Cet été, j’ai enfin pu faire le voyage que je projetais depuis des années : un tour de l’Albanie. Rien de trop exotique, c’est vrai, mais ce qui suffit pour se sentir vraiment depaysé à deux heures de vol de Milan.
La première et dernière étape de ce voyage a été, comme l’on pouvait l’imaginer, la capitale, Tirana. Et je vous avoue que cette ville, dont j’avais entendu parler plusieurs fois, ne m’a pas particulièrement fasciné. Mais peut être qu’il faut attendre que mes souvenirs se posent un peu dans ma tête, pour arriver à la cerner un peu plus…
Il y a quelques années, en Italie on a beaucoup parlé de Tirana, surtout dans le milieu de l’art contemporain. Plusieurs projets et échanges entre écoles d’art et associations ont été montés et un bon nombre de jeunes artistes albanais a émigré à Milan et aujourd’hui quelques uns d’entre eux connaissent un bon succès sur le marché de l’art.
Je crois que les italiens considèrent encore cette ville comme une « colonie » (l’Albanie dans les années 1940 avait été occupée par les fascistes), peut être parce que les Albanais parlent presque tous un (parfois) très bon italien (en plus d’autres langues, c’est vraiment un peuple de polyglottes). C’est pourquoi donc, quand la première Biennale d’art contemporain de Tirana a été crée, en 2001, la collaboration avec les italiens a été tout de suite évidente: au tout début avec la revue Flash Art, puis avec des curateurs très connus, comme Roberto Pinto, en 2005.
Celui qui est un peu à la base de ce récent rayonnement de l’art contemporain « tiranais » s’appelle Edi Rama, il est aujourd’hui le maire de la capitale : et je parie le seul maire avec une formation d’artiste!
Sa politique pour la ville a été au centre d’un débat très vif en Albanie, mais nous, à l’extérieur, on ne le connaît que pour son intervention sur les façades des blocs de bâtiments gris de Tirana.
Edi Rama raconte, dans une interview, que, quand il est devenu maire en 2000, le budget de la ville suffisait pour reaménager un seul kilomètre de route. Il a donc décidé de promouvoir la revitalisation de la ville par une initiative plutôt symbolique : il a commencé par faire repeindre les façades, parfois délabrées, de ces bâtiments, en couleurs vives, par des étudiants en arts plastiques, puis par des artistes plus connus. Aujourd’hui, tous les deux ans, à l’occasion de la Biennale, les deux curateurs invitent des artistes à présenter un projet pour les façades. Jusqu’à maintenant, les artistes Ann Edholm, Franz Ackermann, Per Enokson, Adrian Paci, Tomma Abts, Tala Madani et Helidon Gjergji ont participé à ce projet.
Cette initiative, dont vous pouvez voir des exemples en photo ci-dessous (mais les couleurs sont hélas un poil fânées), me pousse à une réflexion.
Edi Rama définit ce geste, dans cette interview, comme un geste « politique ». Grâce à cette intervention il a voulu redonner le sourire aux gens et la confiance dans la politique (c’est ce qu’il dit).
Vivre dans une ville plus belle à voir, plus colorée, aide à résoudre les gros problèmes « pratiques » qu’elle connaît ?
Personnellement, je trouve cette initiative très originale et le résultat est très agréable. Mais de là à le définir comme un geste « politique » c’est un petit peu déplacé exagéré. Les véritables œuvres d’art public ne sont pas faciles à cerner, mais elles existent ici et là dans le monde. Aujourd’hui elles nous obligent à réfléchir à ce que l’art peut faire dans un contexte tel que la ville et ses problèmes. Et ce n’est presque jamais le pouvoir politique et institutionnel qui les propose et les met en pratique. Ce sont les artistes, les associations, les curateurs…
J’oserais dire que grâce à Edi Rama, Tirana et l’Albanie commencent à devenir une destination pour tous ceux qui s’intéressent à l’art contemporain. La Biennale de Tirana attire tous les deux ans les passionnées et les professionnels dans une ville qui, à travers l’art, aura peut-être la chance de résoudre ses gros problèmes.