Dans l’inconscient du pays, on sent que l’on n’est pas à l’abri de ce qui est arrivé à la Grèce et comme "nous avons devant nous non pas trois ans de rigueur mais dix. Il faut une mobilisation générale du pays. Sinon, nous courons à la catastrophe." (Les Echos, jeudi 22 juillet 2010). Bref, le crédit est mort, l’Etat mauvais payeur l’a tué…
L’Espagne et la Grèce : deux cas différents Certes, il n’est jamais bon pour un pays de devoir trop d’argent, encore faut-il voir ce qui cause la dette pour mieux comprendre sa néfaste croissance. Porteur de la vision classique de l’Ecole française, plutôt déflationniste, le Professeur Attali présente l’expansion de la dette comme le résultat du pêché des finances publiques laxistes. L’analyse des crises financières de l’euro zone montre que c’est le cas pour la Grèce mais pas du tout pour l’Espagne et l’Irlande.
En 2007, la dette espagnole atteignait 40 % du PIB, aujourd’hui, elle galope vers les 80 %. En fait, les ressources fiscales espagnoles ont soudainement manqué et avec un taux de chômage de 20 % (et 40,3% pour les moins de 25 ans), la réduction des dépenses sociales risque de tourner au sadisme. En 2007, la dette irlandaise ne dépassait pas 25 % du PIB, aujourd’hui, elle approche les 80% car l’Etat irlandais a choisi de garantir les dépôts de cinq banques irlandaises dont les actifs sont constitués par une bulle immobilière en Irlande même.
La vertu fiscale prônée par le Professeur Attali ne protège donc pas contre les conséquences de la confusion entre la croissance économique et le gonflement d’une bulle spéculative immobilière. Mieux, selon le bon mot du Marquis de Sade, la rigueur de la vertu tourne alors aux "infortunes de la vertu."
Aux Etats-Unis, l’équilibre budgétaire reste toujours à l’horizon Aux États-Unis, pour rétablir l’équilibre budgétaire, les Etats licencient en quantité les enseignants, les policiers et les pompiers. Malheureusement, l’équilibre budgétaire reste toujours à l’horizon (ligne imaginaire qui s’éloigne au fur et à mesure qu’on s’en rapproche). En fait, depuis le début de la crise le 09 août 2007, presque toutes les finances publiques occidentales se noient désespérément dans le rouge.
Le mécanisme est très classique, il s’était déjà produit dès les années 1930 sous le nom de « stabilisateur automatique ». Les recettes fiscales s’effondrent avec la crise des marchés financiers, les dépenses publiques ne suivent pas la chute des recettes fiscales sauf à mener la politique de déflation sauvage du Chancelier Brünig en 1931, déflation constituée par des réductions massives des dépenses sociales…lorsque la Reichswehr a voulu recruter 6 000 soldats, 80 000 candidats se sont présentés, la plupart étaient en état de grave sous-alimentation…sous la mèche noire, les moustaches d’Hitler commençaient à pousser !
Replacer l’importance des dettes de l’Etat dans une perspective historique La hausse des dettes des États est alors brutale et évidemment elle peut effrayer les personnes raisonnables. Il n’est pas sans intérêt, toutefois, de replacer l’importance des dettes des Etats dans une perspective historique de longue durée. Dans la Grande Bretagne de 1820, la dette publique atteignait 240 % du PIB. Après la première guerre mondiale, elle atteint 120 % du PIB en 1919, monte à 192 % du PIB en 1932, 240 % du PIB en 1945 pour redescendre à 120 % du PIB en 1960.
En France, après la guerre de 1870, la dette publique atteint 100% du PIB et à la fin du XIXème siècle reste toujours à 100% du PIB, or à cette « Belle Epoque », la signature française sur les marchés du crédit était réputée la meilleure du monde. Entre les deux guerres, la dette française varie de 130 % du PIB (1920 et 1932) à 110% (1938), or durant cette période l’Etat français emprunte sans aucune difficulté.
Les exemples britanniques et français indiquent donc plus que dans le passé il y avait une tolérance des marchés à la dette pour des montants nettement plus élevés que de nos jours. Ces exemples sont trop importants pour n’être pas rappelé mais ils ne justifient pas par eux-mêmes la hausse des dettes publiques car celles-ci réduisent les marges de manœuvre. En fait, la dette publique n’est pas toujours, et de loin, le résultat de mauvaises finances publiques, elle est plutôt le signe, et d’ailleurs le mauvais signe d’une économie malade.
C’est vrai aujourd’hui pour l’Espagne, pour l’Irlande et même pour l’Angleterre lorsque les impôts de la City ne rentrent plus. Le cas de la France est moins brutal mais peut-être plus inquiétant. La croissance est devenue plus apparente que réelle depuis le milieu des années 1970, aussi faute de croissance économique, le gonflement des dettes de l’Etat français a servi d’opium pour maintenir au peuple l’illusion de la croissance. Le remplacement de la croissance par la dette s’étend d’ailleurs des dettes publiques aux dettes privées. Les dettes des ménages reflètent d’ailleurs encore mieux que les dettes des États la véritable situation financière d’un pays.
L’Espagne était un Etat fourmi peuplé par des cigales
L’Italie présente un cas inverse. La dette publique italienne est toujours élevée, 110% du PIB, mais c’est un héritage du « malgoverno » des années 1970 et 1980, depuis une dizaine d’années la dette publique n’augmente plus. Surtout, même si l’Etat italien est une vieille cigale sur le retour, les ménages italiens avec une dette de 37 % du PIB sont de vraies fourmis, et l’Italie est beaucoup plus industrielle et industrieuse que l’Espagne. C’est pourquoi les aptitudes de l’Etat italien ont assuré le service de sa dette, même élevée. Elles sont beaucoup plus sûres que les capacités de l’Etat espagnol.
De même, les situations financières de la Grande Bretagne et des Etats-Unis sont finalement plus graves que la situation des finances françaises. Certes, les dettes publiques françaises sont avec 80% du PIB similaires aux dettes publiques britanniques et américaines mais avec 140% du PIB et 130% du PIB, les dettes des ménages britanniques et américains trahissent le chant des cigales alors qu’avec 70% du PIB, les dettes des ménages français conservent tout de même le prudent silence des fourmis.
D’ailleurs, les ménages britanniques et américains n’épargnent pas ou peu (0 à 8 % du PIB) alors que les ménages français épargnent de 15 % à 17 % du PIB. Ainsi, comme à la fin du XIXème siècle, la « puissante épargne française » compense quelque peu le niveau élevé des dettes publiques. Les dettes publiques sont donc une partie, importante certes, mais une partie seulement de la situation financière des nations, et finalement les fourmis italiennes compensent quelque peu la dette de l’Etat cigale italien alors que la Grande Bretagne se retrouve dans la situation d’un Etat cigale peuplé par des cigales…
Le vrai problème est celui de la désindustrialisation de la France L’ampleur de la dette ne trouvera alors pas sa solution avec dix ans de rigueur qui ne seront dès lors que les dix premières années d’une longue déflation destinée à accompagner l’appauvrissement d’une France qui se désindustrialise. Le vrai problème est celui de la désindustrialisation de la France, c’est celui des multiples délocalisations industrielles qui fuient un pays qui, face à la Chine et à l’Allemagne, a cessé d’être compétitif. La recherche des solutions devient le reflet de la question déjà posée par l’économiste Alfred Sauvy dans son Histoire économique de la France entre les deux guerres : la déflation, donc la baisse des revenus et des salaires, ou la dévaluation pour fuir les infortunes de la vertu.
Les deux auteurs ont publié en août 2010, La vérité sur la crise. Pour en savoir plus sur ce livre, cliquez-ici.