrures dorées des aurores ou les étreintes fulgurantes des crépuscules comme un rêve de dame.
Ce rêve fut d'abord celui de Catherine ou Katherine Briçonnet. La première dame de Chenonceaux héritait d'une vieille forteresse que son époux Thomas Bohier s'empressa de détruire et à la place de laquelle cette femme de goût et d'autorité va élever un logis rectangulaire agrémenté de quatre tourelles. La construction sera placée sous la responsabilité de Pierre Trinqueau qui, par la suite, sera l'un des architectes de Chambord. Le pont-levis d'origine donnait accès à une vaste terrasse qui menait à un portail ouvragé où se trouvaient gravées les initiales des époux bâtisseurs TBK, ainsi que leur devise : " S'il vient à point, me souviendra". Lorsqu'ils meurent en 1524 et 1526, François Ier est roi de France et, au cours de ses séjours prolongés dans la région, apprécie tant le charme de Chenonceaux qu'il en fait don à son fils Henri II, époux de Catherine de Médicis, mais surtout amant de la belle Diane de Poitiers qui ne va pas tarder à s'éprendre des lieux et à se les faire attribuer par lettres patentes. Elle en deviendra propriétaire au printemps 1555 et, sous la conduite de Philibert de l'Orme, architecte du roi, s'emploiera à construire le pont qui relie les deux rives du Cher. Ensuite, elle se consacre avec passion à ses jardins et y dépense des sommes considérables. Il ne faudra pas moins de 14000 journées d'ouvriers, de maçons, de jardiniers, pour mener à bien cette entreprise et créer les allées obliques qui divisent le parc en huit triangles, aligner arbres, fleurs, parterres, bassins, fontaines.
Lorsqu'en 1559, Henri II meurt des suites d'une blessure reçue lors d'un tournoi, Catherine de Médicis, qui veillait dans l'ombre, a tôt fait de prendre la tête du royaume au nom de son fils François II, marié à la délicieuse Marie Stuart et, reléguant sa rivale à Chaumont, de devenir la nouvelle châtelaine de Chenonceaux. Italienne, la reine ne l'est pas seulement d'inspiration. Pour son château, chèrement acquis, elle déploie autant de goût que d'audace et entreprend de faire construire une galerie à deux étages sur le fameux pont de Philibert de l'Orme. Commencés en 1576, ces travaux ambitieux ne s'achèvent qu'en 1581. Henri III est alors roi de France, après la disparition de ses deux frères François II et Charles IX, et la reine ne cesse de donner à son intention des fêtes somptueuses qui se clôturent par des feux d'artifice et des spectacles allégoriques. Dès cette époque, le château et ses jardins ont déjà la configuration qu'ils ont aujourd'hui. A la mort de Catherine, Louise de Lorraine, sa bru, qui enterre la même année sa belle-mère et son époux, hérite des lieux mais elle est trop affligée par ses épreuves ( elle sera appelée la reine blanche car toujours vêtue de blanc selon l'étiquette du deuil royal ) pour envisager de changer quoi que ce soit à la demeure, d'autant qu'elle est accablée de soucis financiers. Après elle, César de Vendômois, fils légitimé d'Henri IV et de Gabrielle d'Estrées s'attachera à perpétuer le rêve de la reine de coeur et de la reine de France, si bien que le château et ses jardins conservent leur tracé italien avec les allées en berceau et les promenoirs. En 1650, le jeune roi Louis XIV sera le dernier hôte d'un château bientôt déserté par l'administration royale et la Cour. Dès lors, la résidence ne vit plus qu'avec ses fantômes. Comme sont loin les fêtes pastorales d'antan où, devant les yeux admiratifs de la petite reine Marie Stuart, des fontaines jaillissaient à chaque détour, où se dressaient des autels antiques au long des allées, où des personnages glissaient entre les arbres et les parterres de fleurs dans des costumes rehaussés d'or, ainsi qu'il convient à un rêve de dame !