Avec appréhension je me suis mis à lire le nouveau Janus, intitulé Canines et publié aux éditions Xenia ici. En effet je savais que ce nouveau roman était basé sur des faits réels, particulièrement odieux, puisque la victime en est un enfant, qui ne méritait certainement pas le traitement qui lui a été infligé, quelles que soient les fautes vénielles commises par lui et qui ont pu agacer le voisinage.
Même si ce que Janus raconte est à la limite du supportable – il ne nous épargne aucun détail anatomique, même sordide – , il arrive cependant à nous le faire supporter par deux moyens imparables, la beauté du style – « Le talent de l’auteur est remarquable» écrit le préfacier Charles Poncet – et l’humour du narrateur qui ne s’épargne pas lui-même, au vu et au su du lecteur, et ne nous épargne pas les démêlés peu flatteurs qu’il a avec sa femme Babette. Du coup le message passe. Ce qui était l’effet recherché.
Janus semble spécialisé dans le regard irrévérencieux porté sur notre époque et particulièrement sur le système, ou, si vous préférez, l’établissement.
Dans L’évasion de CB il nous montrait avec alacrité que le petit monde de la politique était doté d’une courte vue et dominé surtout par les ambitions personnelles. Il s’agissait d’utiliser le prétexte de l’évasion de C.B., Christoph Blocher, du Conseil fédéral, où ce dernier avait les pieds et poings liés, pour rendre compte des agissements des profiteurs du système qui n'arrivent à s'entendre que contre l'empêcheur de tourner en rond [voir mon article Les deux facettes de "L'évasion de C.B." ].
Cette fois-ci il s’en prend à un appareil judiciaire peu soucieux de faire éclater la vérité et de rendre la justice. La défense des intérêts du clan a beaucoup plus d’importance à ses yeux que le sort épouvantable d’un enfant d’immigrés italiens, un peu trop fouineur et chapardeur. Car si la vérité éclatait, si la justice était rendue, les coupables, fils de famille, seraient punis et seraient passibles de payer de lourds dommages à la victime…
Dans un village du Valais un enfant, Gianni Gerardi, est retrouvé à deux pas du chalet de ses parents, à moitié dévêtu, roué de coups, étendu dans la neige, en hypothermie, au soir d’une journée de février 2002. Que lui est-il arrivé ? Janus reconstitue peu à peu les pièces du puzzle en déléguant la voix du narrateur à un détective privé, engagé par les parents, insatisfaits de l’enquête officielle, menée, semble-t-il, en dépit du bon sens et sans précautions.
Petit à petit l’enquête parallèle du détective privé met à jour la vérité. Le coupable n’est pas le chien Groggy désigné coupable, contre toute vraisemblance, par l’enquête officielle, qui a été littéralement bâclée. Il ne s’agit pas non plus d’un crime sexuel commis par un pédophile adulte, vite innocenté. Les coupables sont… des enfants, à peine plus âgés que la victime, qui auraient voulu donner une leçon à cet enfant de sept ans, un peu chenapan et maraudeur.
Malgré des demandes réitérées de l’avocat de la famille, Sardine-à-l’huile, et du détective privé, la réouverture de l’enquête n’aura pas lieu. Peu importe que cet enfant soit aujourd’hui tétraplégique et aveugle à la suite de ce crime. Seule une enquête officielle permettrait pourtant de confirmer les conclusions auxquelles a abouti le détective privé. Sans cette réouverture la vérité n’éclatera pas et il ne sera pas rendu justice à un enfant et à sa famille. Canines est bien un antipolar…puisque le mot de la fin reste suspendu.
Au-delà du roman il y a les faits réels. En effet les faits rapportés par Janus, et qui le taraudent, se sont vraiment produits à Veysonnaz, le 7 février 2002. Gianni Gerardi s’appelle en réalité Luca Mongelli, le "rital congelé" pour le juge de l'époque... Son frère, Dino dans le roman, s’appelle Marco dans la vraie vie. Le chien Groggy en fait s’appelait Rocky (on l’a euthanasié comme pour faire disparaître la preuve qu’il était inoffensif). L’avocat de la famille Mongelli est Me Fanti et le détective privé, très romancé pour les besoins du récit, Fred Reichenbach.
L’appareil judiciaire valaisan s’honorerait en rouvrant l’enquête. Ce que demande d’ailleurs une pétition, qui a déjà recueilli plusieurs milliers de signatures sur Facebook.
Francis Richard