Auteur : Godefroid Kurth
Éditeur : Tallandier
1ère édition : 1893
La note de Pikkendorff :
Résumé
Comme toutes les sciences humaines, l’histoire elle aussi a ses précurseurs. Peu connu en France, l’historien belge Godefroy Kurth est pourtant un peu le pendant d’un Renan ou d’un Fustel de Coulanges. Brillant médiéviste, professeur d’université à vingt-cinq ans, il donne toute sa mesure dans cette biographie de Clovis, la première jamais écrite (elle fut publiée en 1893 pour la première fois). Parti d’une documentation très fragmentaire, il est parvenu à donner une vision complète de celui qui a unifié les royaumes francs et fut le premier prince barbare converti au christianisme. Cette conversion et son mariage avec la chrétienne Clotilde lui assurèrent la collaboration des évêques pour affermir son autorité.
Certes, comme tout travail historique, cet ouvrage est fils de son époque et constitue en lui-même un document sur une certaine façon de faire de l’histoire, qui visait aussi à démontrer la supériorité du christianisme. Mais cela ne doit pas arrêter le lecteur, car la qualité du travail paléographique et la puissance de cette synthèse pionnière en font un ouvrage toujours consulté par les spécialistes.
L’avis de Pikkendorff
Comment Clovis (466-511), fils de Mérovée, Roi des Francs Saliens, en trente années de batailles, de déplacement, de victoires et parfois de défaites sut-il construire un espace, une nation, un futur là où d’autres, parfois plus forts, ont échoué ? C’est le thème de la toute première biographie consacrée à Clovis écrite en 1893, sur un ton très enlevé, par Godefroy Kurth (1847-1916), pionnier de l’école historique de Belgique. Rare dans la production historique, Godefroy Kurth écrit avec chaleur, son écriture vive n’a pas vieilli et il donne de l’épaisseur et du rythme aux âges lointains. À l’instar d’un romancier, il vit avec ses personnages, s’enthousiasme et condamne. Les sources sont critiquées, les légendes utilisées et comme dites Godefroy Kurth : « Mais on ne sait s’il faut croire de tels récits, et dans l’histoire de ces temps obscurs il faut renoncer à une précision qui ne s’obtiendrait qu’au prix de l’exactitude ». Intéressant à plus d’un titre parce qu’écrit par un Belge à la fin du XIXe, nous évitons la récupération à des fins de politique interne française sans éviter bien sur les Belges avec l’indépendance de 1830 et un rôle surpondéré de l’Église catholique. L’Empire de Rome souffre. Depuis le milieu du IIIe siècle, la pression à ses frontières se fait plus forte. Son âme, sa vertu qui fit sa force, a disparu. Démontrée par la chute de la démographie, l’envie de vivre, de créer a disparu. Appelée une mission évangélique universelle (catholica), la nécessité de Rome est mise en question par la jeune Église catholique. La création de la Cité de Dieu hors la Cité des hommes appelée par l’Évêque d’Hippone, Saint Augustin (354-430), ne serait-elle pas autre chose que l’appel à l’indépendance de l’Église vis-à-vis de l’Empire, de Rome, qui l’a vu grandir en son sein. Le coup fatal est porté en 406, les lîmes du Rhin sont débordées. Passant sur le corps des Francs, des Alamans et des Légions, les peuples germaniques (Ostrogoths, Visigoths, Alains, Suèves, Vandales…) déferlent sur la Gaule. De Trêves et Cologne, Rome se replie sur Arles (prise de Rome par les Ostrogoths d’Alaric en 410). La race franque se trouve libre de ses mouvements. Le Vème siècle vit la fin de l’Empire romain d’Occident avec la mort d’Aetius (395 — 454), son dernier général, celui qui vainquit Attila (451). En trente années Clovis et les Francs établirent leur autorité depuis la Belgique seconde jusqu’aux Pyrénées, de l’Alsace à l’Aquitaine laissant la Bretagne aux Bretons et la Provence aux Visigoths appuyés par les Ostrogoths installés en Italie et avec le Rhin comme frontière du nord après sa victoire sur les Francs ripuaires. Et ces frontières semblent être presque celle de notre France avec au Nord le lieu des disputes des 17, 18, 19es siècles. Il faut lire l’excellent ouvrage pour comprendre pourquoi les Suèves ne surent s’installer durablement en Espagne, les Ostrogoths en Italie ou les Visigoths en Provence. Homme de guerre et homme d’État, Clovis sut à la fois accepter comme frères tout peuple germanique et faire souche avec les Gallo-Romains au point que tous se reconnurent en peu de temps pour Francs dans ce nouveau pays. Homme politique, il sut établir et faire accepter des Lois visant à une coexistence entre paganisme, arianisme et catholicisme remplaçant l’Empire après plus d’un siècle de guerre et de massacre. Et toujours en Occident le rôle des femmes et de la première d’entre elles, Clotilde et bien sûr celui de l’Église catholique et de ses évêques tels entre autres Saint Rémi ou Sidoine Apollinaire. Certes les Parisii l’accueillirent à Lutèce où il établit sa résidence rive gauche, mais Clovis et les Mérovingiens puis Charlemagne et les Carolingiens furent les fils du Nord. Ils appartiennent autant à la France qu’à la Belgique, les Pays-Bas ou l’Allemagne.