Yvan Salomone, la fabrique de l'Image

Publié le 13 août 2010 par Lironjeremy

D'abord surprendre dans l'arrangement du monde quelque chose qui vous retient sans pouvoir dire ce que précisément contient ce désir. Dans l'ordinaire exotique d'une zone portuaire, d'un no man's land anonyme. Et ça restera toujours mystère la découpe d'un angle de mur sur le ciel, la charpente robuste d'une machine.

Depuis 1991, Yvan Salomone réalise ce qu'il appelle des repérages, photographiant ces paysages industriels du Havre, de Saint Malo où il vit, et d'ailleurs, dont il accumule les traces parfois un peu distraitement et sans bien savoir, mais mu par sa sensibilité et son humeur, c'est-à-dire par des exigences aussi précises qu'informulées. Un monde s'invite derrière le regard, qui qualifie le réel. Ça échappe forcément, et c'est dans le travail que l'on tente de clarifier ce qui l'a initié, comme à rebours. Lui-même évoque alors quelque chose comme une analyse. Peut-être les images le renseigneront plus tard sur ce qui, confus en lui, avait présidé à leur prise de vue, les a déterminées. Peut-être y voit-il déjà dans la variété des formes et des textures, dans la juxtaposition des nuances, dans les signes qui se font, quelque chose de la peinture qu'il s'en va chercher ensuite en réinterprétant la photo. Semblable à ceux-là qui, comme Vermeer au XVIIème siècle, utilisaient la camera obscura, Yvan Salomone projette l'image qu'il reprend comme en décalque au crayon, puis « monte » à l'aquarelle. Non sans se permettre quelques omissions ou ajouts: plus que stricte documentaire il s'agit de montage, d'élaboration. Les références et souvenirs parfois s'invite plus ou moins consciemment. La géométrie du monde y est souvent prégnante. Les images en acquièrent une certaine lisibilité franche qui peut évoquer Chirico, une nudité silencieuse et frontale familière également de la peinture de Gilles Aillaud. Disons quelque chose d'excédent dans cette simplicité même. Cette fabrique de l'image, horizontalement et dans l'obscurité (du moins dans sa première phase) rappelle l'expérience du labo photo, l'aquarelle rappelle sa chimie. Et quelque chose de proustien encore. Comme si dans le processus, entre le repérage photographique et l'aquarelle, remontaient des éléments de mémoire involontaire, comme si se jouait là une remontée photographique du réel perçu comme le lieu d'un retour du monde par dessus lui-même. Remontée du vécu antérieur, de ce à quoi l'image renvoie du monde que l'on a intériorisé. Ce qui se joue dans les découpes étroites et dans les auréoles d'aquarelle, dans les couleurs saturées et dans les échos nombreux et vagues qui habitent et pourraient-on dire saturent (pour employer le vocabulaire de la phénoménologie) l'image, c'est la question du regard comme agir opaque, comme activité aveugle d'elle-même dont les peintures mettent en scène l'inconscient. Ainsi ont-elles quelque chose du rêve, une étrangeté composite où Malevitch le dispute à Tanguy dans un mélange de fluidité et de géométrie.

On pourra observer en ce moment et jusqu'au 19 septembre « yes i will, yes », 60 compositions d'Yvan Salomone datées d'entre 1999 et 2010 présentées en un grand mural à l'occasion de l'exposition « au verso des images » au MAMCO , Genève.