Les barricades mystérieuses est le titre d'un très beau recueil de poèmes d'Olivier Larronde publié en 1946 aux éditions Fontaine, repris en 1948 chez Gallimard. Mon fils auquel j'en parle me fait remarquer que j'ai dans ma bibliothèque un autre recueil de poèmes plus récent portant le même titre, mais de Maurice Blanchard, cette fois-ci, recueil également publié chez Gallimard.
Vérification faite, le poème qui a donné son titre au recueil de Blanchard a été publié en 1937, soit 10 ans avant celui de Larronde. Mais cette petite vérification sur Google (suivie d'une exploration du catalogue de la Bibliothèque nationale) m'a donné l'occasion de découvrir plusieurs autres occurrences du même titre, plus tardives :
- en 1998 pour un roman de Sébastien Lapaque publié dans une collection policière d'Actes Sud dont la couverture représente une femme remettant une paire de bas dans la plus grande tradition des romans noirs des années 50,
- en 1995, pour le catalogue d'une exposition de photographies de Sophie Ristelhueher,
- la même année pour un roman de Jean Malzac publié à Bordeaux, sans doute à compte d'auteur,
- toujours dans les années 90 pour un ensemble de musique baroque dirigé par le musicologue Stefan Perreau,
- en 1989, pour une oeuvre pour flûte et orchestre de Luca Francesconi,
- en 1988, pour un livre d'ethnologie sur des récitations nocturnes chez les Fang,
- en 1988, pour le titre d'un conte spiritualiste (in Ariane Buisset, Le Dernier tableau de Wang Wei : contes de l'éveil, Albin Michel),
- en 1985, pour un article consacré à Victor Hugo (Bernard Leuilliot, in Europe),
- en 1968, pour un documentaire télé de Charles Brabant sur François Couperin,
- en 1961 pour un tableau de René Magritte, tableau célèbre représentant une maison aux fenêtres éclairées cachée par des arbres gris
- en 1960, pour un roman de Jacqueline Bellon, auteur de romans sentimentaux en général publiés dans des magazines féminins, édité par Plon
mais aussi antérieures :
- en 1922, pour un livre d'Edmond Jaloux,
- et, surtout, en 1717, pour une oeuvre de Couperin dont le titre énigmatique a fait couler beaucoup d'encre. On a parlé d'une allusion aux vêtements féminins, au corset, aux harmonies non résolues de l'oeuvre.
Comment expliquer le succès de ce titre? Je doute que les auteurs se soient copiés les uns les autres. Je préfère imaginer qu'ils ont les uns et les autres "réinventé" cette belle formule séduits par sa force. Force poétique : ces "barricades mystérieuses" ne sont pas un oxymore, mais un peu un paradoxe, les barricades sont en général là pour afficher une opposition vive qui ne se cache pas. Force érotique également comme suggèrent tant l'illustration du roman de Lapaque que les interprétations que l'on a données du titre de Couperin que l'utilisation de cette formule dans des textes consacrés à la littérature érotique, comme dans les analyses qu'Anne Giard a données du Sopha de Crébillon fils. Ces barricades mystérieuses seraient celles qui amènent une femme à refuser de se donner alors même que tout dit son désir et qui, d'une manière plus générale, nous amèneraient à ne pas faire ce que nous souhaitons comme le suggère le tableau de Magritte : la barricade est mystérieuse parce qu'absente, invisible, elle est bien là, elle nous interdit d'avancer et cependant on ne la voit pas dans l'ombre.
Ces barricades mystérieuses seraient donc une proche cousine de cette akrasia qui a tant intéressé les philosophes américains (Davidson…) après Aristote (bizarrement, les traducteurs français du philosophe grec traduisent akrasia par incontinence), qui nous amène à faire le contraire de ce que nous jugeons bon et juste.
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