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quoi derrière le vide laissé?

Publié le 26 mai 2010 par Lironjeremy
quoi derrière le vide laissé? Chaque jour un coup d’œil furtif, comme par réflexe vérifier que les choses sont bien là, qu’un certain ordre persiste. Des choses auxquelles s’appuyer. Dans le virage, en haut de la Montée des Esses, apercevoir avant d’entamer la descente sur la ligne de crête au fond de la perspective la façade de la grande barre de la Duchère peinte d’un arc-en-ciel. A sa gauche, une autre barre à la trame de façade très serrée et dont le motif rappelle avec une certaine insistance le bâtiment de la gare Montparnasse. Entre les deux, une tour au profil à la fois sobre et raffiné, extrêmement haute. Même que des fois on la voit mal, des fois on n’a pas le temps dans le virage, mais on regarde quand même la barre aux couleurs. En sachant que l’on ne découvrira rien de nouveau. Comme pour vérifier sa propre assise au début de la journée, nous accorder. Nous ajuster au monde comme on prend le La. On s’accompagne un moment de l’image. Hier Julie m’a dit qu’on avait détruit une barre. Lorsque l’on passe le virage, en haut de la montée, manque la barre à l’arc-en-ciel. On voit ce qu’elle cachait depuis 50 ans : une seconde barre, bien plus modeste qui dépasse des arbres. On réalise le masque du paysage. Des mauvais moments bien sûr ces derniers temps dans ces paquebots d’un temps ancien abrutis sur eux-mêmes, mais qui font pas oublier le début. L’autre il met la main au cœur, il dit que ça cogne. Même s’il disait bien qu’il fallait en finir parce que trop d’usure, la fatigue du bâtiment lui-même, et les problèmes qui en quelques années se sont greffés. Quand même ça fait comme un creux au-dedans, un paquebot qui part. Au début, le bonheur, véritablement : tout le confort moderne, les sanitaires, le chauffage, les commerces en bas. Même le vide ordure depuis la cuisine, la table en Formica qu’on nettoie d’un coup de main, les baignoire que les petits ne veulent plus quitter. Quand ils étaient arrivés, ça impressionnait les enfants tant de hauteur, cette masse tranquille. Ça les fascinait. Il y avait les voisins avec lesquels on partageait et quelque chose d’un élan monumental. Bientôt pourtant, il y avait l’ennui de certains isolés dans des casiers anonymes : plus l’envie de descendre, la ville trop loin. On était loin du sol quoi qu’on en dise et bien peu souvent au dehors. Et comment on aurait pu penser qu’une histoire de guerre entre Israël et Palestine ait cette incidence sur nos vies. 3000km nous séparent de Jérusalem. Mais il y a la dépendance au pétrole. A l’époque on disait : on n’a pas de pétrole, mai son a des idées. N’empêche que c’était comme nous éloigner encore dans ces villes nouvelles si on n’avait plus d’essence. Vous savez, cette image de la nef des fous, la dérive en dehors des villes, c'est-à-dire en dehors du monde. Il y a eu la crise, l’ennui, les gestes qui dépassent parce qu’on a plus les mots ou qu’on a personne à qui dire, et l’usure de ces bâtiments construits trop vite. Les conséquences aussi disproportionnées que les rêves qu’ils portaient. Ils avaient servi 30 ans. Un déclin de 20 ans. En quelques minutes le bâtiment s’écroulerait sur lui-même dans un nuage de fumée lourde et de terre. Mais quelque chose demeurait incompréhensible : cette rapidité. Une autre avait du mal à comprendre. Pas des regrets : elle aussi serait relogée dans du neuf, sans les fuites, les panes d’ascenseur, mais elle ne pouvait admettre que 50 ans et toute cette masse qui se tenait là et faisait le paysage puisse aussi brutalement disparaitre. Une drôle de nostalgie, le sentiment de perdre un repère. C’était sur cette présence là qu’elle s’était construite. Là encore c’était comme un ordre séculaire qui était basculé : désormais tout allait très vite, dans quelque sens que ça aille. Rien n’était immuable. Les traces que laissaient avant les bâtiments en ruine et comment ça constituait le paysage dans des épaisseurs d’histoires c’était fini. Du moins elle le percevait vaguement comme ça.

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