Bonne élève, Amélie Nothomb arrive à l'heure le jour de la pré-rentrée avec un nouveau livre précédé de ce qu'il convient d'appeler "une bonne presse". Normal, c'est une bonne prose !
Elle raconte avec une sincérité étonnante un échange épistolaire (fictif) entretenu plusieurs mois avec un militaire américain basé en Irak. Il est désormais admis que cette guerre était injustifiée, ce dont les soldats se sont immédiatement rendu compte. Coincés entre leurs obligations de service et leur conscience certains n'ont rien trouvé de mieux que de peser sur la conscience de leurs compatriotes en abusant (bien réellement) de la nourriture, jusqu'à en mourir.
Une forme de vie est facile à lire, mais difficile à caractériser. Il se situe précisément en terre Amélie, un espace où tout est simplement mais savamment dit.
J'ai découvert que je pratiquais sans le savoir une forme très particulière d'ospithographie. Cette manière d'écrire consiste à employer des feuilles recto verso, ce qui pour Amélie est une élémentaire forme de respect à l'égard de nos forêts.
Certes, mais je trouve que la lecture s'en trouve ralentie et qu'on peut vite se perdre. Je n'écris donc que sur les verso ... en toute bonne conscience puisque ce sont des feuilles de récupération, déjà imprimées au recto. Ouf !
J'ai aussi appris l'étymologie du mot diplomate, ce qui va grandement m'aider à améliorer mes relations : au lieu de dire une parole qui pourrait être mal interprétée je l'écrirai désormais ... sur un papier plié en deux (diploma en grec ancien).
En ma qualité de bloggeuse influente on peut dire que je tente de persuader une personne à faire quelque chose. Je me demande combien de lecteurs auront été ambiancés par ce billet. Et je loue Amélie d'avoir enrichi mon lexique de cette expression argotique (p.100).
Au pays d'Amélie nous trouvons des petites formules merveilleuses et puis des tournures plus grossières, comme celle-ci que chacun aura envie de répéter : le gras humain sera à Georges W. Bush ce que le napalm fut à Johnson. Inutile de s'offusquer : la fine mouche se raille elle-même d'une telle audace juste au moment où nous nous apprêtions à la condamner (p. 84).
Inutile aussi d'aller vérifier si elle a bien publié un éditorial dans le New York Times le 6 avril 2009 à propos de la venue d'Obama à Paris. Quelques pages plus loin (p.67) elle donne le titre de l'article pour faciliter la recherche googolienne. Elle rappelle aussi qu'elle a déjà livré 65 livres (page 66). Le compte est bon. Et avec celui que nous avons entre les mains cela fait ... 66, ce qui place définitivement le livre dans une veine oulipienne.
C'est un roman à clés qui ouvre de grosses serrures comme celles-ci mais aussi de toutes petites comme les discrètes référence à des titres d'ouvrages précédents autour des mots attentat, sabotage, tubes, ennemi, antechrista, journal ... Comme encore quelques confidences personnelles, son amour des avions où elle voyage systématiquement coté fenêtre, sa passion pour les nuages, sa façon d'ouvrir son courrier avec des ciseaux (c'est drôle j'aurais cru qu'elle le déchirait avec les dents pour mieux le dévorer) et surtout les rapports qu'elle entretient avec les flots de courriers quotidiens dont elle est carrément "addicte".
On savait la jeune femme courriériste. Il ne semble pas faire de doute qu'elle reçoive effectivement des sacs postaux de courriers en tous genres et qu'elle prenne beaucoup de plaisir à les dépouiller, ce qui ne l'empêche pas d'estimer que les bons épistoliers ne sont pas légion. Avoir du répondant (épistolaire) n'est pas donné à tout le monde, certes ; il n'empêche que cela s'apprend et que beaucoup de gens y gagneraient.
Dans le roman, son correspondant s'appelle Melvil Mapple, une distorsion de Devil et d'Apple, le diable et la pomme, symbole new-yorkais et subtile clin d'œil au mapple store parodique des Simpson. L'Amérique fascine toujours mais différemment. On parle d'Obama comme d'un lieu commun, et dans nombre de livres ces derniers temps.
A défaut de s'attirer des ennuis avec l'Amérique, Amélie Nothomb va susciter les déclarations. Une mine peut-être. Les soldats de toutes les guerres imbéciles vont la plébisciter comme marraine. Les boulimiques lui demanderont conseil et les anorexiques lui confieront leurs angoisses. Cela va faire beaucoup de monde !
Elle en connait un rayon sur les deux extrêmes et pose sur le plateau des révélations inquiétantes : la matière grise est constituée essentiellement de gras ; en cas d'amaigrissement excessif la cervelle subit des séquelles. J'ai bien fait de ne pas entreprendre de régime avant l'été.
Les anorexiques ont besoin que leur mal soit non pas condamné, mais constaté.
Amélie ne nous dit pas tout mais elle a beaucoup déclaré. On pourrait lui attribuer le cri d'alarme "je veux exister pour vous" (p. 57) qu'elle place sous la plume du soldat.
Amélie analyse. Amélie philosophe. Dans le dictionnaire Nothomb l'écrivain se situe en dehors de tout et proche des autres. La rencontre : un autre aussi autre et aussi proche à la fois (...) les gens sont des pays (...) bousculés par une tectonique des plaques qui n'a d'issue que dans la guerre ou la diplomatie (page 71) ... On voudrait lui souffler une autre voie, celle de la fuite, à laquelle elle songe brusquement toute seule quatre pages plus loin.
Qu'elle se rassure, son cerveau n'a pas un petit caillou dans la chaussure (comme elle le craint p.164) et nous vibrons sur la même longueur d'onde.
Amélie Nothomb sera à Nancy au Salon du Livre sur la Place du 17 au 19 septembre prochains ... et vibrera au rythme de la douceur nancéenne, qui n'est peut-être pas si éloignée de la douceur de vivre bruxelloise dont on la sent nostalgique. (p.121) J'y serai également et rendrai compte de la manifestation sur le blog comme je l'ai fait l'an dernier.
Une forme de vie d'Amélie Nothomb, chez Albin Michel, 2010
La photo d 'A. Nothomb est signée sarah Moon.